Texte intégral
Europe 1 - jeudi 13 mars 1997
J.-P. Elkabbach : Alors, c'est fait, le RPR définit sa stratégie anti-FN, elle est signée Delalande-Mancel-Juppé. Vous faites donc du FN et de Jean-Marie Le Pen votre ennemi déclaré, vous avez décidé avec détermination de le combattre. Vous le prenez pour une menace sérieuse : cette fois-ci, il faut y aller, même frontalement ?
J.-F. Mancel : Nous avons d'abord un adversaire politique essentiel qui est le PS. Et puis, nous avons un autre adversaire qui est également le FN. Et, à partir de là, nous devons les affronter tous les deux dans des conditions différentes, avec des méthodes différentes qui tiennent compte de la spécificité de ces deux formations.
J.-P. Elkabbach : Est-ce qu'il y en a un qui est pire que l'autre ?
J.-F. Mancel : Je crois qu'ils ne se situent pas au même niveau, si vous voulez. Ce qui nous sépare essentiellement du FN, c'est bien évidemment ce que l'on peut appeler des valeurs, les valeurs gaullistes, celles qui datent du 18 juin 1940 et qui sont toujours restées invariables : elles n'ont absolument rien à voir avec ce que fait le FN. Avec le PS, c'est un combat d'idées et d'idées sur la manière d'assumer la responsabilité de la France.
J.-P. Elkabbach : Dans le document que vous allez remettre probablement aux militants et aux élus du RPR, vous dénoncez, vous énumérez ce que Jean-Marie Le Pen appelle « ses valeurs et ses références ».
J.-F. Mancel : Oui, on en a beaucoup qui peuvent, hélas, résumer l'attitude du FN : l'inégalitarisme, l'antisémitisme, le négationnisme, le révisionnisme historique, l'antiparlementarisme, le populisme, la démagogie. Vous avez là tous les ingrédients qui sont, hélas, ceux qui ont caractérisé ce qu'a été le fascisme.
J.-P. Elkabbach : Et vous rappelez que quand le FN promet de renvoyer trois millions d'immigrés chez eux en sept ans, vous avez une réponse ?
J.-F. Mancel : Oui, le FN dit absolument n'importe quoi. Si l'on suit exactement ce qu'il écrit, cela voudrait dire qu'il faudrait renvoyer 1 200 personnes tous les jours pendant 2 555 jours ! Vous imaginez cela possible ?
J.-P. Elkabbach : C'est-à-dire 400 000 par an. Vous avez analysé tout de Jean-Marie Le Pen, des deux Bruno – Mégret et Gollnisch – et de leurs méthodes. Et de leurs méthodes, que faites-vous contre ?
J.-F. Mancel : Sur les méthodes, nous avons deux réponses. Une première réponse qui consiste à dire : il faut que nous ayons, à l'égard des électeurs du FN, des réponses concrètes. Il faut qu'on leur parle de la vie de tous les jours, des difficultés qui sont les leurs et de la manière dont, nous, nous pouvons régler ces difficultés. C'est ce que fait le gouvernement et il le fait bien. Quant aux méthodes de terrain, cela implique que nous soyons très présents, que nous allions expliquer aux gens tout ce que le FN comporte d'ignoble, dans un sens, et d'aberrant et de ridicule dans d'autres.
J.-P. Elkabbach : Je note que vous ne proposez pas d'interdire le FN ?
J.-F. Mancel : Non, absolument pas, pas plus d'ailleurs que je ne crois qu'il faut exagérer les manifestations, qui sont un peu de la gesticulation, contre le FN et qui, à mon sens, ne répondent pas aux préoccupations de ceux qui sont tentés de voter pour lui.
J.-P. Elkabbach : Mais, par exemple, vous, vous allez à Toulon ce soir, dans le Var. Cela, ce n'est pas de la gesticulation ?
