Texte intégral
Le Figaro Économie : Tout le monde s’accorde à dire que la dévaluation du franc CFA a été, globalement, une réussite. Mais, les mêmes causes produisant les mêmes effets, ne craignez-vous pas que les pays de la zone franc se retrouvent rapidement avec une devise trop forte par rapport à leurs voisins, ce qui mettraient de nouveau à mal leur compétitivité ?
Jacques Godfrain : La dévaluation du franc CFA a été très bien accompagnée. Dans la plupart des pays concernés, si les principaux indicateurs – croissance, inflation, balance commerciale… – sont bons, c’est parce qu’il y a eu des mesures d’accompagnement. De la France, d’une part, qui a notamment institué un fonds spécial de développement, qui a donné de si bons résultats qu’il est devenu un fonds social de développement et qu’il a été pérennisé. De la part des pays africains eux-mêmes, qui ont réalisé une véritable révolution culturelle en matière de gestion budgétaire. Mais également des entreprises publiques. Une véritable discipline intellectuelle s’est mise en place, qui permet à ces pays d’être armés pour entrer dans la mondialisation.
Le Figaro Économie : Précisément, dans ce cadre de la mondialisation, la zone franc a-t-elle encore une raison d’être ?
Jacques Godfrain : Cette zone est très attractive, notamment pour ses voisins. Par exemple : la Guinée-Bissau va y entrer le 2 mai. Je suis allé voir les autorités de ce pays pour bien les avertir que cette décision impliquait une discipline nationale et se traduirait par des contraintes. Ils le savent, et ils sont prêts. J’ajoute que cette entrée a été également encouragée par les pays de la zone voisins de la Guinée-Bissau, et appuyée politiquement par le Président de la République : Jacques Chirac a donné son feu vert – car cette entrée a un coût pour la France – lors du dernier sommet de Ouagadougou (1).
Le Figaro Économie : Pensez-vous que d’autres pays pourraient suivre cet exemple et venir à la porte de la zone franc ?
Jacques Godfrain : Il n’est pas à exclure que d’autres pays soient candidats, et pas seulement des pays francophones. Pourquoi ? Ce n’est pas par amour pour la France. C’est parce que nous sommes les seuls à offrir un « service » d’entrée dans la mondialisation : appartenir à une zone économico-financière aujourd’hui, c’est un atout, une marche formidable vers la reconnaissance, vers l’ouverture sur l’international. Ça permet notamment de parler d’égal à égal avec tous les pays.
Le Figaro Économie : Tout cela n’implique-t-il pas que, malgré tout, une page de l’histoire des relations entre la France et ses anciennes colonies est tournée, ce qu’illustre, d’une certaine façon, la disparition récente de Jacques Foccart. D’autant qu’il y a l’ouverture du « champ » d’intervention de la coopération et que la zone franc va devenir la zone euro…
Jacques Godfrain : Non, au contraire. J’ai d’ailleurs été frappé, à l’occasion de la dernière réunion des ministres de la zone franc, de constater combien ils étaient soucieux que la France ne saisisse pas cette occasion pour distendre les liens qui l’unissent à la zone franc. Nous les avons rassurés en leur démontrant que le passage à la monnaie unique n’était qu’une opération comptable qui ne modifierait en rien nos relations, ce que le Président de la République a d’ailleurs confirmé par écrit à chacun des chefs d’État membres de la zone franc. Je connaissais bien Jacques Foccart, et je l’ai toujours connu plus soucieux de préparer l’avenir que de rester sur le passé.
Le Figaro Économie : Lors du prochain sommet du G7 à Denver, on prête l’intention à la France de faire après le G7 de Lyon, en juin 1996, de nouvelles propositions en matière d’aide au développement. Qu’en est-il ?
Jacques Godfrain : À Denver, on ne parlera pas que de désendettement. La France a d’ailleurs déjà beaucoup fait, à titre bilatéral, en ce domaine. Mais, ce sera la suite logique du sommet du G7 de Lyon. Le fait qu’un certain nombre de voix américaines – ex-Président Carter, Hillary Clinton – se soient élevées récemment en faveur de l’aide au développement me donne des raisons supplémentaires de penser que les choses avancent.
Pour sa part, et comme à son habitude, la France se fera l’avocat des pays les plus pauvres. Et, je vous rappelle que, de ce point de vue, la France peut faire entendre sa voix : son aide occupe, en valeur absolue, le deuxième rang mondial, et la première place du G7 en pourcentage du PIB ; et la politique d’aide qu’elle mène vient d’être saluée par le comité d’aide au développement (CAD) de l’OCDE (2). Cela pour ceux qui critiquent la politique de la France en matière de développement. Ils devraient lire et méditer l’hommage rendu par le CAD à ce qui est fait par notre pays en ce domaine.
