Texte intégral
France Inter : La journée nationale d'action lycéenne, précisera-t-elle le malaise lycéen ? L'amélioration des conditions d'études, obtenues après les manifestations de 1998, est-elle jugée insuffisante ? À moins que ce soit toujours la question du manque d'enseignants qui reste posée ou le manque de démocratisation de la vie lycéenne qui provoque ce nouveau mouvement ? La charte des droits et libertés, annoncée l'an passé, n'est toujours pas publiée. François Bayrou, président de l'UDF, ancien ministre de l'éducation nationale, comment expliquez-vous ce malaise lycéen aujourd'hui ?
François Bayrou : A force de promesses que l'on ne tient pas, à force de mépris pour les enseignants, un climat s'est développé dans l'éducation nationale, qui est un climat extrêmement sombre, négatif et en tout cas qui ne porte pas à remplir les objectifs qui doivent être ceux de l'éducation nationale. Je peux trouver une dizaine de déclarations du ministre actuel, qui a dit qu'il obtiendrait très vite le zéro défaut. Eh bien, ce n'est pas le zéro défaut que l'on a, c'est au contraire des problèmes qui se posent de plus en plus nombreux ou en tout cas qui sont lourds et que ni les enseignants ni les élèves n'acceptent désormais.
France Inter : Mais vous savez mieux que quiconque qu'une réforme de l'éducation nationale est une entreprise considérable et qu'elle prend du temps. Est-ce que le temps est un facteur d'explication ?
François Bayrou : Je crois que c'est la méthode qui est en cause. On n'a pas voulu précisément poursuivre ce que j'avais entrepris et qui était en train de réussir : c'est-à-dire une réforme continue de l'éducation nationale avec les acteurs et pas contre eux. On a, au contraire, choisi une méthode de provocation. M. Allègre a voulu, par des déclarations à l'emporte-pièce faire en sorte qu'il puisse jouer – croyait-il ! – l'opinion publique contre l'éducation nationale. Et puis la vérité, c'est qu'aujourd'hui on s'aperçoit que, de tout cela, les résultats sont absolument absents.
France Inter : Est-ce qu'on peut faire un petit effort d'imagination : vous avez été un ministre de l'éducation qui a, c'est vrai, beaucoup laissé sa porte ouverte et qui a beaucoup négocié, mais assez peu réformé…
François Bayrou : Non, non, excusez-moi de vous dire…
France Inter : Je finis ma question. Allègre, lui, veut beaucoup réformer, mais franchement n'est pas très porté sur le dialogue. Est-ce qu'au fond, le ministre idéal, ce ne serait pas un PACS Bayrou/Allègre ?
François Bayrou : Je récuse ce que vous dites. Les réformes que nous avons conduites à leur terme, je ne dis pas « entreprises », je dis « conduit à leur terme », depuis l'introduction des langues vivantes à l'école primaire et tout le travail sur la lecture, qui est absolument essentiel, jusqu'aux études au collège, la réforme des lycées, le bac que les élèves passent aujourd'hui, c'est celui que nous avons mis en place ; jusqu'à la réforme de l'université, dont je vous rappelle qu'elle avait été acceptée à l'unanimité par l'ensemble des organisations, depuis les plus à droite jusqu'aux plus à gauche. Tout ça, ce sont des résultats concrets et tangibles. Et je récuse toutes idées selon lesquelles le dialogue serait opposé à la réforme. Au contraire, le dialogue, c'est la condition de la réforme. Non seulement le dialogue, mais je voudrais aller encore un peu plus loin : le dialogue c'est montrer dans les actes que l'on respecte et que l'on estime ceux que l'on a en face de soi. Peut-être avez-vous aperçu le sentiment de découragement profond qui se développe chez les élèves. On le voit aussi chez les enseignants. Le sentiment que l'on ne vous écoute pas, que l'on ne vous entend pas, que l'on vous fait porter le chapeau, que l'on vous rend responsable de tout ce qui ne va pas. C'est profondément injuste. Or, une Nation, un pays qui n'est pas capable de soutenir ses enseignants, ce pays-là ne peut pas réussir à construire une bonne éducation nationale.
France Inter : Le sociologue François Dubet dans le journal de 8 heures, parlait d'une sorte de rite d'entrée dans la vie politique, s'agissant des manifestations lycéennes. Est-ce que vous souscrivez à cette analyse ?