J.-F. Mancel : On pourra le dire, le cas échéant. Je vais à Toulon tout simplement pour parler de ce que nous faisons, d'abord.
J.-P. Elkabbach : C'est-à-dire que quand un politique va sur le terrain et se bat, c'est une action politique et quand ce sont des intellectuels et des artistes, cela ressemble plus à des gesticulations, surtout quand ils viennent de Paris ?
J.-F. Mancel : Au contraire, loin de moi cette idée. Je dis simplement que ce que l'on a appelé la diabolisation du FN n'est pas inutile mais il n'y a pas que cela. Ce qu'il faut, c'est apporter des vraies réponses, très concrètes, à celles et à ceux qui sont tentés par le FN. Et c'est ce que nous faisons en matière de lutte contre l'immigration illégale, en matière de lutte contre le chômage, le chômage des jeunes, en matière de libération de l'économie pour soulever un peu cette lourdeur de l'administration, de la fiscalité pour les artisans, les commerçants. Tous ces gens qui, aujourd'hui, sur ces thèmes-là sont séduits par les idées souvent absurdes développées par le FN. Cela, c'est de l'action concrète.
J.-P. Elkabbach : Et alors chaque élu ou chaque militant du RPR aura donc ses armes contre le FN et vous l'incitez à la confrontation ?
J.-F. Mancel : On va faire les deux, si vous voulez. Toujours dans la même ligne, nous avons un député qui s'appelle Daniel Garrigue qui a, lui, travaillé sur le PS et Jean-Pierre Delalande qui a travaillé sur le FN et nous allons, dans les deux directions, fournir des argumentaires, organiser des séminaires pour nos cadres et nos candidats aux élections, de façon à avoir tous les arguments nécessaires pour combattre nos adversaires.
J.-P. Elkabbach : Mais si, par exemple, Jean-Marie Le Pen, Bruno Mégret ou Bruno Gollnisch lancent un défi à Jean-François Mancel, à M. Stefanini, à des responsables de l'UDF ou du RPR, vous pensez qu'il faut y aller ?
J.-F. Mancel : Moi, je crois que c'est tout à fait indispensable. La politique de la chaise vide en face du FN est une absurdité, nous devons débattre, débattre avec tous nos arguments et c'est la manière de montrer aux citoyens la différence qui existe entre nous. Comment voulez-vous qu'ils la perçoivent si nous ne sommes pas là.
J.-P. Elkabbach : Le maire de Strasbourg ne peut pas empêcher la tenue du congrès du FN à Strasbourg à la fin du mois – c'est la loi – et Catherine Trautmann invite, dans « Le Figaro », les Strasbourgeois à se mobiliser eux-mêmes et à y aller. Vous pensez que c'est une bonne méthode ?
J.-F. Mancel : Cela dépend de ce qu'ils feront. Je ne suis pas persuadé, là encore, que les manifestations qui parfois tournent mal, où il y a des rixes, des bagarres, soient très utiles parce que, finalement, il ne faut pas que l'on fasse monter le FN à travers cela. Moi, je crois plutôt qu'il faut s'adresser aux électeurs du FN en leur montrant à quel point ce parti politique est indigne du choix qu'ils ont fait pour lui mais qu'en revanche, nous, nous répondons à leurs questions, à leurs préoccupations de tous les jours.
J.-P. Elkabbach : S'il y avait des élections aujourd'hui, d'après vos enquêtes, est-ce que vous savez, sur le plan électoral, quel serait le rapport de forces ? Est-ce que les socialistes peuvent gagner ?
J.-F. Mancel : Je suis tout à fait convaincu que les socialistes ne gagneront pas les élections législatives pour deux raisons. La première, c'est que les Français nous referont confiance parce qu'ils considéreront que nous avons fait notre travail, que nous avons remis la France debout et en marche et que, par ailleurs, le PS est tellement déchiré entre des courants totalement contradictoires qu'il n'a aucune crédibilité.
