Texte intégral
P. Lapousterle : Le conflit avec les internes et les professions médicales ne s’apaise pas, bien au contraire. 16 CHU sur 26 sont en grève, manifestation hier à Paris, manifestation nationale annoncée pour jeudi prochain. Est-ce que vous pensez, comme M. Juppé, qu’il s’agit d’un simple malentendu ?
A. Lamassoure : Je le crois. C’est une grève paradoxale à plusieurs égards. Elle a plus d’un an de retard, puisqu’en réalité, le conflit porte que le cœur de la réforme de la Sécurité sociale. En outre, ce sont des internes qui sont au premier rang, ces internes qui travaillent aujourd’hui dans un hôpital, dans le cadre de leurs études. Or en fait, leurs revendications portent sur le statut de médecins libéraux qu’ils seront quand ils auront quitté – pour 85 % d’entre eux – l’hôpital. Et enfin, dans cette réforme, je dirais que ce sont eux qui sont le mieux traités, notamment les futurs médecins, puisque la réforme a été conçue pour sauver la Sécurité sociale et faire en sorte que la nouvelle génération de médecins bénéficie à la fois, comme leurs malades, des avantages de la médecine libérale, et du remboursement collectif.
P. Lapousterle : Est-ce que vous contestez, M. Lamassoure, aux internes, qui ont dix ans d’études après le Bac, de savoir lire un texte qui les concerne et de pouvoir le comprendre ?
A. Lamassoure : Non, je ne le conteste pas, bien entendu
P. Lapousterle : Mais de…
A. Lamassoure : Simplement, il faut bien voir, encore une fois, que c’est le cœur de la réforme qui est en jeu. Puisque, ce contre quoi les internes manifestent, c’est contre…
P. Lapousterle : Le rationnement des soins.
A. Lamassoure : Ce qu’ils appellent le rationnement, qui est tout simplement la maîtrise des dépenses de santé. Les dépenses de santé ont dérapé de 6 % par an, de 1990 à 1993. Nous sommes revenus, avec des méthodes de maîtrise, non pas comptables, mais de maîtrise médicalisée des soins, à un rythme de 2 % qui est beaucoup plus raisonnable. Et nous voulons mettre en place des systèmes – ils sont déjà en place d’ailleurs, dans le cadre de la Sécurité sociale – qui responsabilisent chaque acteur de la politique de santé, non seulement les médecins mais les autres professions médicales : les laboratoires pharmaceutiques qui font les médicaments, les pharmaciens, les caisses de Sécurité sociale qui sont obligées de faire des efforts de productivité, d’améliorer leur gestion administrative, et les patients eux-mêmes à qui on a demandé de payer pour les dettes de la Sécurité sociale avec un prélèvement spécial qui a été le RDS, et qui, maintenant, vont avoir un carnet de santé et seront également responsabilisés. Il ne faut pas que les médecins puissent s’exonérer de cette chaîne de responsabilité.
P. Lapousterle : Nous sommes lundi matin, il est 7 h 49 exactement, M. Lamassoure, est-ce que le Gouvernement va continuer sur la ligne qui est actuellement la sienne et qui est de dire : c’est un malentendu, il n’y aura aucune concession supplémentaire sur le fond de la convention ?
A. Lamassoure : La convention a été signée. Elle a été signée par des syndicats représentatifs, à la fois sur…
P. Lapousterle : Enfin, ce n’est pas le premier texte signé sur lequel on revient. Vous le savez bien !
A. Lamassoure : Non. Elle a été signée dans le cadre de l’application de réformes, à la fois par un syndicat de généralistes et par un syndicat de chirurgiens. En outre, contrairement à ce dont on nous rabat les oreilles depuis plusieurs jours, dans l’hypothèse d’un dépassement des dépenses par les médecins, notamment – il y a trop de médicaments , ce qui sera mis en œuvre, ce n’est pas une sanction financière collective pour tous les médecins. Dans le cadre de la convention, il y aura un examen, région par région, et dans chacune des régions, on tiendra compte de ce qu’a été le comportement de chacun des médecins ; ceux qui ont manifestement dérapé, exagéré, et ceux qui sont beaucoup plus coûteux à la Sécurité sociale – à cause des prescriptions qu’ils donnent , pourront être, à ce moment-là, pénalisés. En revanche, ceux qui sont restés dans les normes, des normes médicales encore une fois, j’insiste – ça n’est pas des simples calculs comptables , ceux-là ne seront pas du tout pénalisés. En outre, si l’ensemble des dépenses de médecine de ville est maîtrisé, comme cela a été le cas l’année dernière, alors les médecins auront tous droit à un supplément d’honoraires.
P. Lapousterle : Je vous repose la question : aucune concession n’est envisageable, vis-à-vis des internes dans les semaines à venir ?
