Texte intégral
Le Point : Pensez-vous, comme certains, que la concomitance entre le calendrier électoral français et le calendrier européen est une difficulté qui justifierait des élections législatives anticipées ?
Charles Millon : Quel que soit le calendrier électoral, l’Europe sera un des thèmes dominant, discriminants du débat politique. Elle doit l’être. Durant des décennies, on a voulu faire l’économie de l’explication de la démarche européenne. Les Français ont fait savoir en 1992, lors du débat sur Maastricht, qu’on n’adhérait pas à une technique, mais à un projet. Si l’Europe st un espace économique, alors, oui, elle peut être traitée techniquement entre bureaucrates. Si elle doit être une puissance, ce que nous souhaitons, alors il faut une volonté politique et l’adhésion des citoyens.
Le Point : Ne craignez-vous pas que les législatives ne se transforment en référendum pour ou contre l’Europe ?
Charles Millon : Les hommes politiques ont tendance à croire que la meilleure façon de durer, c’est de ne pas parler des problèmes. Je pense exactement le contraire. Laisser le débat européen en friche politique favorise les faux clivages.
Le Point : Il y a, néanmoins, des risques de dérives…
Charles Millon : Oui, si les formations de la majorité ne portent pas ce projet européen, elles se rendront doublement coupables. D’abord, d’une dérive intérieure : les partis extrémistes se serviront de l’Europe comme du bouc émissaire de toutes les souffrances des Français. Ensuite, d’une dérive extérieure : aucune volonté européenne ne s’exprimera au-delà des gouvernements et l’Europe demeurera exclusivement une « affaire d’États ».
Le Point : Ne craignez-vous pas un rapprochement des antieuropéens au moment des législatives ?
Charles Millon : Il ne serait qu’alliance contre nature. Les partisans de l’Europe politique ne doivent pas avoir peur de la confrontation. C’est en l’évitant qu’ils donnent raison aux sceptiques.
Le Point : Les élections anticipées ne permettraient-elles pas de préparer la mise en œuvre de l’euro dans une grande sérénité ?
Charles Millon : Je le répète, on ne peut parler de politique intérieure sans parler de l’Europe. Mais seul le Président de la République peut savoir s’il doit « interroger » les Français à travers leur vote. Pour redresser la France et construire l’Europe, est-il nécessaire de « retremper » la volonté des Français ? Il en est le seul juge.
Le Point : Comment donner cette dimension politique au débat européen ?
Charles Millon : Les Européens de conviction ont pour devoir de se prononcer pour une Europe fédérale, respectant les nations, recevant des délégations de souveraineté dans des domaines déterminés, ayant pour vocation de peser dans l’ordre mondial. Où et comment un pouvoir européen doit-il s’exercer : c’est aujourd’hui la question décisive.
Le Point : Oui, mais c’est précisément l’Europe politique qui fait peur.
Charles Millon : Certains redoutent un super-État européen, niveleur des identités nationales. C’est exactement l’inverse de l’Europe politique que nous voulons. La mission de l’Europe n’est pas l’unité artificielle, mais l’union. Elle n’est pas l’harmonisation tatillonne d’un espace technocratique, mais l’harmonie effective d’un espace politique. Faire l’Europe, c’est apprendre à vivre ensemble.
Le Point : Les Français ne semblent pas convaincus que ce territoire nouveau leur permettra de mieux vivre…
Charles Millon : Il y aujourd’hui une vraie campagne d’information et d’explication à mener. Contre les sirènes de la fin de la France et du repli sur soi. Contre les faux prophètes qui font croire aux Français qu’on les dépossède. Le niveau de vie des Français ne serait pas ce qu’il est si l’Europe n’existait pas. Le couronnement de l’Europe économique par l’Europe politique – Jacques Chirac l’avait dit dans sa campagne présidentielle – est donc bien une urgence, sinon l’Europe économique se délitera sous les coups de boutoir des autres grandes puissances et des entreprises multinationales.
Le Point : Mais, on l’a vu avec la fermeture de l’usine Renault de Vilvorde, les Français doutent que l’Europe soit un rempart face à la mondialisation de l’économie.
Charles Millon : C’est précisément la mondialisation de l’économie qui rend l’Europe aussi nécessaire. Regardes les États-Unis : leur industrie d’armement est conquérante parce qu’ils ont une demande intérieure qui rentabilise les productions. La mise en œuvre de l’espace économique européen permettra aux entreprises européennes d’avoir les mêmes atouts. Instruire, comme le font certains, le procès de l’Europe du chômage, c’est encore une fois diaboliser l’Europe. Seul un sursaut politique peut la sauver du scepticisme et du désenchantement. De Gaulle ne disait pas autre chose : « Si la construction européenne n’est pas l’Europe des peuples, si elle est confiée à quelques organismes technocratiques plus ou moins intègres, elle sera une histoire pour professionnels limitée et sans avenir.