Texte intégral
Le Figaro - 19 mars 1997
Le Figaro : En tournée en Amérique latine, le président Jacques Chirac a constaté le recul de la langue française au moment précis où se tient la Semaine de la francophonie. Ce constat est-il général ?
Margie Sudre : Je regrette que l’on ne s’intéresse à la francophonie que lorsque l’on a de mauvaises nouvelles. En Amérique latine, notamment à cause de la forte présence de l’anglais, le français a sans doute reculé. Mais la situation du français en Amérique latine ne reflète pas du tout sa position dans le monde. Dans certaines zones, notre langue est en pleine expansion. C’est vrai dans l’océan Indien. À Madagascar, le français revient en force après avoir été éliminé au profit d’un enseignement exclusivement en langue malgache. En Afrique australe, de nouvelles Alliances françaises viennent de s’ouvrir et connaissent un très grand succès. Au Nigeria, le français vient d’obtenir le statut de langue officielle aux côtés de l’anglais.
Le Figaro : Au Zaïre, l’offensive de rebelles tournée vers le monde anglophone n’est-il pas une menace ?
Le Figaro : Au Zaïre, le français est massivement parlé et ne peut être facilement abandonné. Les langues ne s’effacent pas si facilement. En Algérie, par exemple, la volonté exprimée d’écarter le français n’a pas vraiment été suivie d’effets. Au Liban, notre langue reste très bien implantée et, en Palestine, c’est la deuxième langue étrangère dans l’enseignement. En Europe orientale et centrale, le français est bien vivant et progresse.
Le Figaro : Les pays d’Europe centrale semblent surtout attirés par les langues des affaires : l’allemand et l’anglais.
Margie Sudre : C’est pour cela que je plaide pour une francophonie résolument tournée vers l’économie. Ce sera le thème central du sommet des pays francophones, à Hanoï en novembre. Il faut que nos entreprises soient plus pugnaces et favorisent l’intérêt pour le français.
Le Figaro : Le renouveau de la francophonie au Vietnam explique-t-il l’essor commercial entre la France et ce pays ?
Margie Sudre : Un gros effort est actuellement mené au Vietnam où l’on avait oublié le français il y a quelques années. Cinq cents classes bilingues fonctionneront d’ici à la fin 1997. Elles suscitent une très forte demande. Nous avons ouvert trois lycées franco-vietnamiens, à Hanoï, Huê et Saïgon, une école de gestion et un institut d’informatique.
Le Figaro : Le français semble connaître un recul en Europe occidentale.
Margie Sudre : Nous nous heurtons, notamment en Italie et en Espagne, au fait qu’une seule langue étrangère est obligatoire dans l’enseignement. Mais dès qu’une seconde langue étrangère est réintroduite – comme en Espagne l’an dernier –, le français en bénéficie largement.
Le Figaro : N’encourageons-nous pas cette tendance en favorisant nous-mêmes l’anglais au détriment des autres langues ?
Margie Sudre : Une récente enquête, publiée à l’occasion d’Expo-langues montrait au contraire que les Français étaient les plus polyglottes des Européens et qu’ils connaissaient des langues plus diverses que leurs voisins.
Le Figaro : L’omniprésence de l’anglais sur Internet n’est-elle pas le signe d’un échec de la francophonie ?
Margie Sudre : Nous avions du retard, mais nous avons rejoint le train des nouvelles technologies. Les programmes en langue française sur Internet sont en progression.
Le Figaro : L’effort semble provenir surtout des Québécois…
Margie Sudre : C’était vrai au départ. Aujourd’hui, si l’on additionne les sites québécois, français et d’autres pays francophones, cela représente 3 à 4,5 % des programmes d’Internet, ce qui nous place au même rang que l’espagnol. La première conférence des ministres francophones chargés des technologies de l’information se tiendra en mai prochain à Montréal et définira une stratégie francophone dans ce domaine.