J.-P. Elkabbach : C'est normal que vous, patron du RPR, vous le disiez mais est-ce que vous avez des chiffres, c'est cela qui est intéressant aujourd'hui : les indications chiffrées ?
J.-F. Mancel : Les chiffres, ils sont dans le cœur des électeurs et dans leur tête. C'est cela qui comptera, ce sont les urnes et, sur ce point-là, je n'ai aucune inquiétude pour l'avenir.
J.-P. Elkabbach : Alors on prend d'autres problèmes : les élus de la majorité recevaient Louis Schweitzer hier en commission à l'Assemblée nationale. Apparemment, ils lui laissent peu de chances de continuer. Pour vous, doit-il rester patron de Renault, doit-il partir ?
J.-F. Mancel : Je pense que Louis Schweitzer a commis une faute très lourde dans la mesure où il a porté atteinte à la dignité humaine et quelle que soit la nécessité à laquelle peu se trouver confronté un patron, de devoir licencier, on ne peut pas ne pas respecter l'homme, le salarié et cela je crois que, de la part d'un très grand patron, c'est une faute irréparable.
J.-P. Elkabbach : Donc, il faut qu'il s'en aille ?
J.-F. Mancel : Je pense qu'il devrait en tirer les conséquences.
J.-P. Elkabbach : Et cela veut dire qu'à partir du moment où il serait parti, vous pensez que les difficultés de Renault disparaîtraient, que les prix des voitures Renault baisseraient ? Et qui lui a interdit, même au niveau de l'État, de prendre ces responsabilités, ces décisions ?
J.-F. Mancel : Je n'ai pas mis en cause les qualités de gestionnaire de M. Schweitzer, j'ai simplement dit qu'un grand patron, ou qu'un patron quel qu'il soit, doit avoir le sens de la dignité de ses salariés et la respecter. En l'occurrence, cela n'a pas été le cas et cela me paraît une grave faute de la part de quelqu'un qui détient le sort professionnel de tant d'hommes et de femmes.
J.-P. Elkabbach : Le coût du Crédit Lyonnais, 130 milliards, qu'est-ce que cela vous fait comme réflexion sur le comportement de l'État ?
J.-F. Mancel : C'est effarant, c'est un désastre et c'est le désastre de l'État socialiste et cela doit nous inciter, nous, à aller beaucoup plus loin et beaucoup plus fort en matière de réforme de l'État. Mettre fin en quelque sorte à l'État tatillon et tentaculaire que nous connaissons pour avoir un État qui redevienne présent, dynamique, efficace.
J.-P. Elkabbach : Une dernière question : il y a une consœur de « La Croix » qui pose une bonne question à propos des femmes : pour une femme, l'idée est injurieuse de devoir une responsabilité non à sa compétence ou à son mérite mais à la loi. Vous êtes aux côtés d'Alain Juppé, le numéro un du RPR, pourquoi avez-vous tant de mal – à l'UDF aussi – à accepter les femmes en politique ?
J.-F. Mancel : Je crois qu'il faut donner aux femmes l'égalité des chances par rapport aux hommes. Quand elles partent dans un combat politique, il faut qu'elles partent exactement sur la même ligne. La difficulté à laquelle nous sommes confrontés aujourd'hui, c'est que c'est vrai que cela fait des années et des années que l'on a essayé de ne pas faire de place aux femmes en politique. Disons les choses comme elles sont. C'est en train de changer. Moi, je suis très optimiste pour l'avenir parce que je considère que les nouvelles générations...
J.-P. Elkabbach : L'avenir pour les femmes, c'est à la saint-glinglin ?
J.-F. Mancel : Non, pas du tout. Je vous donne un chiffre : je crois que, dans dix ans, nous aurons atteint une proportion tout à fait satisfaisante entre hommes et femmes en politique mais il n'y a pas qu'en politique, il faut penser aussi à tous les autres secteurs de la vie.
