Interviews de M. Christian Pierret, secrétaire d'Etat à l'industrie, dans "L'Evénement du jeudi" du 12 février 1998 et "Les Echos" du 24, notamment sur l'arrêt de Superphénix, le projet de réforme de Bercy et le futur contrat de plan entre l'Etat et La Poste.

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Média : Energies News - Les Echos - L'évènement du jeudi - Les Echos

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L’Evènement du Jeudi : 12 février 1998

EDJ : L’arrêt de Superphénix est une victoire de Dominique Voynet et des écologistes. Vous n’êtes pas trop déçu ?

Christian Pierret : L’arrêt de Superphénix n’est pas une victoire des écologistes. C’est une victoire de la raison et de la sagesse. Ce surgénérateur était une erreur économique.
Il y a une permanence de notre politique nucléaire, et je m’en félicite. Je suis très heureux que le nucléaire représente plus des trois quarts de nos approvisionnements d’électricité. C’est une énergie d’avenir, sûre, propre. Grâce au nucléaire, nous sommes, parmi les pays industriels, les champions du monde de la non-pollution. Dominique Voynet a pu s’en prévaloir au sommet de Kyoto sur l’effet de serre. La politique énergétique de la France est équilibrée. Elle n’est ni obscurantiste ni dogmatique.

EDJ : N’en avez-vous pas assez de passer pour le nucléocrate du gouvernement ?

Christian Pierret : Je suis, au contraire, le premier écolo du gouvernement. Pour des raisons éthiques, humanistes, je considère que l’activité industrielle ne doit pas détruire l’homme. Mais jamais je ne me soumettrai à une conception du monde industriel fixiste, passéiste, rétrograde.

EDJ : Les 35 heures à La Poste, c’est pour demain ?

Christian Pierret : La Poste est un service public. Elle va le rester. Mais elle réalise 40% de son chiffre d’affaires sur un marché concurrentiel. Dans le « contrat d’objectifs et de progrès » qui doit être conclu entre l’État et La Poste en 1998, les termes de la marche vers les 35 heures seront fixés. La réduction-aménagement du temps de travail est à l’ordre du jour dans le secteur public. L’État fixe la stratégie et donne la direction.
Mais c’est aux dirigeants des entreprises publiques de mettre en œuvre.

EDJ : Vous représentez l’aile droite du gouvernement ?

Christian Pierret : Vous ne pouvez pas dire cela. Je suis un social-démocrate qui veut susciter la confiance du monde économique. Sans confiance, pas de croissance ; sans croissance, pas d’emploi.

EDJ : Mais lorsque vous vous dites favorable aux fonds de pension, vous déclenchez des cris d’orfraie à gauche.

Christian Pierret : Je reste fondamentalement attaché au système par répartition, qui doit rester le pilier de notre politique en matière de retraites. Mais il s’agit à la fois de résoudre la question des retraites en France est de relever le défi économique et financier de la mondialisation. Les fonds de pension sont une des forces de frappe capitalistiques en réponse à cette menace sur notre indépendance économique nationales que constitue la mobilité des fonds américains.


Les Echos : 24 février 1998

Les Échos : Dominique Strauss-Kahn a récemment présenté son projet de réforme de Bercy. Il a paru ramener le secrétariat d’État à l’industrie à la portion congrue.

Christian Pierret : J’ai participé activement à l’élaboration de la réforme lancée par Dominique Strauss-Kahn qui vise à transformer Bercy en un grand ministère de la Production. Celui-ci n’a pas pour seul but la perception et la répartition des richesses, mais il doit exprimer une approche plus large de l’économie. Pour ce faire, il n’est pas question d’affadir ou de diluer les responsabilités de l’Industrie dans un ensemble plus vaste, mais de développer des synergies efficaces ente toutes les directions de Bercy.
La réforme prévoit que nous aurons, ici au secrétariat d’État à l’Industrie, trois directions fortes tournées vers les entreprises : une direction générale chargée des stratégies industrielles, de La Poste et des Télécommunications, dont le rôle sera de définir des stratégies à long terme ; une grande direction chargée de l’énergie et des matières premières et au sein de laquelle on distinguera les activités de tutelle des activités de régulation ; et enfin une grande direction qui concerne l’action régionale et la petite et moyenne industrie, à qui je confie de plus en plus de tâches de développement industriel et pas seulement de réglementation ou de suivi des établissements classés. Je vous rappelle qu’une discussion budgétaire spécifique sur le budget de l’industrie, avec des crédits bien identifiés, comme celle que nous avons menée en novembre 1997, avant la réforme, demeurera la règle. Nous allons ainsi réaffirmer clairement la personnalité, l’identité de l’industrie au sein de ce grand ministère.

Les Échos : Pratiquement, comment pensez-vous mieux faire prendre en compte la dimension industrielle dans les décisions de politique économique ?