Le Figaro : Pourquoi créer un poste de secrétaire général de la francophonie, auquel l’ancien secrétaire général de l’ONU Boutros Boutros-Ghali vient de se porter candidat ?
Margie Sudre : La stature de ce candidat témoigne des ambitions que nous avons pour ce poste. L’action de la francophonie était principalement tournée vers la coopération et malgré la tenue, tous les deux ans, des sommets des chefs d’État et de gouvernement, la francophonie n’occupait pas toute sa place dans les relations internationales. Il manquait une grande personnalité pour représenter la francophonie sur la scène mondiale.
Le Figaro : Quel sera son rôle ?
Margie Sudre : Il représentera la communauté francophone et prendra en son nom les initiatives utiles, notamment pour participer à la prévention des conflits. Il exprimera la vision d’un monde multipolaire. Personne ne peut avoir intérêt à l’hégémonie.
La Lettre de la Nation - 22 mars 1997
Francophonie et grandeur de la France
Qu’est-ce que la francophonie ? D’abord, le partage d’une langue dont les Français, depuis bien longtemps, ne sont plus seuls propriétaires. Une réalité géographique s’impose ensuite, avec les 49 membres d’une communauté qui regroupe 450 millions d’hommes, dont la moitié de francophones, sur les cinq continents. Une ambition politique enfin, qui veut faire prévaloir, contre les mirages de l’uniformisation culturelle, une certaine vision du monde.
Les historiens de la francophonie le savent : le général de Gaulle n’a pas été, en apparence, un promoteur ardent de la construction francophone. Ce sont en revanche des hommes d’État étrangers comme Léopold Sédar Senghor, Hamani Diori, Habib Bourguiba, Norodom Sihanouk ou Charles Hélou qui ont imaginé et voulu la francophonie. Paraxode ? Je ne le crois pas. Le général de Gaulle avait parfaitement perçu que la francophonie n’avait pas d’intérêt si elle se contentait de prolonger sous d’autres formes la relation coloniale.
Sommet francophone d’Hanoï
Aujourd’hui, le mouvement est lancé, les chefs d’État et de gouvernement francophones tiendront en novembre prochain, à Hanoï, le VIIe sommet francophone. Pour la première fois sera désigné un secrétaire général de la francophonie, qui symbolisera l’ambition nouvelle de notre communauté d’être un acteur à part entière sur la scène internationale.
Pour la première fois également, l’Asie accueillera un sommet francophone, marquant ainsi la véritable universalité de notre langue. Pour la France, ce sera aussi l’occasion d’affirmer sa volonté de développer sa relation à long terme avec le Viêt-nam, qui a amorcé avec succès son décollage économique.
La richesse de la francophonie
Et c’est précisément l’économie qui sera au cœur des débats à Hanoï. La francophonie, ce ne sont en effet pas seulement les belles-lettres classiques, ni même les littératures francophones modernes, sans lesquelles notre langue serait privée d’une partie de sa richesse, de sa créativité, et de sa saveur. La francophonie, c’est aussi une façon originale et moderne d’envisager le développement solidaire, de la coopération Nord-Sud aux nouvelles technologies de l’information en passant par la promotion de l’État de droit et la prévention des conflits qui, trop souvent encore, déshonorent et endeuillent notre monde.
Le président de la République, Jacques Chirac, a personnellement et puissamment contribué à ce nouvel élan de la francophonie, qui illustre sa démarche profondément gaulliste : respect scrupuleux de la souveraineté et de l’indépendance des États ; conscience aiguë des devoirs particuliers de solidarité que nous créent notre histoire et les valeurs de la République ; affirmation paisible du rang et du rôle particulier de la France dans le monde.
Pour reprendre une expression du président de la République, la francophonie constitue désormais, avec l’Europe, l’un des deux cercles de famille de la diplomatie française. Et les valeurs partagées de la francophonie sont, au tout premier rang, parmi celles qui font de la France un grand pays.