La Dépêche du Midi - mercredi 19 mars 1997
La Dépêche du Midi : Quelle est la position du RPR vis-à-vis de I'« affaire Renault ». Votre secrétaire général adjoint, M. Stefanini, est d'une extrême sévérité à l'égard de Louis Schweitzer. M. Juppé est, à l'évidence, beaucoup plus nuancé. Qui faut-il croire ?
Jean-François Mancel : La décision de Renault est avant tout un drame humain pour les salariés de l'usine de Vilvorde, présents souvent depuis très longtemps dans l'entreprise. Il ne s'agit pas de nier les impératifs de restructuration auxquels Renault, comme toute entreprise, peut être confrontée pour assurer son avenir. Rien ne justifie, en revanche, chacun s'accorde là-dessus, la méthode utilisée et le manque d'attention et de considération dont le PDG de Renault a fait preuve à l'égard de ses salariés. Cette affaire confirme que Jacques Chirac a raison de se battre, comme il le fait avec beaucoup de force depuis son élection, pour que l'Europe de demain soit aussi une Europe sociale, une Europe soucieuse avant tout de l'homme et de son avenir.
La Dépêche du Midi : Le député du Val-d'Oise, Jean-Pierre Delalande, a rédigé un rapport où il trace, à l'attention des militants du RPR, les grandes lignes d'une stratégie dirigée contre le Front national. Quels sont les grands principes de cet engagement ?
Jean-François Mancel : Face au Front national, notre stratégie est très claire. Par-delà le combat permanent pour nos valeurs, qui sont aux antipodes des idées de haine, de xénophobie et de racisme du Front national, nous devons expliquer à nos compatriotes la démagogie et l'incohérence des propositions du Front national. Les exemples ne manquent pas. Que propose le programme du FN pour l'emploi ? De fermer les frontières, en oubliant que deux Français sur cinq travaillent aujourd'hui grâce à l’exportation et que la France est le quatrième exportateur mondial. Que propose le FN en matière d'immigration ? Une confusion permanente entre étranger et immigré, immigré en situation régulière et immigré clandestin, immigré clandestin et travailleur clandestin, destinée à brouiller la réalité et à attiser les appréhensions et les craintes de nos concitoyens. La recette est toujours la même : mensonge, amalgame et refus de la réalité. On peut également regarder ce qui se passe dans les mairies conquises par le Front national : à Toulon, le FN avait promis de baisser les impôts. En 1996, il les a augmentés de plus de 5 %... Parallèlement, nous devons convaincre nos compatriotes que c'est nous qui apportons des réponses concrètes à leurs attentes : le projet de loi Debré sur la lutte contre l'immigration illégale en est une bonne illustration. Ce triple combat contre le FN passe, bien sûr, par un travail de proximité permanent et une présence sans cesse accrue auprès de nos concitoyens. C'est le travail que font au quotidien et que vont poursuivre sans relâche dans l’avenir les femmes et les hommes du Rassemblement pour la République.
La Dépêche du Midi : Vous négociez les investitures avec l'UDF dans la perspective des élections législatives. La discussion est, semble-t-il, plutôt âpre. Quel peut être, selon vous, le compromis le plus avantageux pour la majorité ?
Jean-François Mancel : Il ne s’agit pas de compromis mais de rechercher ensemble dans chaque circonscription le meilleur candidat, celui le mieux à même de battre tous nos adversaires et d’assurer ainsi la victoire de toute la majorité. C'est dans ce but commun que nous travaillons, dans un excellent climat, avec nos partenaires de l'UDF. J'ai bon espoir que nous aboutissions avant Pâques, dans la quasi-totalité des cas, à la désignation de nos candidats communs aux élections législatives. Il nous aura fallu six à sept réunions : c'est un bel exemple d'efficacité et de bonne entente. C’est ensemble que nous gagnerons les élections, pour poursuivre, après 1998, avec Jacques Chirac et Alain Juppé, la construction de la France pour tous.