Interview de M. Alain Juppé, Premier ministre et président du RPR, à France-Inter le 5 mai 1997, sur les projets économiques de la majorité dans le cadre des élections législatives de 1997, l'emploi, l'Europe et la réforme fiscale.

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Circonstance : Campagne des élections législatives des 25 mai et 1er juin 1997

Média : France Inter

Texte intégral

A. Ardisson : C’est le premier jour de la campagne officielle, avec deux constats : il y a inflation de candidats – 20% de plus – et des sondages qui montrent un resserrement entre la droite et la gauche, et même dans les intentions de vote, la gauche vous devançant dans les deux derniers sondages. Tout ceci avec beaucoup d’incertitude, les sondeurs sont prudents eux-mêmes. Mais le plus intéressant, c’est la marge de ceux qui ne se prononcent pas ou qui disent pouvoir encore changer d’avis : plus du tiers des électeurs, 35-36%. Comment allez-vous les séduire ? En essayant de gagner l’élection au centre ou, au contraire, en radicalisant le propos, les explications pour bien marquer les différences entre les deux camps ?

A. Juppé : J’ai toujours pensé que l’élection serait très disputée. Le rapport des forces en France, on le connaît : il est serré. Ce qu’il nous faut faire dans les trois semaines qui précèdent le premier tour, c’est expliquer davantage et bien mettre en exergue nos propositions pour les années qui viennent. Les principaux responsables de la majorité s’y emploient. Il faut aller sur le terrain. C’est ce que je fais moi-même. Il faut le faire dans l’union. C’est tout l’enjeu d’une campagne.

A. Ardisson : Mais chacun a mis un peu d’eau dans son vin : on voit que le Parti socialiste a affiné son projet économique et que, de votre côté, vous avez gommé dans les propos tout ce qui pouvait paraître pas trop libéral.

A. Juppé : Je ne ressens pas les choses ainsi. Je trouve que le programme du Parti socialiste, surtout quand on le compare avec ce qui se fait ailleurs en Europe, dans des partis qui se disent frères, c’est à la fois : cap sur les années 1980-1990 – on pourrait le démontrer et on en dira peut-être un mot – et c’est en même temps beaucoup d’impréparation et beaucoup d’improvisation. On le voit sur beaucoup de sujets. Exemple, l’immigration : quelle est la seule annonce concrète ? On abroge les lois Pasqua-Debré, mais on ne nous dit absolument pas ce que l’on met à la place. Deuxième exemple : tout ce qui concerne l’assurance-maladie. On critique, encore que ça se fasse à demi-mot, la réforme que nous avons mise en place, mais on ne nous dit pas ce qu’on fera. Et puis, il y a des choses qui sont vraiment tout à fait improvisées : je pense notamment aux huit points de CSG. Tel que c’est annoncé, c’est une pénalisation des titulaires de petits revenus. Donc, voilà, me semble t-il, ce qui ressort de ce programme. En ce qui nous concerne, je n’ai jamais été situé dans tel ou tel camp d’idéologie économique. Vous parlez de libéralisme ou d’hyperlibéralisme, mais ce que nous essayons de faire, c’est de tenir les deux objectifs que le président de la République s’est fixés depuis 1995, c’est-à-dire libérer l’initiative et en même temps resserrer la solidarité. Voilà nos deux objectifs.

A. Ardisson : Y a-t-il un effet T. Blair sur la campagne ? Il était assez plaisant de voir ce week-end chacun des deux camps revendiquer sa victoire. Est-ce parce que cette victoire modifie la donne européenne ?

A. Juppé : Cela modifie la donne britannique. Je ne suis pas sûr que cela modifie la donne française. Il est très amusant de voir comment chacun essaye effectivement de s’emparer de ce résultat électoral. J’ai entendu, en ce qui me concerne, M. Blair dire qu’il gouvernerait au centre. C’est son affaire. Je crois que le Parti socialiste et le Parti communiste gouverneraient à gauche. C’est dire la différence !

