Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, à La Chaîne info le 3 mars 1998 et déclaration à la presse le 5, sur le développement des relations entre la France et l'Albanie et sur la situation au Kosovo.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Circonstance : Entretien avec le ministre albanais des affaires étrangères, M. Paskal Milo à Paris le 5 mars 1998

Média : La Chaîne Info - Télévision

Texte intégral

LCI - 3 mars 1998

Question : Robin Cook, président en exercice de l’Union européenne, ira à Belgrade dans les jours qui viennent pour tenter d’éteindre le feu qui couve dans les Balkans. L’Europe échaudée par la guerre en ex-Yougoslavie s’inquiète de la situation de conflit au Kosovo et met sévèrement en garde le président Milosevic et lui demande de restaurer au plus vite l’autonomie des Albanais qui peuplent en majorité cette région. Nous écoutons à ce sujet le chef de la diplomatie française.

Réponse : Nous avons déjà écrit ensemble au président Milosevic pour présenter une proposition franco-allemande qui consiste à dire aux dirigeants de Belgrade qu’ils devraient pouvoir accepter une certaine autonomie des Albanais du Kosovo puisque dans le passé, cette autonomie a existé jusqu’en 1989. Donc, ce n’est pas une ingérence, pas une invention de l’extérieur, cela existait, cela fonctionnait. Il est vrai que certains Albanais demandent l’indépendance mais cette revendication n’est soutenue par personne à l’extérieur parce que cette région a besoin, non pas de déstabilisation supplémentaire, mais de stabilisation et en même temps le statu quo ne peut pas durer. Donc, il est clair qu’il faut que les dirigeants de Belgrade acceptent une évolution de la situation sur place et reconnaissent aux Albanais du Kosovo un certain nombre de droits sociaux et culturels et notamment le droit de travailler et de faire des études dans leur langue.


DECLARATION A LA PRESSE - 5 mars 1998

A Paris,

Mesdames et Messieurs, j’ai reçu avec plaisir mon homologue albanais et nous avons parlé de deux sujets, qui ne vous étonneront pas. Nous avons d’abord fait le point des relations bilatérales qu’il ne faut pas oublier, quel que soit le contexte de crise au Kosovo. Nous avons fait le point et j’ai rappelé le désir de la France et la disponibilité de l’engagement de la France pour aider à la reconstruction de l’État albanais et à la consolidation de l’État de droit sous toutes ces formes dans ce pays. Nous avons engagé le développement des relations : visites bilatérales, coopérations et échanges dans le domaine public, coopération économique et culturelle. Nous sommes déterminés ensemble à aller dans cette direction.

D’autre part, nous avons évidemment parlé de la situation au Kosovo qui est grave, sérieuse, et nous avons fait le point de nos informations et de nos analyses. J’ai rappelé à cette occasion la position de la France qui est très claire, qui s’appuie sur quelques principes et qui sont les suivants : il faut respecter l’intégrité territoriale de la République fédérale de Yougoslavie. En même temps, la démocratisation et le respect des Droits de l’Homme sont nécessaire dans ce pays, ce qui favorisera sa réintégration dans la communauté internationale. Nous demandons que l’on revienne ou que l’on obtienne un statut de large autonomie pour le Kosovo. C’était l’objet principal d’ailleurs de la lettre que j’avais adressé avec mon collègue et ami Klaus Kinkel, dès le mois de novembre au président Milosevic, nous condamnons naturellement le terrorisme et ses soutiens et nous condamnons toutes les méthodes de répression violente.

Il est urgent d’agir pour prévenir la contagion dans cette région, pour empêcher l’escalade. Cela suppose d’obtenir que se noue un vrai dialogue, si possible un dialogue direct qui s’intégrerait dans un ambitieux projet, comportant la solution de la crise immédiate, mais en même temps, un vrai projet de développement.

Dans l’immédiat, soit sous la forme d’une réunion à Londres si nous pouvons l’organiser, - mais cela pose de très nombreux problèmes d’emplois du temps à plusieurs ministres -, soit en tout cas, par une multiplication des contacts bilatéraux directs au téléphone ou autrement, ce soir, demain ou après-demain, vous savez que je recevrai Mme Albright ici à déjeuner dimanche, tous les membres du groupe de contact, dans les trois jours qui viennent, se sont concertés et auront établi une position commune, je crois, claire et nette.

Question : Vous êtes a priori d’accord pour une intervention militaire ?

Réponse : Je ne suis a priori d’accord en rien d’autre que ce que je vous ai dit tout à l’heure. Il faut avoir une approche d’ensemble, il faut obtenir une réaction politique, que les dirigeants de Belgrade prennent la mesure de la gravité de la situation et des risques que cela entraîne si on reste dans ce statu quo qui n’est pas tenable. Il faut demander aux uns et aux autres de renoncer à la violence, que ce soit la violence terroriste ou la violence de la répression, mais il faut trouver une solution.

Question : Quelles peuvent être les conséquences d’une aggravation de la crise ?

Réponse : Vous les connaissez comme moi.

Question : La concertation internationale se fera à quel niveau ?

Réponse : J’ai insisté tout à l’heure sur la coopération au sein du groupe de contact. Mais naturellement, la coordination, l’échange et l’analyse sur la façon dont il faut procéder pour trouver une solution urgente à cette crise, ne s’arrêtent pas là. Il y a des contacts tout à fait étroits également avec la Grèce, tous les pays voisins et avec l’ensemble des pays européens. Nous sommes dans cette phase de contacts intenses.