Tribune de M. Pierre Moscovici, ministre délégué aux affaires européennes, dans le quotidien espagnol "El Periodico" le 29 janvier 1998, sur le passage à l'euro et l'élargissement de l'Union européenne.

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Média : El Périodico

Texte intégral

1998 : année de l’euro, année de l’Europe.

L’année qui s’ouvre est marquée par deux rendez-vous historiques pour la construction européenne. En mars, nous lancerons le processus d’élargissement, en mai, nous déciderons des pays qui auront une monnaie unique en partage. L’unité de l’Europe est le dénominateur commun de ces deux moments historiques. L’euro, dans sa dimension politique, est destiné à tremper cette unité, l’élargissement à la construire sur la base de sa géographie retrouvée, après la chute du mur de Berlin.

Ces évènements intéressent et touchent l’Europe et son avenir à tous les niveaux ; au niveau national, comme au niveau régional, à l’échelle des peuples, comme à celle des citoyens.

L’élargissement est un défi, à la mesure des ambitions de l’Europe. C’est la seule voie pour construire une Europe de la paix et de la sécurité, capable de s’affirmer et de porter son message dans un monde déchiré. En même temps, nous ne pouvons ignorer les conséquences de ce choix pour l’Union, telle qu’elle est aujourd’hui. Je pense au cadre financier de l’Union et à ses politiques communes, à la fois la politique agricole et la politique d’aide aux régions.

Il nous faudra poursuivre nos efforts sur ces deux fronts, sans frilosité, ni abandons. Le statu quo ne peut pas être une réponse, mais il ne faut pas plus démanteler nos politiques communes. Que serait l’Union sans celles-ci ? Elle perdrait son sens pour les pays membres, comme pour les pays candidats. A l’évidence, nous entrons dans une période de négociations longues et délicates. Mais je suis convaincu, et c’est d’abord une question de volonté politique, que nous pouvons trouver le point d’équilibre entre ces deux contraintes. Nous le devons.

J’ai le souvenir des étudiants polonais de Solidarnosc chantant « l’Estaca » de Lluis Llach, qui fut, à Barcelone et à Madrid, une bannière pour la démocratie. Aujourd’hui, nous pouvons transformer les solidarités souterraines d’hier en une communauté de destin choisie. Je crois que nous ne devons pas laisser passer cette chance.

Le passage à l’euro sera décidé au début du mois de mai. Onze pays, probablement, appartiendront au premier train de l’Union économique et monétaire, nous le souhaitons. Le 1er janvier 1999, l’euro sera créé. C’est un moment fondateur de l’Union.

Pendant des mois, voire des années, l’euro a fini par n’être qu’un synonyme de disciplines budgétaires et monétaires, au point qu’on avait oublié que l’union monétaire est aussi une union économique, tournée vers l’emploi et la croissance. Le risque me semble écarté désormais. Le gouvernement de Lionel Jospin y a sa part. Dès sa prise de fonctions, il s’est efforcé de rééquilibrer la construction de l’Union économique et monétaire, de faire en sorte que la monnaie unique soit un instrument au service de la croissance.

Nous ne disons pas que l’euro va créer, comme par magie, des millions d’emplois. Mais nous avons la conviction que partager une monnaie unique, c’est aussi partager des responsabilités et des solidarités nouvelles. La convergence durable des économies, nécessaire au passage à la monnaie unique, a provoqué une certaine mise en phase des conjonctures. Comment, dès lors, ne pas imaginer que nos économies, dont la convergence durable est assurée par l’euro, qui sont confrontées aux mêmes difficultés et qui, en outre, sont attachées commun au modèle social européen, ne parviennent pas, en coordonnant leurs efforts, pas à une politique plus favorable à la croissance et donc à l’emploi. Voilà ce qui a fondé notre plaidoyer pour un conseil de l’euro, qui a débouché sur un accord à Quinze, lors du Sommet de Luxembourg en décembre.

Cette instance politique sera le cadre d’une coordination étroite des politiques économiques, un lieu de réflexion et de concertation sur les problèmes budgétaires, sur la fiscalité, sur les questions de change. Elle sera aussi l’instrument du dialogue entre la banque centrale et les responsables des politiques économiques des pays de la zone. Nous avons ainsi remis l’euro sur ses deux pieds, celui de l’indépendance de la banque centrale, mais aussi celui de la responsabilité du politique, celui de la stabilité, mais aussi celui de la croissance et de l’emploi.

Désormais, avec les rendez-vous annuels sur l’emploi décidé par le Conseil extraordinaire de Luxembourg, avec le rééquilibrage de l’euro, l’emploi, c’est-à-dire la cohésion sociale, est une préoccupation au cœur de la construction européenne. Je suis convaincu que c’est une attente des citoyens de l’Union. Nous devons nous efforcer de poursuivre dans cette voie. Ne pas le faire, renoncer à répondre à ces aspirations c’est porter atteinte au projet européen.

Je suis convaincu, enfin, que le passage à la monnaie unique va retremper les énergies et relancer la construction européenne. Ces effets sont, me semble t-il, déjà à l’œuvre. Les professions de foi pro-européenne de notre partenaire britannique en sont une illustration, comme les efforts consentis en France ou en Italie. C’est vrai aussi de votre pays, où chacun - je pense notamment à la mobilisation de la Catalogne en faveur de l’euro - a joué le jeu, avec détermination, pour garantir le rendez-vous de la monnaie unique.

Mais il y a plus. L’existence de l’euro sur la scène mondiale - et je n’ai pas de doute qu’il sera un euro solide et stable - manifestera pour tous nos partenaires extérieurs, mais aussi pour l’ensemble des peuples européens, la puissance de l’Europe.

Je suis également convaincu que l’euro renforcera le sentiment d’appartenance des citoyens à l’Europe. Comment pourrait-il en être autrement quand, à Barcelone et à Dublin, à Naples et à Heidelberg, chacun disposera de la même monnaie ? Ce mouvement ne dissout pas, ni ne menace les autres solidarités territoriales et culturelles, au contraire il les renforcera : c’est vrai de l’espace national, comme de l’espace régional, qui trouveront l’un et l’autre dans une Europe plus forte, plus accomplie, des éléments nouveaux pour leur propre dynamisme et leur propre identité. L’Europe que nous construisons est une communauté plurielle.