Christian Pierret : Je veux mettre en œuvre un certain nombre de priorités et d’abord le développement industriel des nouvelles technologies. En particulier celles de l’information et de la communication où l’informatique joue un grand rôle. Au sein de cette préoccupation, nous manifestons une attention plus particulière aux transferts de technologies en direction des PMI. Ce sont des entreprises et ces technologies qui sont productrices d’emplois. L’évolution récente de l’économie américaine le montre. Il faut aussi mesurer l’ampleur de la mutation qui affecte l’industrie et la transformation des produits industriels. L’immatériel est désormais au cœur du développement industriel. Ce qui explique que l’orientation stratégique de mon ministère, comme on le voit, change énormément. Ce n’est plus le ministère chargé de suivre exclusivement les gros bataillons d’industries traditionnelles, mais il encourage avec allant les secteurs nouveaux innovants.

Les Échos : Comment envisagez-vous votre rôle dans l’économie ? Que pouvez-vous apporter aux entreprises ?

Christian Pierret : Là aussi, nous assistons à un changement de fond qui repose sur une idée nouvelle du rôle respectif de l’État et des entreprises. Désormais, le ministère chargé de l’Industrie encourage les stratégies du futur, engagées par les entreprises elles-mêmes. Sans nous départir d’une vision stratégique d’ensemble, nous devons fonctionner à la confiance, à l’initiative, à l’encouragement et non pas à l’aide ou à l’assistance. L’État peut, à certains moments, se substituer à la faiblesse de l’entreprise lorsque celle-ci n’a pas su ou n’a pas pu dégager les moyens d’aller de l’avant, souvent pour des raisons internationales d’ailleurs.
L’État accompagne et infléchit beaucoup plus qu’il ne dirige. Cela demande des moyens renouvelés et forts et je redis encore une fois que c’est le but de la réforme du ministère : lui donner sa pleine puissance.

Les Échos : Justement, comment appliquez-vous au secteur automobile la philosophie que vous venez d’expliquer ?

Christian Pierret : En France, l’industrie automobile a devant elle deux ou trois problèmes majeurs. Les primes ont finalement été très coûteuses pour les finances publiques et très inefficaces pour les entreprises. Le secteur est confronté à des problèmes de compétitivité, dont certains sont liés à la structure des effectifs et à une mauvaise pyramide des âges. Les constructeurs ne doivent pas penser que ce défi industriel ne peut être relevé par un guichet d’État devant lequel ils se présenteraient en disant : « Nous venons hercher les crédits dont nous avons besoin », sans vraiment se remettre en cause comme cela a été le cas depuis quinze ans. Il faut inverser les choses. Les constructeurs vont aujourd’hui dans la bonne direction : ils agissent en interne et c’est ensuite qu’ils demandent à l’État : « Qu’allez-vous faire pour nous encourager à aller plus loin encore ? » C’est dans cette perspective, et dans le cadre de la mise en œuvre de la réduction-aménagement du temps de travail dans leur entreprise, que l’État décidera jusqu’où il accompagnera leurs efforts avec les outils dont il dispose, notamment dans le domaine social.

Les Échos : Les discussions ont-elles commencé ?

Christian Pierret : Oui, il y a régulièrement des contacts entre l’État et les constructeurs automobiles. Mais il n’y a pas à ce jour de discussions sur ce que l’on pourrait appeler un « plan automobile ». Les constructeurs ne nous ont pas encore fait de propositions précises.

Les Échos : Toujours dans l’automobile, quand pensez-vous que l’État se désengagera du capital de Renault ?

Christian Pierret : Comme nous l’avons précisé avec Dominique Strauss-Kahn, ce n’est pas à l’ordre du jour.

Les Échos : Quel avenir voyez-vous à Framatome, entreprise majoritairement à capitaux publics ?

Christian Pierret : A cause de la saturation de la France en matière d’équipement nucléaire et de l’existence de perspectives internationales limitées, mois à part probablement en Chine, Framatome réfléchit et a commencé à corriger le tir sur sa stratégie industrielle. Tout ce qui est non nucléaire dans ses activités représente une part croissante, et de son chiffre d’affaires et de ses marchés. Nous encourageons aussi la poursuite de la recherche-développement en ce qui concerne l’EPR, c’est-à-dire le réacteur nucléaire du futur que Framatome développe en coopération avec Siemens. Cette coopération, le gouvernement français la juge très utile et fructueuse, car elle est le prélude à une véritable dimension européenne. Et j’ai eu l’occasion de vérifier à Davos avec le président de Siemens, Heinrich Von Pierer, qu’elle n’est pas remise en cause par les contacts du groupe allemand avec le britannique BNFL.

Les Échos : Et l’évolution de l’actionnariat dont fait partie Alcatel Alsthom à hauteur de 44% ?

Christian Pierret : Nous ne sommes pas saisis, à ce jour, de demandes d’évolution de la répartition du capital de la part de l’actionnaire Alcatel Alsthom.

Les Échos : Mais Framatome est une entreprise publique…

Christian Pierret : Nous réfléchissons à l’avenir de Framatome et pas seulement en termes d’actionnariat.

