Texte intégral
J.-P. Elkabbach : Dissoudre ou ne pas dissoudre ? Le moment de la décision souveraine du Président de la République approche en tout cas. Le PS proclame qu’il est prêt ; en fait, est-ce que vous ne regrettez pas de vous retrouver onze mois avant l’échéance devant les électeurs ?
J. Lang : Personnellement, je ne crains pas le suffrage universel. Peut-être que l’on reviendra sur la question, tout à l’heure de savoir si cette information est une information ou, simplement, participe d’un tintamarre médiatique qui se nourrirait de ses propres rumeurs. Mais, à supposer que le peuple soit consulté, personnellement, je ne m’en plaindrais pas car la vraie, la seule légitimité en démocratie, c’est le peuple souverain et, dans ce pays qui est le nôtre, je trouve que l’on ne donne pas assez souvent la parole au peuple.
J.-P. Elkabbach : Dons la dissolution a quelquefois du bon ?
J. Lang : Sur ce plan-là, oui. Nous vivons une période où finalement, on sent que tout est coincé, bloqué. Aujourd’hui, si vous voulez, c’est peut-être une des raisons pour lesquelles cette idée est envisagée, le Gouvernement paraît comme enchaîné ou emprisonné par les conséquences de ses propres erreurs. Pas seulement l’actuel Gouvernement mais depuis quatre ans. Les déficits, on l’a vu dans les chiffres récents, le plaquent au sol et lui interdisent toute initiative. Il est obligé de voguer d’impuissances en impuissances. Par ailleurs, l’Assemblée, quels que soient les mérites de nombreux parlementaires, paraît exténuée après quatre années ; elle semble se mourir de langueur, elle n’est plus représentative du pays. M. Mazeaud vous le disait hier ou avant-hier : elle est comme une sorte de caricature, une déformation de ce qu’est la vraie diversité française. En tout cas, on a le sentiment que cela ne peut plus durer.
J.-P. Elkabbach : Donc « vive Chirac », s’il dissout ?
J. Lang : Vive Chirac, s’il dissout : c’est vous qui le dites !
J.-P. Elkabbach : Oui, après votre raisonnement !
J. Lang : Sur mon raisonnement ? Je préfère parler avec mon cœur, si vous voulez. Quelle est la réalité de cette hypothèse…
J.-P. Elkabbach : Ce matin, vous y croyez plus qu’hier. Hier, vous disiez : ce n’est pas possible, on est dans un climat surréaliste, je n’y crois pas ; et aujourd’hui…
J. Lang : Vous finissez, vous et vos collègues, par devenir persuasifs. Et en même temps, on a le sentiment de vivre dans un climat réel, surréaliste, fantasmagorique. Est-ce une orchestration du pouvoir pour préparer l’opinion ? Mais en tout cas, s’il n’y a pas de dissolution, je dirais : gare à l’atterrissage. Ce sera difficile pour les responsables de retomber sur leurs pieds.
J.-P. Elkabbach : Donc si c’est de l’intox, elle est réussie et maintenant il faut y aller. Alors un Président de la République qui a recours à la dissolution – il y a eu cinq dissolutions en 39 ans, S. July le rappelait dans Libération ce matin –, cela se produit quand un président vient d’arriver, dans le cas d’un conflit ou de crise, mais une dissolution comme cela, nouvelle manière, institutionnelle, à froid, est-ce que vous dites, comme certains de vos amis du PS que c’est une manœuvre, une magouille ?
J. Lang : J’exprimerais, là aussi, un avis personnel, qui n’engage que moi. J’avais recommandé – c’était aussi, je crois, le sentiment de P. Bérégovoy à l’époque – à F. Mitterrand, en mars 1994, d’envisager une dissolution à la fin de la guerre du Golfe, pour donner à son action, à notre action, un nouveau souffle. Donc je ne suis pas du tout d’accord avec ceux qui disent qu’il y avait une sorte de théorie qui imposerait la dissolution dans deux hypothèses uniquement comme vous l’avez rappelé à l’instant – après l’élection d’un président ou après une crise. Prenons les régimes parlementaires, en Angleterre, en Allemagne, on peut dissoudre à l’initiative de l’exécutif et il n’est pas mauvais qu’un débat national permette au pays de se prononcer sur des choix nouveaux. Et la question qui se poserait s’il y avait dissolution, elle est claire : ou vous continuez avec la même politique, les mêmes hommes, ou vous décidez de changer de cap. Et cela ne me paraît pas un débat absurde.
J.-P. Elkabbach : De son point de vue, et s’il estime en dernier ressort et en conscience que c’est le moment pour le pays, M. Chirac n’aurait donc pas tort de dissoudre l’Assemblée élue il y a quatre ans ?
J. Lang : Qu’il apprécie, qu’il décide. Je dirais que si je suis resté longtemps sceptique sur cette éventuelle décision, c’est qu’il prend un assez grand risque pour lui-même puisqu’en vérité, dans ce cas-là, l’élection prendrait la forme d’une sorte de référendum pour ou contre la politique, pour ou contre le Gouvernement. Et je crois que les chances pour la gauche de victoire ne sont pas minces. Nos candidats sont prêts, en particulier nos candidates – 30 %, je le rappelle –, notre programme sur l’Europe, établi voici plusieurs mois, sur la démocratie – 150 propositions que j’ai soumises à nos militants à la demande de L. Jospin –, sur l’économie, sur la politique sociale, sur la sécurité ; bref, sur tous les sujets importants, nous sommes prêts. Par ailleurs, l’alternance, il ne faut pas l’oublier, est entrée dans les mœurs…
J.-P. Elkabbach : Vous n’êtes pas en train d’imaginer que vous pouvez gagner ces élections si elles ont lieu, M. Lang ?
