Interviews de M. Jean-Louis Debré, ministre de l'intérieur, à France 2, RMC et France 3 le 7 mai 1997, sur "l'élan partagé" prôné par le Président de la République, la campagne des élections législatives de 1997 et la lutte contre l'immigration clandestine et l'insécurité.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Article de M. Jacques Chirac, Président de la République, parue dans 14 quotidiens régionaux le 7 mai 1997, intitulée "L'élan partagé" (à propos des prochaines élections législatives)

Média : Emission Forum RMC FR3 - Emission Les Quatre Vérités - France 2 - France 3 - RMC - Télévision

Texte intégral

Date : Mercredi 7 mai 1997
Source : France 2 / Édition du matin

G. Leclerc : J. Chirac publie, ce matin, dans 14 quotidiens régionaux, une tribune avec pour titre : « L’élan partagé. » Qu’en retenir ? Est-ce la relance d’une campagne qui patine un peu ou un appel à la confiance ?

J.-L. Debré : Je crois que c’est un recadrage. Que dit J. Chirac ? Il dit : « Quand j’ai été élu, j’ai fixé un cap. Pour atteindre ce cap, il y a eu une première étape, étape où il a fallu faire un effort pour solder les comptes socialistes. Maintenant commence une nouvelle étape où, ensemble, on va lutter avec plus d’efficacité contre le chômage. Bref, la première période, nous avons payé la facture socialiste ». Il faut savoir que, lorsque nous sommes arrivés au pouvoir, l’endettement de la France était considérable.

G. Leclerc : Il y a eu M. Balladur entre-temps.

J.-L. Debré : Oui, il y a eu M. Balladur pendant deux ans, mais il y avait eu les socialistes pendant 14 ans. Cela ne vous a pas échappé ! Or, nous avons, aujourd’hui, comme deuxième budget civil de la nation, le remboursement des dettes contractées par les socialistes. Nous empruntons pour rembourser les intérêts de la dette. C’est dire qu’il a fallu faire un effort considérable pour remettre la France à flots. C’est fait. Maintenant, nouvelle étape. Ensemble, arrivons au but, c’est-à-dire la lutte contre le chômage.

G. Leclerc : Mais quand vous voyez que 64 % des Français jugent le bilan des deux premières années de la présidence de J. Chirac de façon négative, qu’il y en a 32 % qui sont pour un changement, un vrai changement, qu’en pensez-vous ?

J.-L. Debré : Est-ce que vous voulez qu’un président de la République ou qu’un Premier ministre cherche à être populaire ou cherche à redresser la France ? Ce que je demande aux élus, c’est de ne pas flatter le peuple pour avoir de bons sondages d’opinions. Ce que je leur demande, pour mon pays, pour les Français, pour ceux qui sont au chômage, pour ceux qui ont des difficultés, c’est qu’on ait enfin un Gouvernement et un président de la République qui s’attaquent aux vrais problèmes plutôt que de chercher à être haut dans les sondages d’opinion.

G. Leclerc : J. Chirac ne prononce pas le nom d’A. Juppé dans sa tribune. Faut-il y voir une signification ?

J.-L. Debré : Aucune. L’élection législative, ce n’est pas la désignation d’un homme, c’est le choix d’une politique. J. Chirac pose la question de la politique. Ce qui est terrible, dans cette campagne électorale, c’est qu’on cherche à personnaliser. Je ne dis pas qu’il serait dramatique d’avoir M. Jospin pendant cinq ans ! C’est vrai que ce serait dramatique, mais ne polarisons pas : faisons en sorte que l’on discute des vrais problèmes, qu’il y ait un débat sur le fond, sur le problème du chômage, sur le problème de la sécurité, sur le problème de l’immigration. Ce sont ces problèmes qui préoccupent les Français.

G. Leclerc : On dit qu’il y aurait une deuxième intervention du chef de l’État, sans doute plus musclée. N’est-ce pas trop ? N’y a-t-il pas un risque plébiscitaire à force de s’engager comme cela dans la campagne ?

J.-L. Debré : D’abord, je ne sais pas s’il y aura une deuxième intervention du chef de l’État. Je crois tout à fait normal, conformément à la Constitution, que le président de la République, qui est l’arbitre et le guide de la nation, informe nos concitoyens des enjeux.

G. Leclerc : On dit le QG de campagne RPR-UDF préoccupé, que la campagne patine, que la majorité paraît sur la défensive, paraît improvisée. C’est votre sentiment ?