A. Ardisson : Et vous ?

A. Juppé : Je suis gaulliste, vous le savez, mais je me sens, d’une certaine manière, plus proche du centre que de la gauche. C’est clair et ça ne surprendra personne. Je crois surtout qu’il faut sortir un peu des théories. Ce que nous nous efforçons de faire, c’est une campagne pragmatique, qui tienne compte des réalités. Je vais prendre un exemple qui est au cœur de nos propositions : l’aménagement du temps de travail. Je sais que les Françaises et les Français souhaitent disposer davantage de temps libre. C’est le sens de l’histoire, on le voit bien depuis des décennies, mais il y a façon et façon de le faire. La première façon, c’est la façon des années 1981, on fait une loi, l’État intervient, il impose une norme pour tout le monde. On nous dit 35 heures aujourd’hui. Je ne crois pas que ça marchera. Dans les années 80, ça n’a créé aucun emploi et ça a déstabilisé beaucoup de petites entreprises. Et puis, il y a la façon moderne de le faire, celle de la loi Robien, par exemple, qui est adaptée à la situation de chaque entreprise, qui se négocie dans l’entreprise avec des contreparties, et qui marche puisque cela a permis de sauver des dizaines de milliers d’emplois.

A. Ardisson : Beaucoup de vos partisans ne l’aiment pas : ils ne cessent de tirer à boulets rouge sur elle.

A. Juppé : Ah non, pas du tout. Peut-être dans le passé, mais maintenant…

A. Ardisson : Le temps de la campagne ?

A. Juppé : Non : on a des résultats sur cette loi. Plusieurs instituts indépendants ont fait un bilan de la loi Robien et montrent qu’elle est positive. Je vous renvoie à notre plate-forme RPR-UDF. Elle est inscrite dans ce que nous allons non seulement maintenir mais essayer de développer.

A. Ardisson : Une autre différence avec la Grande-Bretagne, c’est la Constitution : quand ils votent pour un parti, ils savent pour quel Premier ministre ; ici, les électeurs de gauche ont une petite chance d’avoir Jospin…

A. Juppé : Qui le sait, ça ?

A. Ardisson : S’ils votent à droite, ils ne sont pas sûrs d’avoir Juppé ou de ne pas l’avoir. Ne serait-il pas plus clair et plus démocratique de le savoir vraiment ?

A. Juppé : Il faudrait alors changer de Constitution. Il faudrait que le président de la République devienne la Reine d’Angleterre, puisque vous faites un parallèle avec la Grande-Bretagne. Ce n’est pas tout à fait cela. Nous sommes sous la Vème République, c’est le président qui fixe le cap et c’est lui qui, aux termes de la Constitution, choisit le Premier ministre. Ce n’est pas tel ou tel qui s’autoproclame Premier ministre.

A. Ardisson : Il pourrait justement nous éclairer sur ce sujet, puisqu’on parle d’une intervention le 7 mai, jour anniversaire de son élection.

A. Juppé : Je n’en sais rien. Vous dites « éclairer » : mais enfin, le premier éclairage, c’est de savoir qui gagne les élections. Le président de la République ne va pas anticiper sur les résultats pour dire « Voilà le Premier ministre que je choisirai ». Il ne faut pas mettre la charrue avant les bœufs. Cette espèce de course à la candidature à Matignon a quelque chose d’un peu risible.

A. Ardisson : Sur l’intervention de J. Chirac le 7 mai, vous dites que vous n’en savez rien. Vous sembliez, hier, plus sur de vous.

A. Juppé : Ah bon ? Où ça ?

A. Ardisson : Dans Le Journal du Dimanche.

A. Juppé : Ah non. J’ai dit qu’il était normal que le président de la République fasse connaître son sentiment. Il l’a toujours fait, d’ailleurs, sous la Vème République. On pourrait prendre tous les présidents successifs : quand il y a eu une élection législative, ils ont tous fait savoir ce qu’ils avaient l’intention de faire et avec qui ils souhaitaient le faire. Mais je n’ai pas de lumière particulière sur le moment et la manière dont le président choisira de le faire.

A. Ardisson : Venons-en au programme. L’emploi est le plus important. Vous critiquez vivement les 700 000 emplois promis par les socialistes en disant que ça va alourdir les impôts, ce dont ils se défendent. Dans le même temps, vous dites également qu’il faut redéployer les aides à l’emploi improductives et inefficaces. N’est-ce pas la même chose, mais sans les promesses ?

