Interview de M. René Monory, président du Sénat, à Europe 1 le 23 avril 1997, sur les raisons de la dissolution de l'Assemblée nationale.

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Circonstance : Annonce de la dissolution de l'Assemblée nationale par le Président de la République Jacques Chirac le 21 avril 1997

Média : Europe 1

Texte intégral

J.-P. Elkabbach : Le Sénat attend donc les prochains députés, il s'est mis en vacances ?

R. Monory : Non, il est attentif, le Sénat, il surveille, il regarde, il n'est pas en vacances. C'est-à-dire que l'on peut se mobiliser à tout moment Mais c'est vrai que l'on a suspendu nos réunions.

J.-P. Elkabbach : Et vous, vous êtes déjà en campagne ?

R. Monory : Oui, je suis en campagne modérément mais je suis en campagne parce que, naturellement, je ne suis pas député, je ne vais pas me mêler de ce qui ne me regarde pas mais je suis à la disposition de ceux qui me le demandent.

J.-P. Elkabbach : On dit que le Président Chirac vous avait mis dans le secret de sa décision de dissoudre : depuis quand le saviez-vous ?

R. Monory : Non, je ne suis pas plus dans le secret que les autres. Le Président Chirac discute avec beaucoup de monde, je fais partie de ces gens qu'il reçoit assez régulièrement, avec lesquels il parle. Et c'est vrai qu'on en a parlé, il y a déjà trois semaines au moins. Mais cela dit, je suis plus au courant que les autres, ce n'est pas vrai. J'étais au courant comme ceux qu'il reçoit normalement et ceux en qui il a confiance.

J.-P. Elkabbach : Mais quand il vous a annoncé ses intentions - pas sa décision - pour la première fois, comment avez-vous réagi ?

R. Monory : Bien, j'étais plutôt pour parce que je pensais que la France était en panne et qu'il fallait trouver des solutions. Parce que finalement, on a eu une période difficile à prendre après les socialistes, il a fallu réduire les déficits, etc., et les Français n'ont pas bien compris pourquoi on faisait tout cela. Alors maintenant, c'est une autre politique qui se met en place et il faut, bien entendu, une nouvelle Assemblée nationale.

J.-P. Elkabbach : Les sondages indiquent qu'avant la dissolution, l'exécutif était en baisse de popularité. Pourtant, vous pensez que c'est le bon moment ou c'était le bon moment ?

R. Monory : Il n'y a pas de bon moment Le problème n° 1, pour moi, c'était l'Europe. Je suis un européen convaincu depuis longtemps, on va vers l'euro qui sera une décision politique sans précédent pour l'Europe depuis 40 ans. On ne peut pas y aller en état de faiblesse. Vous vous rendez compte qu'on aurait eu le même mois ou presque, mars et avril, la mise en place de l'euro et les discussions de politique législative en France, on ne devrait pas peser. Ce qui fallait, c'est, vis-à-vis de nos partenaires européens, peser.

J.-P. Elkabbach : Et si la majorité avait attendu 1998, qu'est-ce qui se serait passé ?

R. Monory : Je n'en sais rien, je ne suis pas devin mais je pense que cela aurait été plus difficile que maintenant. Parce que si l'on avait attendu 1998, on aurait d'abord été très affaiblis vis-à-vis de nos partenaires. Vous savez, l'euro, ça se passera de la façon suivante : il faut qu'on le fasse au moins à huit ou dix au départ. Quand on lit, aujourd'hui, les statistiques pour les uns, pour les autres, il est clair que tout le monde n'est pas tout à fait prêt. Il y aura donc une grande discussion, on sera obligé de faire des efforts pour que tel ou tel puisse rentrer. Alors il faudra que l'on soit très fort parce que, justement, il ne faut pas que ce soit la France seule qui paie ces efforts, il faudra que tout le monde y participe.

J.-P. Elkabbach : L'Europe, on peut dire, à travers ses dirigeants politiques et sa presse, a bien accueilli et bien commenté, je cite, ce qu'elle a appelé « l'audace et la hardiesse » de J. Chirac en décidant de dissoudre. Mais elle dit : « Attention ! », parce que les Français sont volages et inconstants. Vous pensez qu'en dépit des premiers sondages, la gauche peut gagner et gouverner ?