J.-L. Debré : Pas du tout. Je fais campagne dans le département de l’Eure. J’étais hier à Ézy-sur-Eure. J’y suis serein. J’y dis ce que nous avons fait. Je vois parfaitement qu’il y a des limites à notre action et que nous n’avons pas tout fait. Je prends les domaines qui sont les miens : la lutte contre l’insécurité. C’est une obsession pour moi, car le premier devoir de l’État, c’est d’assurer à chaque citoyen plus de sécurité. Il est vrai que, depuis deux ans, nous avons fait des efforts considérables. Il est vrai que, depuis deux ans, les résultats sont là : la délinquance a baissé, en France, de 10 % en deux ans, alors qu’elle avait augmenté de 25 % du temps des socialistes. Tout le monde le reconnaît. Mais naturellement, c’est insuffisant. De même, la lutte contre l’immigration irrégulière, illégale, contre les filières d’immigration illégale, contre le travail clandestin : il est vrai que nous avons fait une politique volontariste qui tranche avec celle qui avait été suivie par les socialistes où on avait favorisé les clandestins, régularisé les clandestins. J’ai parfaitement conscience que cette politique n’est pas encore assez volontaire, assez complète. Mais c’est une étape. Ce que nous faisons, dans la lutte contre l’immigration illégale, dans la lutte contre l’insécurité, c’est la restauration de la loi et de la République, alors que nos prédécesseurs, les socialistes, avaient, dans le domaine de l’insécurité, fait preuve d’un laxisme extraordinaire : souvenez-vous des lois d’amnistie qui avaient remis tout le monde en liberté. L’immigration : souvenez-vous de ce qu’avaient fait les socialistes, la régularisation des étrangers en situation illégale. Bref, ils avaient voulu que la loi ne soit pas respectée. Nous, nous revenons au respect de la loi.

G. Leclerc : Les socialistes ne sont-ils pas en train de retrouver une vraie crédibilité, ce que montrerait leur progression dans les sondages ? Sur la sécurité, ils veulent créer des postes de policiers.

J.-L. Debré : Il faut être sérieux : c’est de la démagogie ! Pendant 14 ans, ils ont laissé la sécurité aller à vau-l’eau dans le pays. Les chiffres sont là ! Ils ont fait en sorte qu’elle augmente de 25 % lorsqu’ils étaient au pouvoir. La lutte contre l’immigration illégale : ils disent qu’ils veulent lutter contre l’immigration illégale, mais quand ils sont arrivés au pouvoir, en 1981, ils ont régularisé les illégaux ; lorsqu’ils sont revenus une seconde fois, en 1988, ils ont recommencé. Et là, ils veulent faire disparaître les lois de 1993 et la loi que j’ai fait voter, qui sont des lois qui doivent simplement donner aux services de police, à l’État, les moyens de lutter contre l’immigration illégale. En réalité, ils sont dans une hypocrisie extraordinaire, car ils savent très bien que leur combat contre l’immigration illégale est un combat absurde qui est rejeté par l’ensemble des Français, parce que si l’on veut intégrer à la communauté nationale les étrangers en situation régulière, il faut être intransigeant à l’égard de ceux qui sont en situation illégale. Ça, ils ont bien compris leur décalage entre leurs thèses et ce que veulent les Français. Alors, ils font de l’hypocrisie : ils mettent un coup de peinture, mais ils n’ont pas changé. Pourquoi voulez-vous qu’ils soient différents de ce qu’ils ont fait dans le passé ?

G. Leclerc : On vous a reproché une phrase que vous avez prononcée la semaine dernière, quand vous avez comparé les immigrés clandestins à des gens qui viennent voler dans le frigidaire des Français. Vous regrettez ces propos de campagne ?

J.-L. Debré : Ce sont des propos de campagne. Mais je n’accepte pas des procès d’intention de la part de certains qui, lorsqu’ils étaient au pouvoir, ont fait voter une loi électorale pour faire venir au Parlement des extrémistes.

 

Date : Mercredi 7 mai 1997
Source : RMC / Édition du soir

J.-L. Debré : Je dis que pour un nouvel élan, il faut un nouveau Premier ministre. Et c’est la question que l’on nous pose tous les jours. On nous dit : « oui, d’accord on va garder la majorité », mais pour un nouvel élan, il faudrait annoncer qu’un Premier ministre soit à la tête d’un nouveau gouvernement. Et effectivement, je crois que ce n’est pas la peine de se masquer la vérité, il y a la demande dans la population française, parmi les électeurs, qu’il y ait un changement de Premier ministre. Et je crois qu’il faut qu’il y ait un signal un peu plus fort, et qu’on nous dise : « oui, il y aura un nouveau Premier ministre. » Et que peut-être le président de la République le laisse entendre, ou le fasse dire, ou accepte qu’on le dise.

RMC : Et selon vous, qui sont les premiers ministrables ?

J.-L. Debré : Écoutez, je ne suis pas président de la République. Moi, je sais quel est mon sentiment, je l’ai écrit : j’aime beaucoup Philippe Séguin et Édouard Balladur, les deux. Peut-être me direz-vous, ils sont antagonistes l’un de l’autre. Non, ce n’est pas vrai. Mais ce n’est pas à moi de les choisir. Mais c’est deux hommes de cette trempe-là.

RMC : Est-ce que vous pensez que cette ambiguïté sur le successeur d’Alain Juppé fait les affaires de la gauche ?

J.-L. Debré : Incontestablement.

