Interview de M. René Monory, président du Sénat, dans "Paris-Match" du 30 avril 1997, sur les raisons de la dissolution de l'Assemblée nationale, les enjeux du libéralisme dans les élections législatives de 1997 et l'Union économique et monétaire.

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Circonstance : Annonce par le Président Chirac le 21 avril 1997 de la dissolution de l'Assemblée nationale

Média : Paris Match

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Paris Match : Vous êtes un fervent partisan de la dissolution, plus convaincu encore depuis votre récent retour des Etats-Unis. Quels ont été vos arguments auprès de Jacques Chirac ?

René Monory : Je lui ai dit que la France est en péril, qu’il n’y a plus de temps à perdre. Le monde va tellement vite, notamment aux Etats-Unis, que si le pays était resté bloqué un an à cause de l’incertitude électorale, ce sont quatre ou cinq ans qui auraient été perdus. Une catastrophe.

Paris Match : Vous avez rencontré tous les grands patrons high-tech, notamment Bill Gates, P.D.G. de Microsoft, et Andy Grove d’Intel. Votre impression ?

René Monory : À eux deux, ils pèsent une capitalisation boursière égale au budget de la France, soit 1 500 milliards de francs. Quand, droit dans les yeux, ils vous expliquent que les mutations des dix prochaines années seront incomparablement plus spectaculaires que celles des cent cinquante ans passés, cela fait froid dans le dos et incite à se mobiliser.

Paris Match : Jacques Chirac souhaite faire baisser les impôts. Lesquels, selon vous ?

René Monory : Priorité absolue à la baisse des impôts sur le revenu. Les français doivent récolter le fruit de leurs mérites, de leur courage et de leur intelligence. Nous sommes le seul pays qui connaît des tranches supérieures à 55 %. Dans un premier temps, passons donc à 35 % ou 40 %.

Paris Match : La baisse de l’impôt des footballeurs vous semble-t-elle un bon coup d’envoi de la réforme ?

René Monory : Écoutez, je suis content de regarder nos footballeurs à la télé. Mais qu’ils jouent au Real de Madrid, à l’Inter de Milan ou à Düsseldorf m’est complètement égal. Cela me rend malade qu’on accorde autant d’attention à une poignée de footballeurs quand, parallèlement, on surtaxe les entreprises, et que l’impôt sur la fortune atteint de tels sommets qu’il fait fuir les capitaux hors de nos frontières.

Paris Match : Pour passer à l’ère moderne, la France a-t-elle besoin d’un libéralisme à la Thatcher, avec moins de protection sociale, moins d’impôts, plus de facilités à licencier…

René Monory : Le libéralisme n’est ni la foire d’empoigne, ni la jachère, ni l’abandon. Je suis un libéral pur-sang, mais je pense qu’il faut veiller à ne pas laisser des gens sur le bord de la route.

Paris Match : Avec Jacques Chirac, vous avez beaucoup parlé de l’Europe. Est-ce aussi, selon vous, l’argument majeur qui justifie la dissolution ?

René Monory : Je pense que l’euro est la principale révolution depuis la création de l’Europe, avec toutes ses conséquences, politique, fiscale et sociale. Notre pays doit aborder sans complexe cette phase cruciale qui va nous mener à la monnaie unique. Cette dernière doit se faire à l’heure dite, au 1er janvier 1999, avec le plus grand nombre de pays européens, sans doute une dizaine dès le départ. Comment voulez-vous que la France puisse se montrer forte et déterminée pour aborder cette échéance historique, si le couperet des élections est suspendu au-dessus d’elle ? Avec une nouvelle majorité pour cinq ans, elle pourra discuter, notamment face aux Allemands.

Paris Match : Lionel Jospin explique que derrière la dissolution se cache la volonté du gouvernement d’appliquer un plan de rigueur et celle d’échapper aux affaires. Qu’en pensez-vous ?

René Monory : J’ai une opinion plutôt gentille sur Jospin : il n’est pas surdoué pour faire de la politique ! Cela dit, il est pris au piège, sans idées, sans programme. Sa seule obsession est d’avoir coûte que coûte les communistes avec lui. Pour cela, il est bien obligé de faire monter les enchères.

Paris Match : Les premiers sondages indiquent que la majorité n’est pas du tout sûre de l’emporter. Etes-vous inquiet ?

René Monory : Pas du tout. Avec 40 % des voix nous avons 330 députés aujourd’hui à l’Assemblée, et les sondages nous créditent déjà de 39 %. Par ailleurs, le P.S. a choisi d’investir des candidats sympathiques mais totalement inconnus. Je ne vois pas comment ou pourrait perdre.