R. Monory : Je ne crois pas que les Français soient volages. Les Français se souviennent, beaucoup plus que les socialistes ne le croient ou le pensent, de la période passée où l'on a vraiment creusé les déficits, le chômage etc. Alors on parle bien sûr de la situation actuelle, c'est une situation, je dirais presque, d'héritage. Alors non, non, les Français – j'en suis persuadé – réfléchissent. Ce qu'ils veulent, c'est un peu plus de libéralisme, des entreprises, des emplois qui soient créés. Cela est tout à fait possible.

J.-P. Elkabbach : Mais pourquoi on n'emploie pas le mot « libéralisme » ? C'est comme si l'on en avait peur ?

R. Monory : Non, je n'ai pas peur, je l'ai toujours employé, je n'en ai pas du tout honte parce que c'est la seule façon de faire de la richesse. Aujourd'hui, tout le monde doit s'atteler à la tâche de faire de la richesse, y compris, d'ailleurs, les collectivités territoriales. C'est ce que j'ai fait dans mon département.

J.-P. Elkabbach : Donc, l'objectif n'est pas de maintenir le cap économique ?

R. Monory : Mais je ne pense pas que ça soit du tout ça. Déjà, j’ai entendu hier A. Juppé dire qu'il allait aider à la création d'entreprises, baisser les charges, etc. C'est une politique. L'entreprise doit être demain au centre des préoccupations des Français car c'est là où se fera la richesse, l'emploi.

J.-P. Elkabbach : Mais on dit « plus de liberté » ou « le charme discret du libéralisme », plus de libéralisme ?

R. Monory : Non, nous n'irons certainement pas, en France, au libéralisme américain, et je ne le souhaite pas non plus. Mais nous irons certainement vers un libéralisme beaucoup plus avoué. Il ne faut pas s'excuser quand on fait du libéralisme, il n'y a que cela qui fait de la richesse. Malheureusement, les Français ne comprennent pas toujours. Alors il faut leur expliquer, je leur ai expliqué : moi, j'ai fait toute ma vie du libéralisme. Quand j'étais ministre des finances, je n'ai pas été plus impopulaire qu'un autre et je faisais du libéralisme, dans mon département je fais du libéralisme et cela ne marche pas si mal que ça.

J.-P. Elkabbach : Vous voyez Le Parisien, avec son sondage CSA : les Français sont sceptiques, 68 % s'attendent à une politique de rigueur accrue tout de suite après les élections ?

R. Monory : Non, ce n'est pas vrai. J'affirme que non, ce n'est pas possible parce qu'on ne peut pas faire une politique de rigueur supplémentaire. Au contraire, le Premier ministre l'a annoncé, le Président de la République aussi : demain, on baissera les impôts. C'est la seule façon, on fera baisser les charges ; un peu moins d'État, un peu moins de charges, un peu plus d'emplois.

J.-P. Elkabbach : Ils l'annoncent, il faut les croire : une baisse d'impôts accélérée et accentuée ?

R. Monory : Je vais aller plus loin. Si demain, avec ce que l'on fait, avec ce que l'on décide, cette dissolution, on a une majorité à l'Assemblée nationale, si demain on ne faisait pas cela, à ce moment-là, moi je ne serais pas d'accord. Parce qu'il n'y a plus droit à l'erreur après. Et nous ne gagnerons pas en augmentant les charges, ça sera en les baissant. Le Président de la République s'est engagé, le Premier ministre aussi, on sera là pour les surveiller.

J.-P. Elkabbach : On regardait les photos du déjeuner de la majorité, les photos sur le perron de Matignon : on vous a vu, on vous voit beaucoup...

R. Monory : Pas plus qu'un autre, c'est parce que je suis grand !

J.-P. Elkabbach : On a vu aussi N. Sarkozy, on a vu aussi beaucoup Balladur ?

R. Monory : Mais il faut qu'il revienne, Balladur. Balladur est un homme de qualité, j'ai toujours préconisé qu'il revienne. Les gens de qualité, il ne faut pas s'en priver.

J.-P. Elkabbach : Mais pour quoi faire ? Pour qu'il soutienne de l'extérieur ou vous le voyez dans le Gouvernement ?