Le Figaro Économie : Il est vrai que l’aide française a repris au Zaïre il y a environ deux ans, et on ne peut pas dire que les résultats soient probants…
Jacques Godfrain : Le terme de « reprise » est très relatif quand on parle du Zaïre. Si reprise il y a, par rapport à l’arrêt complet intervenu de 1991 à 1994, au cours desquels notre ambassadeur fut assassiné, il convient de noter que cette reprise modeste et graduelle s’est faite en parallèle avec celle de la communauté internationale, en fonction des relatifs progrès constatés par celle-ci dans ce pays, auxquels les événements récents ont malheureusement porté un coup d’arrêt. Cela se traduit de la manière suivante :
- redémarrage à partir de 1994 d’une coopération strictement limitée à la société civile zaïroise : l’aide apportée aux réfugiés rwandais se trouvant au Zaïre à la suite de la tragédie rwandaise impliquait également que l’on se préoccupât d’aider la population zaïroise elle-même ;
- nomination d’un chef de mission de coopération française à part entière en 1995, simultanément à la nomination d’un ambassadeur américain dans ce pays.
Mon voyage au Zaïre, en juillet 1996, m’a permis de constater les progrès relevés par la Banque mondiale, le Fonds monétaire international et l’Union européenne, dans la gestion économique, et la décision de principe d’une reprise très ciblée de notre coopération institutionnelle – au-delà de l’aide à la société civile – limitée, pour l’instant, à deux opérations au caractère social avéré : la réhabilitation du pavillon d’obstétrique de l’hôpital populaire Marna Yemo de Kinshasa et la réhabilitation de la bibliothèque universitaire de Kinshasa.
Le Figaro Économie : Dans une quinzaine de jours, les 24 et 25 avril, se tient la réunion du conseil entre les pays ACP (Afrique, Caraïbes, Pacifique) et l’Union européenne. La France a-t-elle des propositions précises dans ses cartons ? Va-t-on, notamment, reparler de la banane, dossier hautement sensible actuellement pour certains de ces pays ?
Jacques Godfrain : Comme pour Denver, je ne peux vous révéler la teneur des dossiers, mais, il est vrai qu’en ce qui concerne le maintien du système de préférence communautaire à l’égard des ACP, et en particulier du dossier de la banane, nous essaierons de défendre une situation préservant au mieux leurs intérêts, en particulier pour les pays producteurs les plus pauvres.
Le Figaro Économie : En France, l’aide au développement a fait l’objet, depuis un peu plus d’un an, d’une nouvelle répartition des pouvoirs. Comment s’articulent les actions au sein du conseil interministériel sur l’aide au développement (CIAD) ? Pour simplifier, peut-on dire : à la coopération, l’aide publique ; à Bercy, via la Caisse française de développement (CFD), l’aide au secteur privé ?
Jacques Godfrain : On a imaginé qu’il y avait entre nous, ministère de la coopération, et les autres ministères impliqués (Bercy, affaires étrangères) une certaine concurrence. En réalité, l’atmosphère est extrêmement constructive, que ce soit avec le ministère des finances ou avec la CFD. La Caisse française de développement représente l’aide au secteur productif, et nous, l’aide institutionnelle ; la caisse est notre outil commun, et elle joue bien son rôle.
L’aide institutionnelle a plusieurs aspects : je ne vous en donnerai qu’un, qui me paraît, tout à la fois, très symbolique et important : l’OHADA. La France a aidé à l’élaboration de cette Organisation pour l’harmonisation en Afrique du droit des affaires, à laquelle sont affiliés seize pays africains. D’ici quelques jours, le conseil des ministres de l’OHADA doit adopter les projets d’actes uniformes relatifs au droit commercial et au droit des sociétés. Or, cela est fondamental pour les investisseurs. Laissez-moi vous rapporter à ce propos, la phrase très significative d’un chef d’État africain : « Un bon ministre de la justice est plus important pour le développement qu’un bon ministre des finances. » Le siège de l’OHADA est à Dakar (Sénégal), et nous complétons le dispositif par une école de la magistrature à Porto-Novo (Bénin) et une Cour internationale de justice à Abidjan (Côte d’Ivoire). La Banque mondiale est très intéressée par cette expérience.
(1) Lors du dernier sommet France-Afrique, en décembre dernier.
(2) Le comité d’aide au développement de l’Organisation pour la coopération et le développement économique (OCDE) vient de publier un rapport tout à fait positif sur ce sujet.