J. Lang : Ce n’est pas d’aujourd’hui que je le dis. Moi je le pense depuis plusieurs mois. Les circonstances sont ainsi faites que je crois que les chances de victoire pour la gauche ne sont pas minces. Regardez les sondages, quelles que soient les variations, les partis du progrès, allés par des décisions de discipline républicaine, se trouvent largement en tête. Et puis, par ailleurs, il y aura la victoire britannique les travaillistes dans quelques jours, dans quelques semaines…
J.-P. Elkabbach : Donc M. Blair peut gagner pour M. Jospin ?
J. Lang : Non, tout cela parce que l’on parle beaucoup de l’Europe. Il est important qu’en Europe, il y ait un certain nombre d’idées communes qui traversent les pays, en Italie, en Allemagne, en Angleterre, en France, en Suède…
J.-P. Elkabbach : La cohabitation, dans ce sens, qui est encore tout à fait inconnue, vous semblerait possible ?
J. Lang : On peut ne peut pas être favorable à la cohabitation, mais la Constitution est ainsi faite – peut-être qu’un jour il faudra la changer, comme sur beaucoup de points – qu’elle est devenue une institution. Nous l’avons pratiquée dans un sens ; on la pratiquerait dans l’autre sens.
J.-P. Elkabbach : Vous dites : nous sommes prêts, nous avons un programme, des candidats, mais vous êtes divisés sur l’Europe entre vous et avec vos partenaires du Parti communiste, et vous n’êtes peut-être pas pressés de réaliser le calendrier européen de Maastricht, vous ?
J. Lang : Je ne comprends pas pourquoi vous dites qu’il y aurait des divisions entre nous sur ce sujet. Il peut y avoir des nuances ici ou là, mais nos positions ont été adoptées à l’unanimité dans notre convention sur l’Europe et nos positions sont claires, elles ont été précisées voici quelques mois encore. Donc, sur ce plan-là, les réponses sont claires. Je crois que l’important, c’est la question suivante : si le peuple est consulté, souhaitez-vous continuer avec la même politique, les mêmes orientations, les mêmes hommes et les mêmes femmes ou bien voulez-vous changer de cap ? Mon sentiment c’est que les Français souhaitent un gouvernement de justice et d’innovation. Et la gauche, précisément, incarne cette double exigence : changer l’ordre injuste des choses et mettre le pays en mouvement.
J.-P. Elkabbach : M. Lang vous n’allez pas dire : eux c’est du sang et des larmes et puis nous c’est le rêve, le paradis. Est-ce que l’on ne peut pas dire aux Français : cela va être dur pour tout le monde, parce qu’il y a des rendez-vous avec l’Europe, etc. ?
J. Lang : Je n’ai pas dit cela. En effet, je crois que si la gauche est appelée à prendre les rênes des responsabilités, la politique sera une politique de justice et d’innovation mais ce sera en même temps une politique sérieuse, solide, avec une maîtrise des dépenses publiques et de la fiscalité. Nous devons être prêts pour aborder les échéances à condition que ce que nous avons proposé pour entrer dans l’euro soit accepté par nos partenaires.
J.-P. Elkabbach : Vous voulez dire que vous serez à l’heure avec les rendez-vous de Maastricht, à tous les rendez-vous ?
J. Lang : Nous serons à l’heure si l’ensemble des conditions qui ont été posées, et en particuliers l’entrée des pays du Sud et toute une série d’éléments touchant à la politique économique de l’Europe sont satisfaits.
J.-P. Elkabbach : Vous ne pensez pas que la société française et l’économie française ont besoin, aujourd’hui, d’un bon bol d’air libéral ?
J. Lang : La société française a besoin de retrouver le moral, de retrouver du tonus, de retrouver du désir d’action ; elle a besoin de retrouver le goût des grandes aventures collectives, et vous ne pourrez imposer à notre pays aucun sacrifice s’il n’y a pas un idéal mobilisateur qui entraîne le pays.
J.-P. Elkabbach : Donc, de votre point de vue, J. Chirac devrait avoir raison de dissoudre. Vous êtes mobilisés, vous êtes inspirés. Sur quels thèmes ferez-vous campagne avec le Parti socialiste ?
J. Lang : Nous ne sommes pas encore entrés en campagne parce que la décision n’a pas été prise. Je ne veux pas, pour ma part, alimenter des rumeurs qui pour l’instant ne sont que des rumeurs.
J.-P. Elkabbach : Vous croyez que vous ne l’avez pas fait ce matin ?
J. Lang : Vous m’avez invité et j’ai peut-être eu le tort d’accepter.
J.-P. Elkabbach : Si le Président de la République a pris sa décision il ne l’a pas encore révélée. Je pense que les impatients n’attendront plus longtemps.
J. Lang : En tout cas : sérénité et tranquillité.