R. Monory : Pourquoi pas dans le gouvernement ? Il sera sûrement dans le gouvernement s'il le souhaite. S'il le souhaite, je suis sûr que la porte s'est ouverte pour Balladur.

J.-P. Elkabbach : Qui est le chef de la majorité aujourd'hui ?

R. Monory : C'est le Président de la République, c'est lui qui décide de tout, c'est lui qui a décidé la dissolution, c'est lui qui décidera du prochain Premier ministre. Dans toute la Ve République, chaque fois qu'il y a des problèmes, c'est toujours le Président de la République le chef de la majorité.

J.-P. Elkabbach : C'est-à-dire qu'A. Juppé, qui disait hier soir : « Je ne suis candidat à rien, sauf à conduire la bataille et à la gagner », vous imaginez qu'il pourrait gagner la bataille et ne pas être Premier ministre ?

R. Monory : On peut tout imaginer, je ne sais pas comment cela se passera. Ce n'est pas moi qui ai la dissolution en main, c'est le Président de la République. Mais tout est possible. Pour l'instant, ce qui est sûr, c'est qu'il faut gagner les élections pour qu'il y ait une majorité de députés. Puis après le Premier ministre, c'est le Président qui s'en chargera, qui décidera qui il met. Je ne sais pas qui il mettra, peut-être Juppé aura toutes ses chances, je n’en sais rien. Je ne veux pas dire qu'il n'a pas de chances mais ce n'est pas automatique comme vous le pensez.

J.-P. Elkabbach : Et cela dépend de quoi ? Du nombre de députés ?

R. Monory : Non, cela dépendra de l'équilibre qui va se trouver dans la majorité. Non, non, ce n'est pas ça. Je crois qu'il faut voir le nombre de députés : bien sûr il faudra la majorité. Mais Juppé n'est pas du tout éliminé, ce n'est pas ce que je veux dire, ne me faites pas dire ce que je n'ai pas dit.

J.-P. Elkabbach : Je n'ai pas dit cela non plus.

R. Monory : Mais je dis par-là que c'est le Président de la République qui, jusqu'au dernier moment, aura entre les mains le choix du Premier ministre.

J.-P. Elkabbach : Mais vous êtes le premier à dire qu'il n’y a pas automaticité ?

R. Monory : Il n'y a pas automaticité, il n'y a jamais eu automaticité dans le passé, il n'y aura pas automaticité dans l'avenir.

J.-P. Elkabbach : Il y a une confidence du chef de l'État sur ce point ?

R. Monory : Non, pas du tout.

J.-P. Elkabbach : Pas du tout. Mais c'est votre intuition politique ?

R. Monory : C'est le fonctionnement de la Ve République.

J.-P. Elkabbach : Un, cela, et deuxièmement, on va vers une politique plus libérale, n'ayons pas peur des mots et sortons des ambiguïtés : c'est cela ?

R. Monory : Oui, il ne faut pas avoir peur des mots, je crois que l'on va vers une politique plus libérale. Autrement, cela ne servirait à rien de faire des élections. Mais cela ne veut pas dire pour autant que ce sera du libéralisme sauvage qui ne tiendra pas compte des hommes. Ça sera un libéralisme humain. Aujourd'hui, les États-Unis réussissent parce que finalement, ils ont beaucoup décentralisé la responsabilité économique.

J.-P. Elkabbach : Et si ça n'était pas A. Juppé, qui cela pourrait être...

R. Monory : Ne m'en demandez pas trop quand même parce que là, je ne sais pas du tout qui ça sera. Pour l'instant, c'est A. Juppé qui est en piste puisqu'il dirige la campagne...

J.-P. Elkabbach : Il y a des hommes de qualité pour ça ?

R. Monory : Plein, plein, plein d'hommes de qualité.

J.-P. Elkabbach : Mais vous misez sur qui ?

R. Monory : Moi, je mise sur le gain de la bataille qu'on mène actuellement.

J.-P. Elkabbach : Votre pronostic à l'arrivée ?

R. Monory : Celui du Parisien d'aujourd'hui me convient bien : 530 députés, ça ne serait pas mal.