Texte intégral
O. Mazerolle : La démission de D. Strauss-Kahn affaiblit-elle le gouvernement Jospin sur la scène européenne ?
D. Cohn-Bendit : En tout cas, ça ne le renforce pas pour l'instant, étant donné que D. Strauss-Kahn était reconnu par ses pairs. Mais ça ne veut pas dire que le gouvernement de L. Jospin ne puisse pas surmonter cela, car son successeur est quelqu'un qui peut très bien s'imposer aussi dans les milieux d'affaires en Europe.
O. Mazerolle : Alors l'affaire de la MNEF, c'est une affaire de plus. Est-ce que la France commence à avoir la réputation d'être le pays des affaires au sein du Parlement européen ?
D. Cohn-Bendit : On est quand même surpris et j'avoue qu'il y a des tas de collègues qui nous demandent, ou qui me demandent, de leur expliquer aussi bien les affaires, la marie de Paris, la liaison entre Tiberi, Juppé, Chirac, que l'histoire de la MNEF et tous les politiques socialistes qui sont mêlés à cette histoire. Il faut avouer que ce système politique français est quand même assez incompréhensible en Europe.
O. Mazerolle : C'est inconcevable ailleurs ?
D. Cohn-Bendit : Non, il y a d'autres types d'affaires en Europe. Il y avait une affaire pour financer les partis politiques en Allemagne qui avait quand même touché une partie de la classe politique. Il y a beaucoup d'affaires en Italie. Ce sont d'autres affaires. C'est-à-dire que le monde dans lequel nous vivons avec quand même cette domination de l'argent et d'un certain train de vie, pousse quand même les pays aux affaires.
O. Mazerolle : Mais vous avez le sentiment que la France a moins fait le ménage que les autres ?
D. Cohn-Bendit : J'ai le sentiment que sur le financement des partis – même si je sais que l'histoire de Strauss-Kahn c'est pas tout à fait ça hein -, la France n'a pas été assez loin. Il faut vraiment payer pour la démocratie, pour qu'on ne soit pas l'objet de tentations. Le financement des partis, le financement de fondations politiques liées aux partis, tout cela n'est pas encore réalisé en France et je crois que c'est un problème.
O. Mazerolle : Vous êtes choqué qu'un ministre doive démissionner avant même d'avoir été mis en examen ?
D. Cohn-Bendit : Il y a un vrai problème là, qui est que la justice fasse son travail. Je suis absolument pour l'indépendance de la justice. Mais en même temps, il faut qu'un ministre choisisse sa défense. Si un ministre, sûr de lui, dit : eh bien, pour moi, il y a aucun problème, tout ça est une erreur et je veux rester ministre ; très bien, je crois qu'il doit pouvoir choisir sa défense. Sinon, un juge peut faire de la politique et ça aurait une autre tentation quand même un peu dangereuse.
O. Mazerolle : Mais ailleurs, on pourrait imaginer en Europe, je ne sais pas moi en Allemagne par exemple, qu'un ministre mis en accusation comme le ministre Strauss-Kahn reste à son poste malgré tout ?
D. Cohn-Bendit : Tant qu'il n'y a pas eu son procès oui. Il y avait le ministre de l'économie de l'époque, M. Lambsdorf, qui était au centre d'un scandale de financement des partis, et qui est longtemps resté ministre alors qu'il était mis en accusation.
O. Mazerolle : Jusqu'à présent, malgré la cohabitation, la France avait présenté un front uni dans les enceintes européennes, la dispute Chirac/Jospin peut changer tout ça ?
D. Cohn-Bendit : Il ne faut pas exagérer non plus. Ce sont quand même deux hommes responsables qui vont devoir s'entendre pendant la période de la présidence française dans six mois, à la présidence européenne. Non, je crois que les deux s'énervent un peu parce que c'est quelque chose de nouveau, deux ans et demi de cohabitation encore deux ans et demi…
O. Mazerolle : C'est long, hein.
D. Cohn-Bendit : Ça, ce sont les problèmes des couples qui vivent depuis une trentaine d'années ensemble ! En politique ça va un peu plus vite.
O. Mazerolle : Et puis on le sait, il n'y a pas d'amis de 30 ans !
D. Cohn-Bendit : Il n'y a pas d'amis de 30 ans et surtout à ce niveau. Mais le problème c'est que, aussi bien Chirac et Jospin, savent qu'ils sont, disons, dans les premiers tours des éliminatoires de la coupe qu'est la présidentielle, donc chaque incident politique est vu en perspective de cette présidentielle. C'est la maladie de la Ve République.
