Interview de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, dans "La Charente libre" du 8 avril 1997, sur la crise du processus de paix au Proche-Orient et les travaux de la Conférence intergouvernementale.

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Média : La Charente libre - Presse régionale

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La Charente libre : Que peut faire l’Europe pour influer sur la reprise du processus de paix ?

Hervé de Charette : Le processus de paix au Proche-Orient connaît une crise extrêmement grave qui est sans doute sans précédent. Dans cette situation de quasi-rupture, nous constatons qu’il y a, pour la première fois, un appel pressant de la part des Palestiniens, pour que l’Europe joue son rôle. L’Europe doit jouer un rôle actif en exerçant les pressions nécessaires en vue de la reprise du processus de paix.

La Charente libre : Ces pressions pourraient-elles inclure des menaces de sanctions économiques ?

Hervé de Charette : Je ne crois pas que l’on doive se placer sur ce terrain, mais plutôt sur celui de l’action politique et diplomatique. L’Europe a été écartée ces dernières années du processus de paix. Depuis un an, la France a joué un rôle déterminant. Sur la proposition de la France, le Conseil européen de Dublin a désigné, en décembre dernier, un envoyé spécial qui fait un excellent travail. C’est le moment de passer à la vitesse supérieure. L’Europe doit faire des propositions concrètes, un « paquet global » adressé à la fois aux Israéliens et aux Palestiniens. Elle doit aussi proposer aux Américains des actions communes afin que les parties reprennent leurs discussions et reviennent vers la seule voie possible, la voie du processus de paix tel qu’il a été établi dans les Accords de Madrid, d’Oslo et de Taba. Il faut aussi prendre des mesures de confiance : mettre fin au blocus de Gaza et de la Cisjordanie et aux confiscations inacceptables des cartes d’identité des Palestiniens de Jérusalem, suspendre

les travaux de l’implantation de Har Homa : et, du côté palestinien, renforcer la lutte contre le terrorisme.

La Charente libre : Ce volontarisme est-il partagé par les autres Européens ?

Hervé de Charette : C’est la proposition de la France. Dans ce dossier, c’est la France qui pousse, et jusqu’à présent, nos partenaires européens suivent. Nous bénéficions du concours précieux des Italiens, des Espagnols et des Grecs, car les pays méditerranéens sont les plus sensibles à cette nécessaire présence de l’Europe au Proche-Orient. Pour la France, la réussite du processus de paix au Proche-Orient est d’un intérêt vital. Il ne faut jamais oublier que quand la violence reprend au Proche-Orient, tôt ou tard elle arrive à Paris.

La Charente libre : Dans ce dossier comme dans d’autres, l’impression domine que l’Europe politique reste à la traîne. Les travaux de la Conférence intergouvernementale (CIG) pour renforcer les institutions politiques européennes seront-ils achevés comme prévu pour le rendez-vous d’Amsterdam ?

Hervé de Charette : L’Europe c’est trois choses : l’Europe monétaire, l’Europe politique, l’Europe sociale. L’Europe monétaire avance. En dépit des débats que j’observe, la volonté politique de la France et de l’Allemagne persiste et persistera jusqu’au bout. La monnaie unique verra le jour à la date prévue, dans le respect du Traité de Maastricht, tel qu’il est. L’Europe sociale doit elle aussi progresser. C’est pourquoi, nous proposons l’amélioration du protocole social et son intégration dans le Traité de Rome.

Sur le plan politique, l’objectif de la CIG est notamment de faire en sorte que l’Europe soit capable de garder sa dynamique tout en s’élargissant. Pour cela, il faut que la Commission européenne cesse d’augmenter ses effectifs, au rythme des élargissements, au point d’être hypertrophiée. La France propose que la commission soit réduite à un effectif de 10 ou 12 commissaires (ndlr : contre 20 actuellement). Ensuite, il faut mettre un terme à l’écart croissant qu’il y a dans l’Union européenne entre le poids réel des États et le nombre des voix pondérées attribué à chaque État démographique. Il faut donc une nouvelle pondération qui donne à chaque pays une représentativité plus conforme à la réalité des choses. Je suis attaché à ce que la France retrouve dans les institutions européennes le poids qui est le sien, c’est-à-dire celui de la deuxième puissance européenne.

La Charente libre : Ces proposition semblent loin d’être acquises. Qu’en restera-t-il à Amsterdam ?

Hervé de Charette : Nous avons la volonté d’arriver à des résultats appropriés à Amsterdam. Jusqu’à présent, rien ne permet d’en douter. Cela va demander encore beaucoup d’efforts. J’observe une prise de conscience chez nos partenaires, y compris de la part des pays les plus réservés sur ces demandes françaises.

La Charente libre : Craignez-vous l’intrusion du débat européen dans la campagne pour les élections législatives ?

Hervé de Charette : L’enjeu des législatives ne porte pas sur les questions européennes. La monnaie unique n’est pas une décision à prendre, elle a déjà été prise. Nous ne faisons qu’appliquer un traité qui été ratifié par la France, et ce n’est pas le moment de livrer des batailles qui appartiennent au passé. Le véritable enjeu des législatives concerne la poursuite du vaste chantier de réformes de notre pays, entrepris sous la direction du Président de la République.