Les Échos : Le rapprochement avec GEC Alsthom qui a tourné court, pourrait-il redevenir d’actualité ?

Christian Pierret : Le fondement industriel, et surtout commercial, de ce projet de fusion était discutable. En tout état de cause, cette solution, mal engagée, a finalement capoté, ce qui n’empêche pas d’ailleurs les deux entreprises de poursuivre leur coopération. Aujourd’hui, nous réfléchissons à d’autres solutions innovantes. Et nous pouvons prendre notre temps pour trouver une bonne solution, industrielle et financière, tenant compte de l’importante trésorerie de Framatome qui pourrait susciter beaucoup d’appétits.

Les Échos : On a conçu la Hague comme un des maillons de la filière nucléaire, le maillon ultime étant le Superphénix. La décision d’arrêter ce surgénérateur ne remet-elle pas en cause l’intérêt du retraitement des combustibles usés ?

Christian Pierret : Non, il faut continuer à retraiter les combustibles usés pour la France, puisque nous en avons besoin pour nos centrales. Par ailleurs, montée en puissance du surgénérateur Phénix doit permettre de satisfaire aux exigences de la loi Bataille dans le domaine de la séparation-transmutation. Nous avons aussi signé des contrats internationaux de retraitement. Il faut les honorer.

Les Échos : La Poste négocie actuellement son contrat de plan avec l’État. Pensez-vous qu’il soit signé rapidement ? Envisagez-vous un débat avec les élus locaux ?

Christian Pierret : L’État souhaite signer au printemps. Pour ce qui est des élus locaux, il est bien évident que rien ne se fera sans eux. J’ai réaffirmé plusieurs fois que La Poste est chargée de par la loi d’une responsabilité en matière d’aménagement du territoire aussi bien en direction du monde rural que des quartiers urbains sensibles. Ce qui est à l’ordre du jour, ce n’est pas le retrait de La Poste de ces zones – bien au contraire -, mais les modalités de la présence postale. L’exploitant doit dialoguer avec les autres services publics et avec les collectivités locales, les communes au premier chef. Celles-ci doivent être respectées dans leur autonomie de décision. Lorsqu’ils le souhaitent, les départements ou les régions pourraient aussi jouer un rôle. Le partenariat permettra de tirer un meilleur parti des implantations des différents services publics et pourra conduire à revoir l’organisation du travail, en interne, à La Poste. Rien ne sera proposé par l’État à La Poste dans le contrat de plan avant d’approfondir le type de partenariat souhaité par les associations nationales représentatives des élus. En attendant que le contrat de plan définisse la méthode, j’ai demandé à la direction de La Poste de surseoir à toute proposition de réorganisation en zone rurale. Je pense notamment associer les élus, après la signature du contrat de plan, à l’évolution de la présence postale. Elle sera liée à ces partenariats nouveaux, selon une procédure très innovante et démocratique.

Les Échos : La Poste doit-elle passer aux 35 heures ?

Christian Pierret : Comme l’a dit Lionel Jospin, la réduction-aménagement du temps de travail s’applique au secteur public et donc s’appliquera à La Poste selon des modalités que l’exploitant négociera avec les organisations syndicales représentatives. Le contrat de progrès fixera aussi quelques lignes générales. Les 35 heures doivent donner aux postiers l’occasion d’améliorer la qualité de leur mobilisation pour mieux satisfaire la qualité de satisfaire la qualité du service aux usagers en modernisant les organisations du travail.

Les Échos : Dans le cadre de l’ouverture à la concurrence des télécommunications, quand comptez-vous lancer l’appel d’offres sur la boucle locale radio ?

Christian Pierret : L’appel d’offres sera lancé en 1998.

Les Échos : Êtes-vous prêt à vous désengager de SGS-Thomson ?

Christian Pierret : SGS-Thomson est une entreprise franco-italienne dont 30% du capital est aujourd’hui en Bourse. Le gouvernement français n’est pas opposé à ce que la part publique franco-italienne s’établisse aux alentours de 51%, si les conditions de marché le permettent, pour que l’entreprise lève des fonds sur le marché, afin de financer son développement industriel.

Les Échos : Bruxelles s’impatiente de ne rien avoir reçu concernant Thomson Multimédia. A-t-on avancé sur la recherche d’un partenaire pour TMM ?

Christian Pierret : En plein accord avec la commission de Bruxelles, le gouvernement a procédé, à la fin de 1997, à un versement de 11 milliards de francs qui a été utilisé en totalité pour la recapitalisation de Thomson SA, puis celle de TMM. TMM poursuit son redressement pour aborder dans les conditions les plus favorables les discussions avec des partenaires stratégiques. Il est par ailleurs faux de dire que « Bruxelles n’a rien reçu » : le gouvernement français vient d’adresser à la Commission les informations qu’elle souhaitait, et il respecte l’ensemble de ses engagements.