O. Mazerolle : Ça tangue au sein de la majorité plurielle, M. Gremetz a jeté des noms socialistes en pâture hier et s'est excusé, mais malgré tout, la démarche demeure. Alors les Verts qu'est-ce qu'ils vont faire ? Vont-ils faire les infirmiers auprès du Parti socialiste ?
D. Cohn-Bendit : Les Verts ont la chance – ce n'est pas qu'ils soient des personnages politique au-dessus de tous soupçons-, d'être arrivés dans ce milieu politique officiel après. Donc pour l'instant, ils ne sont pas dans la tourmente, j'espère qu'ils ne le seront jamais. Non, ce que les Verts doivent faire, c'est de bien faire la différence entre les attaques personnelles et essayer de comprendre les problèmes qu'il y a derrière les affaires. Quand il s'agit d'un problème de financement des partis, de défendre le financement des partis, de ne pas faire d'opportunisme, de bien dire publiquement que la démocratie ça coûte ; ou quand il s'agit d'un problème de style de vie, de mode de vie. Je crois que dans la MNEF, ce qui dérange surtout, c'est qu'un parti peut-être, ou que des individus, aient pris autant d'argent à une mutuelle, même pour être payés, d'avoir fait quelque chose à une mutuelle étudiante a fonctionné comme Elf ou je ne sais quelle grande entreprise, le Crédit Lyonnais par exemple. C'est ça qui est choquant dans cette histoire de la MNEF.
O. Mazerolle : Vous souhaitez vraiment que la justice aille au bout des investigations et quels que soient les noms mis en cause ?
D. Cohn-Bendit : Cela me paraît la moindre des choses. Vous n'allez quand même pas croire que je vais dire sur RTL maintenant moi, que je souhaite qu'on cache tout.
O. Mazerolle : Oui, mais ça peut faire mal au PS.
D. Cohn-Bendit : Mais ça ferait du bien à la démocratie. La force de la démocratie et la force du PS ? j'en suis sûr, c'est justement de sortir cela. Malheureusement, plus compliqué que ça. Ça n'a pas fait tellement mal au RPR cette histoire de la mairie de Paris où quand même, sont mêlés des gens comme, encore une fois, Tiberi, Juppé. Certes, il y a un fort Chabrol autour de Chirac et tout le monde sait que quand il était maire de Paris, toutes ces histoires étaient en cours. Ce qui est terrible, c'est qu'on a l'impression des fois que l'opinion publique tout en faisant la choquée, accepte que les affaires fassent partie de la démocratie, c'est ça qui est aussi un peu le problème de l'histoire.
O. Mazerolle : Où en est votre dossier de naturalisation ?
D. Cohn-Bendit : Mon dossier de naturalisation est au point mort pour l'instant. C'est à moi de prendre la décision d'accepter le risque de perdre la nationalité allemande.
O. Mazerolle : Et alors ?
D. Cohn-Bendit : J'hésite parce que tout ça me paraît complètement ridicule. Cela doit se faire dans les trois semaines là, il faut que je fasse la demande. Là j'ai prolongé ma nationalité allemande, parce que j'essaye de démontrer que je veux vraiment les deux et c'est, enfin j'ai prolongé mon passeport, mais tout ça, est une histoire complètement idiote. Vraisemblablement, ça va m'obliger à changer de nationalité tous les quatre ans.
O. Mazerolle : Alors est-ce qu'on vous verra faire campagne au quartier Latin, dans le 5e arrondissement pour les municipales à Paris ?
D. Cohn-Bendit : On me verra faire campagne dans tous les quartiers à Paris.
O. Mazerolle : Pas seulement au quartier Latin.
D. Cohn-Bendit : Pas seulement au quartier Latin, mais pas parce que je serai candidat.
O. Mazerolle : Vous ne serez pas candidat ?
D. Cohn-Bendit : Je ne serai pas candidat.
O. Mazerolle : C'est formel ? Juré, craché ?
D. Cohn-Bendit : Il ne faut jamais jurer, cracher.
O. Mazerolle : Croix de bois, croix de fer, si je mens je vais en enfer.
D. Cohn-Bendit : Ça jamais ! Parce que je n'y crois pas. Alors vraiment ça serait mentir. Je ne crois ni au ciel ni à enfer. Je suis député européen, j'aime ça et il y a des tas de gens qui rêvent de la mairie de Paris, au moins qu'ils réalisent leur rêve.