Interview de M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, à RTL le 28 avril 1997, sur la préparation des élections législatives et les "fondations" posées par la majorité dans le domaine social.

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J.-M. Lefebvre : Si la droite l’emportait, on a plutôt l’impression que ce sera la continuité au lieu du changement.

J. Barrot : Un élan est préparé par une première démarche. Il y a des fondations. On va construire sur ces fondations. On construira d’autant mieux que les fondations sont là, que l’on a commencé à dynamiser l’entreprise française en abaissant ses charges. Il faudra aller plus loin, en donnant à l’entreprise française plus de souplesse, négocier, en mettant plus d’argent sur l’investissement et la recherche grâce aux économies que nous faisons sur l’État. C’est bien un chantier qui va de l’avant. Il est vrai qu’il est logique que cela colle avec les fondations que nous avons posées. Mais, l’avantage, c’est que, ayant la durée et la cohérence avec nous, nous pourrons vraiment rapidement bâtir.

J.-M. Lefebvre : La reprise de la loi sur la cohésion sociale ou la loi sur l’agriculture : ce seront, là aussi, plutôt des continuités.

J. Barrot : Ah mais, dans la vie, il faut savoir persévérer ! Il faut aussi accélérer pour que le bâtiment France soit fort et que la France arrive au rendez-vous européen avec une solidarité qui soit adaptée pour ceux qui en ont le plus besoin. Nous avons remis en ordre nos finances sociales. Ce n’était pas par une espèce de maniaquerie comptable, mais c’était vraiment pour pouvoir aller au-devant de ceux qui ont le plus besoin : assurance maladie universelle, a dit le Premier ministre hier soir, et les contrats d’initiative locale qui vont offrir aux titulaires du RMI autre chose qu’un revenu : un véritable contrat d’insertion. Tout cela, ce sont des jalons posés. Mais il faut le réaliser rapidement.

J.-M. Lefebvre : C’est donc la même politique qui aurait le temps devant elle ?

J. Barrot : C’est une politique qui va prendre toute sa dimension. Le moment des fondations est un moment un peu rude : il faut remettre de l’ordre – et j’en sais quelque chose ! Si nous avons réussi à déceler les dépenses d’assurance maladie et passer d’un taux de progression de 6 à 2 % tout en continuant à soigner très bien, c’est précisément pour dégager des marges de manœuvre, des prestations familiales aux enfants de 19 ans qui sont entre école et entreprise, accélérer les fruits de cette nouvelle loi sur l’apprentissage. Je suis actuellement à Toulouse : il y a 1 000 personnes, dont beaucoup de jeunes, car la région Midi-Pyrénées s’est engagée pour plus de 20 % d’apprentis. Le mouvement est en marche. Les élections vont nous permettre de l’accélérer et de pouvoir avoir encore une fois une France plus forte, plus solidaire dans les grands rendez-vous européens. Ça vaut le coup !

J.-M. Lefebvre : Hier soir, le Premier ministre a reconnu que les résultats de la lutte contre le chômage n’étaient pas bons. Il semble d’ailleurs que le Premier ministre ait donné des chiffres qui ne tenaient pas en compte le changement de calcul. En fait, le nombre de chômeurs a augmenté de 1995 à 1997 beaucoup plus que ce qu’il a dit, de plus de 221 000 chômeurs.

J. Barrot : Non, je regrette : le chômage a connu, si on prend comme période de référence fin 1993 à cette mi-1997, une quasi-stabilisation. Mais, ce qui compte, c’est le nombre de créations d’emplois. Or, ce qui est important, c’est que depuis décembre 1993 jusqu’à décembre 1996, nous avons 312 000 créations d’emplois. Cela ne suffit pas pour résorber le chômage, dans la mesure où 160 000 jeunes arrivent chaque année en plus sur le marché du travail par rapport aux départs à la retraite, mais 312 000, cela veut dire qu’il n’y a pas de fatalité du chômage, cela veut dire que la France peut créer des emplois.

J.-M. Lefebvre : Mais qu’elle ne peut pas diminuer le nombre des chômeurs.

J. Barrot : Ah si, parce que progressivement, si nous arrivons comme nous venons de le faire, même avec une croissance de 1 % en 1996, à réussir à perdre très peu d’emplois et à ne pas laisser le chômage s’accroître, cela veut dire que si nous passons à une croissance de plus de 2 %, à ce moment-là, oui, on commencera à voir le chômage reculer. C’est pour cela qu’il faut persévérer, dynamiser nos entreprises, et faire en sorte que l’État soit un peu plus au service de ceux qui bossent, de tous ceux qui ont des initiatives, plutôt que de se laisser un peu aller à l’engourdissement bureaucratique.

J.-M. Lefebvre : Un État qui aurait moins de fonctionnaires : la stabilisation des dépenses publiques doit-elle en passer par là ?

J. Barrot : Elle passe surtout par le fait que l’État consacre les meilleurs des siens à un certain nombre de fonctions, et que, pour dans d’autres cas où il en ait besoin, il transfère les compétences des uns vers d’autres services ; pouvoir faire en sorte de bien accomplir sa tâche, par exemple, dans le domaine de la sécurité, dans les domaines d’accompagnement social, et qu’il laisse le secteur privé conduire l’économie selon les règles du marché qui sont infiniment plus efficaces.

J.-M. Lefebvre : Si l’UDF arrive en tête et que la droite gagne, le Premier ministre devra-t-il être UDF ?

J. Barrot : Dans la Ve République, il n’y a qu’un seul choix de Premier ministre qui revient au président de la République. Nous ne sommes pas dans la République des partis, ce qui ne veut pas dire que les partis ne sont pas utiles, ce qui ne veut pas dire que mes convictions UDF soient secondaires. Ce qui compte, c’est que je les apporte – comme nos amis RPR le font chaque jour aussi – au succès d’une majorité, au succès d’une volonté politique pour le pays. On ne peut pas tout à fait en dire autant de la même manière du côté de l’opposition.

J.-M. Lefebvre : Elle vous accuse de préparer un nouveau « plus d’austérité » au 41e jour.

J. Barrot : Ce que je constate, c’est que lorsqu’on a commencé à remettre les choses en ordre – je pense aux années 80 et aux années 86-88 – et que les socialistes sont arrivés, je n’oublierai jamais ma propre succession aux Affaires sociales où mon successeur disait : « Je ne serai jamais le ministre des comptes. » On a vu où ça nous a menés. Il ne s’agit pas de faire de la rigueur : il s’agit de faire que la France, par un effort continu, s’adapte au monde de demain pour y préparer la place de ses jeunes. C’est cela l’objet central. C’est cela le cœur de notre campagne électorale.