A. Juppé : C’est tout à fait le contraire. D’abord, il est important de savoir d’où l’on vient : il y a eu, depuis le début des années 80, deux législatures socialistes, de 1981 à 1986, et de 1988 à 1993. Sous chacune de ses législatures socialistes, le chômage a augmenté de 700 000 personnes environ. Depuis 1993, nous avons stabilisé les choses. C’est loin d’être satisfaisant. Le chômage des jeunes diminue pour le sixième mois consécutif et l’économie française est redevenue créatrice d’emplois : plus de 200 000 emplois créées depuis 1993. C’est donc dans cette voie qu’il faut continuer. C’est là qu’il faut amplifier. Alors, on voit deux démarches tout à fait contradictoires. La première, qui est celle des socialistes, qui est de dire : faisons des emplois publics ou subventionnés par l’État – 700 000. Cela va couter très cher, ça va d’une part dégrader le déficit, et c’est la raison pour laquelle les socialistes ont décidé de tourner le dos à l’Europe et de ne pas faire la monnaie unique parce qu’ils savent qu’ils ne pourront pas, avec ces dépenses supplémentaires, et à un moment où à un autre, ça pèsera sur les impôts. Nous, nous disons : il faut permettre aux petites et moyennes entreprises de créer des emplois parce que c’est là qu’est la vraie richesse de notre pays. Et pour leur permettre, il faut baisser les impôts, donner plus de place à l’initiative et à la responsabilité. Je crois qu’il y a là vraiment, en matière d’emploi, deux approches profondément différentes. Une qui me semble passéiste et l’autre qui me semble aller dans le sens de l’avenir.

A. Ardisson : Sur l’Europe comme sur les impôts, vous n’ignorez pas qu’ils contestent vos propres critiques ?

A. Juppé : Mais moi, je lis les documents !

A. Ardisson : Justement, on ne parle plus du débat ?

A. Juppé : Si, on en parle, moi j’en parle et nous en parlons d’ailleurs ce matin.

A. Ardisson : Non, je parle du débat mutuel.

A. Juppé : Mais M. Jospin l’a refusé, alors on en est là. Je voulais dire que, sur l’Europe, on en parle et moi, j’ai bien entendu M. Jospin dire qu’il fallait remettre en cause le calendrier et les critères de la monnaie unique. Il l’a dit. Je sais qu’il a été démenti quelques jours après par certains de ses amis mais il l’a dit, et je crois qu’il a raison de le dire parce que l’application du programme socialiste, c’est plus de dépenses, c’est donc plus de déficits et ça nous fait sortir des clous avec toutes les conséquences que cela comporte et qui seraient, je crois, extrêmement graves en Europe. Parce que si on ne le fait pas en 1998-1999, avec tout ce que ça apportera aux Français en termes de développement économique et d’amélioration de leur vie, on le fera peut-être dans 10 ou 15 ans, mais ça sera bien tard.

A. Ardisson : Vous dites que le premier acte de la nouvelle législature sera un débat d’orientation budgétaire. Par les temps qui courent, les Français entendent : il va falloir se serrer encore une fois d’un cran la ceinture. Que pouvez-vous dire pour les dissuader ou pas, d’ailleurs ?

A. Juppé : Je crois que là-dessus, les engagements sont clairs, le président de la République l’a dit, tous les membres de la majorité l’ont dit, nous nous y sommes engagés de manière solennelle dans la foulée de ce que nous avons commencé à faire en baissant les charges sur les bas salaires au mois d’octobre dernier et sur l’impôts sur le revenu en 1997 ; nous voulons poursuivre dans cette voie. Ce qui veut dire évidemment qu’on ne jettera pas l’argent par les fenêtres, que je ne promets pas de dépenser des dizaines de milliards supplémentaires comme le font les socialistes, mais nous nous engageons, en étant sérieux, en gérant bien les choses, à poursuivre la baisse des impôts et des charges parce que c’est indispensable pour libérer l’initiative et la responsabilité. Ce n’est pas un choix fait en l’air, c’est un choix pour l’emploi. C’est de là que viendront les créations d’emploi.

 

Questions des auditeurs - France inter

Alexandre (Toulouse) : Si J. Chirac vous demande d’être à nouveau Premier ministre de la France, est-ce que vous accepteriez ? Après deux ans d’expérience, quelle fonction préférez-vous ? Être maire de Bordeaux ou Premier ministre de la France ?

