Texte intégral
P. Poivre d’Arvor : Trouvez-vous que c’était vraiment indispensable de dissoudre, n’est-ce pas un confort, une commodité ?
F. Bayrou : Je crois que, d’abord, il faut dire que c’est un moment heureux parce que, pour les démocrates, chaque fois que le peuple est consulté sur les sujets essentiels qui font son avenir, c’est un moment heureux. Et je crois, deuxième idée, que c’est l’occasion de donner une nouvelle chance à la France, ou des chances nouvelles à la France. Alors, lesquelles ? La première de ces chances, je crois la plus importante, c’est la clarification de ses choix, et la deuxième, c’est la durée. Songez que la France va être le seul pays dans le monde développé – si le choix des électeurs est ce que nous espérons – à avoir pendant cinq ans, la même majorité, stable, avec un pouvoir présidentiel qui l’inspire, stable aussi…
P. Poivre d’Arvor : Mais il faudra passer au quinquennat pour qu’on puisse garder cette simultanéité…
F. Bayrou : … et, il est vrai que c’est une simplification, puisque les électeurs jugeront à son terme, en même temps, l’action du Président de la République et celle de la majorité. Je crois que tout le monde sent bien qu’au fond, cette décision qui a été prise avant l’été et avec panache – parce que beaucoup n’y croyait pas, dont moi, je dois dire. J’étais comme beaucoup d’autres, comme J. Lang, à penser que c’était une décision très…
P. Poivre d’Arvor : Prise par le président, avant l’été, sans qu’il vous en parle ?
F. Bayrou : Par le Président de la République. Il nous en a parlé bien entendu. Mais, il a pesé le pour et le contre et il a fait son choix. Cette décision forte donne l’occasion, je crois, d’évacuer les neuf mois d’incertitudes et d’inquiétudes dont chacun sentait qu’ils pesaient à l’avance sur la situation française. Alors on va avoir à la fois la clarification des choix, on va le faire sans que la France ne s’enlise dans un long débat interminable dont on aperçoit ce soir que s’il avait duré neuf mois, il aurait été en effet choquant, sur des choix clairs. Si vous me permettez de le dire, j’ai écouté hier soir M. Jospin, comme tout le monde, il n’y a qu’un moment où j’ai été vraiment profondément choqué. C’est normal que nos positions s’opposent ou que l’on oppose des bilans aux bilans, je trouve ça tout à fait légitime. Il y a un moment où j’ai été choqué, c’est quand M. Jospin a dit qu’il ne respecterait pas le Traité de Maastricht Et c’est profondément choquant pour deux raisons. D’abord pour quelqu’un qui est un Européen, qui croit que l’idéal européen est de nature à inspirer un engagement politique au-delà des frontières des partis – J. Delors est un Européen et je l’admire comme tel – ça met en cause le choix européen, mais pire encore, Maastricht, c’est le Gouvernement de 1992 dont M. Lang était membre. Le critère des 3 %, c’est le critère que le PS a choisi lui-même, et quand un grand pays dit : « j’ai pris un engagement solennel et je ne le respecterai pas », il y a là, me semble-t-il, de quoi tirer un signal d’alarme terrible sur les hommes qui, ayant fait ce choix, annoncent qu’ils ne le respecteront pas.
P. Poivre d’Arvor : Vous êtes sûrs de pouvoir respecter tous les critères de Maastricht ? Est-ce qu’au fond, vous n’êtes pas en train d’essayer d’avancer les échéances parce que vous savez que c’est très difficile pour vous de boucler le budget 1997 et encore plus celui de 1998, et que ce sera électoralement difficile ?
F. Bayrou : C’est exactement le contraire. Et je ne souhaite pas le dire moi, parce que si je l’affirme, c’est un argument électoral. Je veux dire ceci : d’ici quelques jours, très peu de jours, sortiront des éléments d’appréciation qui sont extérieurs à la France, en provenance d’observateurs, je crois, indiscutables de ce point de vue-là, qui permettront de dire où chacun en est. Je prends le pari : la France sera dans les clous. C’est-à-dire que l’effort considérable qui a été fait par les Français pour passer de 5 % – situation que nous avions trouvée en 1993, à 4 % et puis à 3 % – cet effort sera couronné de succès. C’est cet immense effort qu’il s’agit désormais de conforter par le choix qui va être celui de la France. La France sera dans les clous et ce n’est donc pas vers une rigueur accrue que nous allons, c’est vers simplement la confirmation que ces efforts auront été utiles. Il ne s’agit pas de dépenser moins, il s’agit de ne pas dépenser plus. J’avoue que c’est déjà un gros effort, mais c’est un effort qui montre que nous avons jusqu’à maintenant réussi dans cette décroissance des déficits.
P. Poivre d’Arvor : On peut vous dire qu’on nous l’a déjà dit, il y a deux ans.
F. Bayrou : Ce n’est pas moi qui le dit. Il y a deux ans, le déficit était beaucoup plus important, il était à 5 % en raison des poids très lourds que nous avions trouvés. Mais si je le dis-moi, ce n’est d’aucun intérêt parce que, étant membre de la campagne électorale, c’est comme si J. Lang dit que ça va mal. Si je dis que ça va bien, personne n’y accordera un poids trop important, chacun joue son rôle. Mais je dis : en prenant rendez-vous, d’ici très peu de jours, nous aurons la preuve pour savoir si, ce que les uns ou les autres disent, est vrai. Et je dis que la France sera dans les clous, elle respectera ses engagements, il n’y a pas de rigueur accrue.
P. Poivre d’Arvor : Un mot de réponse puisque L. Jospin a été mis en cause.
J. Lang : Le débat sera certainement développé tout au long de ces jours, mais je ne peux pas laisser dire F. Bayrou que L. Jospin aurait proposé de tourner le dos au traité et de le déchirer. On ne va pas embêter les spectateurs avec cette question. La négociation peut se faire sur la base du traité qui prévoit que c’est une décision politique qui appréciera ou non si, en tendance, les critères sont respectés ou non par les différents pays. Point final !
F. Bayrou : Donc, vous êtes d’accord avec moi. Sur ce point, vous dites qu’on peut respecter les engagements pris sans trahir les intérêts du peuple français.