François Bayrou : M. Dubet est quelqu'un de tout à fait estimable. Donc, je l'écoute avec beaucoup de soin. Je ne crois pas que, ce qui se passe parmi les élèves, soit différent de ce qui se passe parmi les enseignants ou dans l'esprit des parents. Je pense que tout ça, c'est un ensemble. Le climat dans l'éducation nationale est mauvais. Le climat dans l'éducation nationale est au découragement et on ne peut pas avoir l'enthousiasme des uns, si on a le découragement des autres. Tout cela, c'est un ensemble. Et là où le ministre s'est trompé, M. Allègre, c'est qu'il a voulu jouer les uns contre les autres. Et de cela, les Français, aujourd'hui en ouvrant les yeux, se rendent compte que les résultats sont absents, catastrophiques, que quelque chose ne va pas dans l'éducation et que toutes les promesses qu'on leur avait faites, qu'on avait faites aux Français, sont aujourd'hui absolument sans résultat.
France Inter : Vous êtes sévère, il y a des réformes engagées. Il ne s'agit pas pour moi de défendre Claude Allègre, bien entendu, mais il y a des changements qui sont mesurables aujourd'hui dans l'espace de l'éducation, dans les lycées, même s'il manque encore des profs et beaucoup de choses ?
François Bayrou : Lesquels ?
France Inter : Je ne sais pas…
François Bayrou : Vous êtes un observateur attentif de là où vous êtes, c'est votre métier, de ce qui se passe en France et vous ne pouvez pas me citer des résultats concrets. La seule chose qu'on avait fait, c'était promettre que, par une nouvelle méthode de nomination des enseignants, il n'y aurait plus de professeurs absents et que les professeurs se trouveraient tous sur le poste qui conviendrait à leur expérience. Eh bien, vous vous apercevez que ce n'est absolument pas le cas et que les résultats ne sont pas au rendez-vous des promesses. Alors, quand on multiplie les promesses et que les résultats ne sont pas là, eh bien, c'est la désillusion que l'on obtient. Le découragement est quelque chose qui, dans le climat de l'éducation nationale, est naturellement extrêmement négatif.
France Inter : Alors, ce qui me frappe tout de même, c'est la difficulté de l'exercice. Dans les pages du « Monde », hier après-midi, ces lycéens qui se demandaient même s'ils allaient manifester parce que, disaient-ils, je lis : « Au fond, Claude Allègre avait commencé d'entreprendre des réformes et qu'elles étaient visibles dans l'espace du lycée. » Donc ces élèves s'interrogeaient sur l'opportunité ou non de manifester. C'est donc qu'il se passe quelque chose ?
François Bayrou : D'abord, pour avoir été ministre pendant quatre ans, je ne prétends pas que ce soit un exercice facile. Deuxièmement, je ne prétends pas que rien ne se fasse. Le système éducatif français conduit des changements et souvent des changements justes, tout le temps, depuis des années. Ce que je conteste, c'est l'action que M. Allègre a conduite : provocations et promesses et, au bout du compte, résultats absents. Et cela produit un climat, je vous assure, qui est extrêmement lourd. Probablement – je dis cela avec mesure –, probablement le découragement du système éducatif français n'a jamais été aussi grand et la vérité, c'est que beaucoup des actions que l'on conduit, beaucoup de promesses que l'on fait ne portent pas sur l'essentiel des problèmes de l'éducation. Et tant qu'on ne posera pas les problèmes essentiels de l'éducation nationale, on n'avancera pas.
France Inter : Alors passez un message direct à Claude Allègre, l'ancien ministre de l'éducation nationale s'adressant à celui qui est aux manettes aujourd'hui ?
François Bayrou : Ça vous ferait plaisir, je le comprends, ça serait… J'ai dit souvent à la tribune de l'Assemblée nationale – je n'ai pas de message direct à passer –, j'ai dit, à M. Allègre ou sur les médias, que la méthode de la provocation et les promesses non suivies des faits, cela avait un effet catastrophique, que la mésestime ou le mépris dans lequel on tient les acteurs du système éducatif, c'est une très mauvaise affaire pour la France et cela empêche les réformes. C'est la méthode et l'approche de M. Allègre qui sont une part importante des difficultés que l'éducation nationale rencontre aujourd'hui et du climat de désenchantement et de découragement qui y règne.