A. Juppé : Je répondrais volontiers à cette deuxième question. Le jour où la législation aura été modifiée, pour moi comme pour les autres – parce que je ne suis pas le seul dans ce cas, beaucoup de ministres sont également maire ou président de conseil général – je choisirai sans hésitation mon mandat de maire parce que c’est celui qui m’apporte, sans doute, le plus de satisfactions, le plus de contacts, de proximité avec mes concitoyens. Quant à la première question de votre auditeur, j’ai déjà répondu que je n’étais pas candidat à ma succession.

J.-L. Hees : La question était bien formulée puisqu’il vous disait « si on vous le propose ».

A. Juppé : Ne bâtissons pas de château en Espagne. Je ne suis pas candidat à ma succession et le président de la République avisera d’abord en fonction des résultats des élections. La préoccupation des uns et des autres doit être d’abord de gagner ces élections – enfin, notre préoccupation – pour appliquer un projet. Oublions un peu les hommes. Je sais bien qu’il est facile de caricaturer les qualités et les défauts des hommes politiques, heureusement d’ailleurs, c’est la démocratie, mais je ne souhaite pas me placer sur ce terrain. Je pourrais, si je le voulais aussi, caricature mon adversaire comme il passe son temps à le faire. C’est un de ses sujets essentiels de campagne. Moi, je ne trouve pas cela très intéressant. Je préfère parler de nos projets respectifs.

Ghislaine (Aisne) : Qui dirige la France actuellement puisque tous les ministres, ou presque, sont actuellement en campagne ?

A. Juppé : Ah, mademoiselle, c’est la démocratie. Dans toutes les démocraties, pendant les campagnes, les membres du gouvernement, qui sont des responsables politiques, font campagne mais ils continuent à gouverner. Le Conseil des ministres se tient très régulièrement. La semaine dernière, par exemple, nous avons approuvé au Conseil des ministres un texte extrêmement important pour l’avenir de l’agriculture française, qui est la loi d’orientation agricole qui fixe les perspectives de notre agriculture pour les quinze prochaines années. Et mercredi, il y aura aussi un Conseil des ministres. Bref, les ministres sont aux commandes de leurs administrations respectives.

J.-L. Hees : Vous êtes rassurée Guislaine ?

Guislaine : Moyennement, parce que je crois que ce sont des super-hommes. Ils arrivent à faire plus de travail que tout le monde et cela m’épate. Moi, je ne crois pas que l’on puisse bien faire autant de choses avec 24 heures par jour.

A. Juppé : Cela voudrait dire, mademoiselle, si je vous suis bien, que les ministres ne pourraient même plus être candidats aux élections ! Alors, on en arrive vraiment à une conception de la démocratie qui risque d’être réductrice. On veut déjà que les ministres ne puissent plus avoir de mandats locaux – moi, je suis d’accord et j’ai dit que je le proposerais – mais je pense que cela présentera quelques inconvénients parce qu’ils seront ainsi moins reliés aux réalités du terrain, ce qu’on leur reproche souvent. Si, en même temps, on les empêche de faire campagne alors il faut désigner comme ministres des fonctionnaires. C’est la pente naturelle vers laquelle votre analyse conduit. Regardez ce qui se passe en Angleterre, en Allemagne, en Italie, en Espagne. Dans toutes les démocraties, les ministres sont des responsables politiques. Sans cela, je le répète, on va résolument vers la technocratie. Je pense que cela mérite d’y réfléchir.

Benoit (Dreux) : Je suis professionnel du foyer jeunes travailleurs sur Dreux, ville récemment conquise par un maire qui est aussi député RPR. Je me permets d’illustrer la politique de la jeunesse menée aujourd’hui, à travers quatre exemples. A Dreux, le foyer jeunes travailleurs, qui est au cœur de la ville, va fermer avec la complicité de l’église locale. Les jeunes en centre-ville, cela dérange, paraît-il. La réforme des aides au logement, l’APL, va taxer les jeunes aux ressources irrégulières. En avez-vous conscience ? La fiscalisation des restaurants associatifs va augmenter les charges de nourriture des jeunes. Ils n’ont déjà pas grand-chose ! Quant à votre précipitation à dissoudre l’Assemblée, cela va empêcher de nombreux jeunes, qui n’ont pas eu le temps de s’inscrire sur les listes électorales, d’exprimer leur vote. Voulez-vous vraiment une jeunesse citoyenne ?