 

Date : Mercredi 7 mai 1997
Source : France 3 / Édition du soir

France 3 : Un mot sur la tribune du président de la République : comment expliquer que la majorité ait besoin du soutien du chef de l’État, seulement deux semaines et demi après que la campagne ait débuté ?

J.-L. Debré : Cette tribune ne s’adresse pas seulement à la majorité. Le président de la République, de par les institutions, est à la fois l’arbitre et le guide de la nation. Et il est normal qu’il indique aux Français là où ils veulent aller. Nous avons connu deux étapes. Une première étape – les deux premières années du septennat de J. Chirac – où il a fallu remettre la France à flot. Je prends, un exemple. Il faut savoir qu’aujourd’hui, le deuxième budget civil de la nation, c’est le remboursement des dettes. On ne peut rien faire avec un pays endetté – remboursement des dettes socialistes ! Par conséquent, ces deux années ont été des années d’efforts. Le Gouvernement s’est mobilité pour remettre notre pays à niveau. Et maintenant, J. Chirac trace la direction. Et pour arriver au but, eh bien, il faut un nouvel élan.

France 3 : Est-ce qu’il vous semble normal que le chef de l’État intervienne aussi vite dans la campagne ?

J.-L. Debré : Si vous reprenez le général de Gaulle, G. Pompidou, V. Giscard d’Estaing et F. Mitterrand, ils sont tous intervenus dans la campagne électorale, selon leur volonté et selon leurs caractéristiques. Alors, il était bon qu’au début de cette campagne électorale, J. Chirac dise : voilà ce que nous avons fait, voilà où je veux conduire la France, et j’ai besoin que les Français m’accompagnent dans cette direction.

France 3 : On a l’impression que le discours n’a pas vraiment changé entre, avant la dissolution, ou après la dissolution ?

J.-L. Debré : Je ne crois pas. Quand on est sur le terrain – je reviens de mon département de l’Eure – on voit très bien les choses. Les Français ont très bien compris qu’ils avaient un choix clair. Je vais prendre quelques exemples très précis. Dans le domaine des finances – c’est essentiel pour faire vivre un pays ! – eh bien, il y a, d’une part, les socialistes. Pendant douze ans, le déficit a été multiplié par dix. Depuis deux ans, nous essayons, et nous arrivons, de combler ce déficit Autre domaine, celui de la sécurité, que je connais bien. Eh bien, ils ont à choisir entre les socialistes qui, lorsqu’ils étaient au pouvoir ont fait que les crimes et délits ont augmenté de 25 % ; et nous, pendant deux ans, nous avons fait baisser de 10 % ces crimes.

France 3 : On va parler de l’immigration si vous voulez, parce que c’est un des thèmes qui vous est cher. Justement, comment est-ce que vous réagissez lorsque les socialistes disent : si jamais nous parvenons à gagner ces élections et s’il y à cohabitation, nous allons abroger les lois Pasqua et les lois Debré ?

J.-L. Debré : Non, mais attendez, les socialistes dans le domaine de la lutte contre l’immigration clandestine, ils ont une politique qu’ils ont marquée pendant les 14 années ou les 12 années qu’ils étaient là. Quelle était cette politique ? Eh bien, on régularise les étrangers en situation illégale. Ils l’ont fait en 1981, ils l’ont fait en 1988 et ils continueront. Et face à cette politique, nous avons une autre politique qui consiste, pour intégrer les étrangers en situation régulière, à être intransigeants à l’égard des étrangers en situation illégale. Par conséquent, le choix est clair entre les Français : est-ce que vous voulez que l’on fasse, si c’est les socialistes, comme ils ont fait, à savoir : « régularisons, acceptons tous les étrangers en situation illégale », ou est-ce que nous disons : « avec nous, eh bien, il faut que la loi soit la même pour tous et qu’en France, il n’y ait que des étrangers en situation régulière, et pour les intégrer, il faut lutter contre l’immigration illégale ».

France 3 : Alors J.-L. Debré, vous, vous êtes au ministère de l’Intérieur. Donc, vous surveillez l’opinion française, vous voyez ça de très près. Comment est-ce que vous expliquez, après deux semaines et demi de campagne, alors que chaque parti a plutôt bien exposé son programme, qu’il y ait toujours autant d’indécis.

J.-L. Debré : Ce n’est pas nouveau. Si vous prenez la plupart des consultations électorales, le nombre des indécis diminue plus on s’approche du scrutin. Mais je crois qu’après la tribune de J. Chirac, après le fait d’avoir bien placé le débat, il y a ce que nous avons fait et il y a maintenant les perspectives nouvelles. Et en voyant bien ce qui sépare la majorité de la gauche dans le domaine des finances, dans le domaine du chômage, dans le domaine de la sécurité et dans le domaine de la lutte contre l’immigration illégale, eh bien, les Français ont maintenant dans leurs mains la possibilité soit de revenir en arrière, soit de regarder l’avenir avec espérance.