A. Lamassoure : Je ne le crois pas, car, c’est le cœur de la réforme encore une fois qui est en cause. Cette réforme a été votée, acceptée par les Français, négociée pendant plus de 18 mois avec les professions médicales. Il s’agit maintenant de l’appliquer.
P. Lapousterle : Le Front national a pris une importance nouvelle dans la vie politique, M. Lamassoure, depuis Vitrolles. Approuvez-vous ce qu’a dit M. Léotard et ce que M. Jospin a appelé « l’amalgame », c’est-à-dire qu’il fallait que la majorité lutte à égalité, je dirais, contre le Front national et le Front populaire ?
A. Lamassoure : Écoutez, je crois que ça a été une phrase diversement commentée il y a déjà une dizaine de jours. Je pense que la bonne formule consiste à dire que nous avons un adversaire politique principal qui est le PS, avec lequel nous combattons pour l’exercice du pouvoir. Et puis, nous avons un ennemi, le Front national, comme d’ailleurs l’extrême gauche est notre ennemi – parce qu’il véhicule des valeurs qui ne sont pas les nôtres.
P. Lapousterle : Ça veut dire que la formule de M. Léotard n’était pas la meilleure possible ?
A. Lamassoure : On peut avoir des formules plus ou moins heureuses au gré du débat politique.
P. Lapousterle : M. Jospin a eu une formule, quant à lui, concernant la majorité, disant que la droite récupère l’extrême droite au lieu de la combattre. Est-ce que vous considérez que cette phrase n’a aucune…
A. Lamassoure : Cette phrase ne correspond pas à la vérité. Car politiquement, qui peut profiter d’un succès de l’extrême droite ? C’est évidemment la gauche, puisque ce succès se fait au détriment de la droite et le PS espère bien que l’année prochaine, le score du Front national permettra suffisamment aux candidats du Front de se maintenir au deuxième tout pour faire battre les candidats de la droite. Cela dit, je suis un peu surpris de voir que 12 ou 13 ans après la fameuse phrase de L. Fabius, à l’époque où il était Premier ministre, disant : « Le Front national apporte de mauvaises réponses à de bonnes questions », le PS en est toujours à s’interroger sur la manière de lutter contre le Front national. Je crois que la bonne manière, c’est de proposer des solutions à la cause du Front national, en considérant que l’existence du Front national et surtout son attrait dans l’électorat n’est pas la cause du mal. C’est la conséquence qui est la cause première du mal, c’est le chômage, l’insuffisance de la croissance qui, à partir de là, entraîne tout le reste.
P. Lapousterle : M. Lamassoure, je vais vous poser une question à vous qui êtes ministre du Gouvernement, portant sur un thème qui a été rappelé par votre formation, l’UDF, à propos de son attachement à la décentralisation. Est-ce qu’à votre avis, M. Lamassoure, le Gouvernement peut encore changer le mode de scrutin des élections régionales prévues en 1998 ? Est-ce que c’est imaginable, comme l’UDF le demande ?
A. Lamassoure : Le débat est encore ouvert et l’UDF insiste beaucoup. Plus le temps passe, plus cela devient difficile pour la fois prochaine, puisque nous sommes maintenant à moins d’un an de ces élections régionales. Et, je crois que l’UDF, sur ce sujet, avait deux chevaux de bataille. Un : le mode de scrutin, cela paraît difficile. Deux : la date, là, c’est éventuellement encore possible à partir du moment où ce que l’UDF regrette, c’est que les élections législatives, donc nationales et régionales aient lieu le même jour, ce qui veut dire que l’enjeu régional sera un petit peu oublié.
P. Lapousterle : Est-ce que l’UDF va mener bataille sur ce changement-là ?
A. Lamassoure : L’UDF va mener bataille et probablement à l’Assemblée nationale, déposera des amendements. Le Gouvernement a annoncé qu’il était ouvert à des amendements parlementaires à condition que, sur ce sujet, la majorité ne se divise pas. Par contre, nous avons débattu ce week-end en réfléchissant au programme législatif de l’après 1998, du prolongement de la politique actuelle sur l’évolution des modes de scrutin. Et l’idée que nous essayons de défendre, à l’UDF, c’est que la démocratie française se porterait mieux si toutes les élections – sauf les élections municipales qui sont un petit peu particulières où, évidemment, il y a un scrutin de liste – se faisaient au scrutin uninominal, c’est-à-dire avec des circonscriptions dans lesquelles des électeurs sont appelés à voter pour une personne clairement identifiée. C’est le cas pour le Conseil général dans le cadre du canton, c’est le cas pour les législatives, c’est le cas pour les présidentielles, mais ce n’est pas le cas ni pour les élections régionales, ni pour les élections européennes. Chacun de nous ignore pratiquement qui est le conseiller régional qui le représente. Chacun de nous ignore quel est le député européen qui le représente. C’est pourquoi, ces deux institutions très importantes pour l’UDF que sont les Conseils régionaux et le Parlement européen sont assez méconnus du grand public.