A. Juppé : Oui, sans hésitation, je réponds « oui » à cette question. Je crois que vis-à-vis des jeunes, nous avons fait des efforts considérables. Je disais tout à l’heure, je crois, que c’est le sixième mois consécutif de baisse du chômage des jeunes. Cela n’était pas arrivé depuis bien longtemps. Je ne vais peut-être pas pouvoir reprendre, Monsieur, et vous me le pardonnerez, toutes vos questions qui étaient nombreuses. En ce qui concerne la réforme de l’APL – l’aide personnalisée au logement – elle a été négociée avec les associations familiales qui s’intéressent beaucoup à notre jeunesse et nous sommes arrivés à un accord qui exclut toute dégradation de la situation des plus défavorisés. En ce qui concerne la vie associative, je crois avoir été le Premier ministre, depuis longtemps, à réunir aussi souvent le Conseil national de la vie associative, c’est-à-dire un organisme qui représente toutes les associations, pour essayer de les aider. Je crois que le tissu associatif dans une ville, et j’en fais l’expérience comme maire de Bordeaux, est absolument essentiel. Vous évoquez le problème de la fiscalisation, nous sommes en train d’y travailler pour éviter tout effet pervers. Mais je ne crois pas que les exemples que vous avez pu donner soient à généraliser. Je ne connais pas la situation particulière de votre ville, sachez en tout cas que le problème de la jeunesse est au cœur de ce que nous avons essayé de faire depuis quatre ans et de ce que nous ferons demain.

J.-L. Hees : En ce qui concerne le fait que les jeunes n’aient pas pu s’inscrire tous puisque les élections ont été anticipées ?

A. Juppé : Écoutez, ceux qui n’auraient pas eu dix-huit ans en 1998 n’auraient pas pu voter non plus. C’est une circonstance peut être malheureuse mais ce n’est pas une raison suffisante pour dire que nous n’avons pas de préoccupations vis-à-vis de la jeunesse. J’ai même proposé, et j’espère si la majorité est élue que cela pourra être voté, que l’âge d’accès aux jeunes et certaines fonctions électives, qui est actuellement de 21 ans, puisse être ramené à 18 ans. Donc, vous voyez que si notre majorité remporte les élections nous aurons là des améliorations sensibles, votées très vite, je l’espère.

Thierry : Depuis l’arrivée du président Chirac, les impôts ont baissé. Les non-imposables ont eu l’augmentation des 2 points de TVA. Je voulais savoir ce que vous comptez faire pour compenser. Je précise que je travaille seul, j’ai quatre enfants, ma femme a arrêté son travail et libéré ainsi un poste.

A. Juppé : On ne peut pas dire que, depuis l’arrivée du président Chirac et de mon propre gouvernement, tous les impôts aient baissé. Voyez, je suis parfaitement honnête. Nous sommes arrivés en 1995 dans une situation où, malgré les efforts qui avaient été faits de 1993 à 1995, nous n’avions pas pu encore redresser la situation. Je voudrais simplement que chaque Française et chaque Français qui nous écoute, en son âme et conscience, essaye de se rappeler dans quel état était la France en 1993. Et pourquoi les socialistes, à l’époque, avaient subi le fiasco qu’ils avaient subi. Tout simplement parce qu’ils avaient échoué. Il faut du temps pour remonter la pente. Alors, dans un premier temps, nous avons dû augmenter un certain nombre d’impôts. Je ne l’ai pas oublié. Je sais que cela a demandé aux Français beaucoup d’efforts et même des sacrifices. Et puis, une fois que nous avons rétabli la situation, et je crois qu’elle est rétablie aujourd’hui, nous avons engagé la baisse des impôts. Je voudrais prendre deux exemples. Nous avons engagé la baisse des charges sociales sur les petites et moyennes entreprises au mois d’octobre dernier. Pour un salarié payé aux environs du Smic, une petite entreprise paye 12% de charges sociales de moins et ceci est vérifiable. Et puis, la deuxième baisse que nous avons engagée, c’est celle de l’impôt sur le revenu. Là, j’en profite d’ailleurs pour donner une petite précision. Le premier tiers provisionnel a été baissé forfaitairement par l’administration fiscale, de 6%. Il appartient maintenant à chaque Français de calculer son impôt pour savoir de combien il va baisser au total. Et on peut l’aider à le faire, il y a eu des documents qui ont été distribués avec la déclaration fiscale, il y a un 3615 du ministère des Finances qui permet de calculer l’impôt. Et pour l’immense majorité contribuables, l’impôt final, celui qu’on solde au mois de septembre, va baisser. Et on peut faire la réfaction sur le deuxième tiers provisionnel. La loi le permet. Elle n’a pas été faite automatiquement par les services fiscaux parce que cela dépend évidemment de la situation de chacun, selon qu’on a des charges de famille ou qu’on en a pas, mais on peut calculer sa baisse et on peut imputer, c’est autorisé par la loi depuis longtemps, sur le deuxième tiers provisionnel. Donc, vous voyez que cette baisse de 25 milliards sur 1997 est parfaitement vérifiable et elle se poursuivra, bien sûr.

J.-L. Hees : Je range une de mes fiches, c’était une des questions qui revenaient beaucoup ce matin au standard.

A. Juppé : Je le comprends. J’ai reçu mon deuxième tiers provisionnel et j’ai fait la même constatation que vous, mais quand on calcule son impôt sur l’ensemble de l’année, on peut procéder à la réfaction qui, sinon sera totalement bloquée sur le troisième tiers provisionnel – ce qu’on appelle le solde – au mois de septembre.

Pierre (père de famille, médecin de campagne) : Mon épouse est médecin fonctionnaire et nous nous sommes sentis doublement agressés. D’abord, parce que vous avez parlé de la graisse des fonctionnaires et j’aurai préféré que vous parliez d’huile. Un petit peu trop d’huile dans un moteur, ce n’est pas gênant, mais de la graisse et le cholestérol dont vous vouliez parler… Vous vouliez parler de l’huile ou de la graisse, je n’ai pas bien compris. Ma femme est choquée. Et puis deuxièmement, en tant que médecin de campagne, je suis outré de ce qui s’est passé avant. Vous vouliez nous faire travailler jusqu’à 21 heures le soir alors qu’un fonctionnaire arrête à 5 heures du soir, alors quelqu’un qui a un emploi en ville peut travailler jusqu’à 7 heures du soir. Nous travaillons déjà jusqu’à 7h30 et vous nous proposiez de travailler jusqu’à 9 heures du soir. Je trouve ça inadmissible. Est-ce que vous pensez que dans les 40 jours qui vont suivre, vous comptez nous faire passer les pilules que vous n’avez pas réussi à faire passer avant, ou est-ce que vous pensez que maintenant, vous avez faire un peu plus attention aux gens ? Je suis médecin et j’observe les gens, j’ai remarqué que, quand vous serrez la main, Monsieur le Premier ministre, vous avez du mal à regarder les gens dans les yeux. J’aimerais vous regarder dans les yeux, et vous dire : regardez-nous, Monsieur le Premier ministre, la France travaille, la France souffre aussi. J’ai l’impression que M. Jospin nous regarde mieux, j’ai l’impression que vous nous regarder mal.

A. Juppé : Je comprends bien l’état d’esprit dans lequel se trouve notre correspondant mais vous savez, le Premier ministre, dans le régime où nous vivons, c’est celui qui catalyse toutes les critiques et tous les mécontentements. Je voudrais en prendre un exemple : notre correspondant nous dit que j’ai voulu faire travailler les médecins jusqu’à 21 heures. Il y a eu une initiative de la Caisse nationale d’assurance maladie dans laquelle le Gouvernement et, si vous me le permettez, votre serviteur ne sont strictement pour rien. Et c’est le Gouvernement qui a demandé à la Caisse d’assurance maladie de revenir sur cette disposition. Vous voyez comment il est difficile de faire passer le message, de faire de la communication et de regarder chaque Français dans les yeux. Cette initiative ne vient pas du Gouvernement et c’est même le Gouvernement qui l’a évitée, qui a évité qu’elle se concrétise. Et pourtant, c’est moi qui en porte la responsabilité, si j’ai bien compris.

En ce concerne les fonctionnaires, je veux bien admettre que j’ai eu une parole malheureuse. Je respecte beaucoup les fonctionnaires, j’ai été fonctionnaire pendant longtemps, j’ai dans ma famille beaucoup de fonctionnaires, ils sont absolument indispensables au bon fonctionnement de notre État et de notre collectivité nationale. Je dis simplement que la bonne politique pour les fonctionnaires, ce n’est pas d’en augmenter indéfiniment le nombre, et je le crois profondément, c’est de leur donner de meilleures conditions de travail, de les payer mieux quand on le peut, ça n’est pas de multiplier les effectifs comme nos adversaires se proposent de le faire, puisque que c’est 40 000 emplois supplémentaires. Et donc c’est plus d’impôts supplémentaires et ça n’est pas pour autant une meilleure administration. La bonne administration, c’est moins d’État en haut et plus de services publics locaux. Voilà ma conception de la fonction publique, elle n’est pas du tout hostile aux fonctionnaires, au contraire. Et en tant que gaulliste, je sais que l’État doit peser dans une société comme la nôtre.

Luc (Français d’origine camerounaise) : Concernant les propos qu’a tenus récemment M. Debré, j’aimerais savoir si vous partagez ses propos. Moi, aujourd’hui je suis Français, je me considère comme intégré, en tous cas je fais les efforts pour, et j’imagine que la République aura encore cette capacité d’intégration. Lorsque votre ministre, qui est chargé justement des problèmes d’intégration, raconte dans un meeting public que les immigrés viennent piquer dans son frigo et qu’il n’apprécie pas, j’aimerais savoir si, dans les 40 jours après votre éventuelle réélection, vous allez aller dans le sens de M. Debré en campagne ?

A. Juppé : La politique d’immigration que nous menons depuis quatre ans, elle tient autour de trois idées. Premièrement, intégration, et E. Raoult a fait dans ce domaine, avec la politique de la ville, des efforts considérables et pour beaucoup utiles et couronnés de succès. Le deuxième mot, c’est l’aide au développement, et la France fait beaucoup dans ce domaine, notamment dans les pays africains où elle est très présente. Et le troisième mot-clef, c’est évidemment le refus de l’immigration illégale et du travail clandestin. Et là-dessus, nous sommes tout à fait déterminés. Parce que vous êtes Français, monsieur, mais votre intégration ou l’intégration de ceux qui veulent respecter nos lois, s’intégrer dans notre culture, accepter la conception que nous nous faisons de la société, ne peut fonctionner que si nous n’avons pas de frontières ouvertes. Et le nier, c’est faire preuve véritablement d’irresponsabilité – on a vu d’ailleurs les résultats que cela a donné dans les années 80 ou au début des années 90.

Nous avons fait dans cet esprit des lois dont on a dit qu’elles foulaient au pied les droits de l’homme, enfin certains l’ont dit. Or, que s’est-il passé ? Le Conseil constitutionnel, qui est extraordinairement vigilant, et à juste titre, sur toutes ces questions, les a examinées, il en a rectifié quelques détails mineurs et il les a avalisées. Ce qui veut dire très précisément que cette législation est équilibrée, elle nous permet de lutter contre ce qui est un fléau : l’arrivée par des passeurs professionnels, dans des camions comme on l’a vu récemment, de pauvres malheureux qu’on fait venir en France en situation illégale et irrégulière et qui sont exploités. Nous ne pouvons pas accepter ça. Et d’un autre côté, le respect dû à la personne humaine parce que nous sommes profondément inspirés d’une vision humaniste de la société. Voilà la bonne politique de l’immigration. Si on abroge ces lois, on reviendra à ce qui s’est fait dans le passé, c’est-à-dire à l’absence de politique, à l’irresponsabilité et à la complication des problèmes d’intégration.

Albert : Quelle serait la position de l’actuelle majorité si, au deuxième tour, s’opposait le FN au PC ou au PS ?

A. Juppé : Cette question a souvent été posée et elle est connue : mes valeurs à moi, ce sont les valeurs de la République : liberté, égalité, fraternité, laïcité. Ce sont les valeurs de l’humanisme, c’est-à-dire le respect de la personne humaine, la tolérance et l’ouverture d’esprit. Et ce sont les valeurs du patriotisme, c’est-à-dire l’attachement à la France, la fierté d’être Français, la volonté de défendre notre culture et notre identité. Et ceux qui ne partagent pas ces valeurs, naturellement, je n’ai rien de commun avec eux.