Interview de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, à France-info le 17 mars 1997 et déclarations le 18, sur une nécessaire intervention de l'ONU dans le conflit zaïrois et sur l'envoi d'une mission d'observation européenne en Albanie.

Prononcé le

Intervenant(s) : 

Média : France Info

Texte intégral

France Info : Au Zaïre, les rebelles de Laurent-Désiré Kabila sont à Kisangani, ils disent vouloir passer jusqu’à Kinshasa où le pouvoir est incertain, le président Mobutu est hospitalisé à Monaco, comment voyez-vous la situation ?

Hervé De Charrette : Comme vous le savez, le Conseil de sécurité a adopté il y a une quinzaine de jours une résolution qui prévoit les conditions de résolution de cette crise, demandant d’abord le cessez-le-feu, l’ouverture de négociations entre toutes les parties au Zaïre en troisième lieu, l’ouverture d’une conférence dites « des Grands Lacs » réunissant l’ensemble des pays de la région de l’Afrique centrale, de façon à pouvoir régler, entre Africains, sous l’égide de l’ONU et de l’OUA les problèmes existants entre les pays de cette région. D’autre part, le Secrétaire général de l’ONU, M. Kofi Annan a désigné un envoyé spécial en la personne de M. Sahnoun, un très brillant diplomate de nationalité algérienne qui est sur place, dans la région, qui s’active pour essayer d’obtenir ce qui est nécessaire, c’est-à-dire le cessez-le-feu. Ce dernier a été accepté par les autorités officielles du Zaïre. Je crois que la première chose que nous pouvons attendre désormais pour obtenir un début de règlement de l’affaire, c’est que ce cessez-le-feu soit aussi accepté par les troupes de M. Kabila.

France Info : Pourtant les appels restent vains ?

Hervé De Charrette : Je souhaite que ce cessez-le-feu intervienne dans les plus brefs délais car c’est, me semble-t-il, la condition raisonnable du début de la sortie de cette crise.

France Info : Vous restez partisan d’une intervention humanitaire dans l’est du Zaïre. On sent bien qu’elle ne se fera éventuellement qu’aux conditions américaines. Sans le feu vert de Washington, il ne se passera rien.

Hervé De Charrette : Pourquoi dites-vous cela ? Il n’y a pas de condition américaine ni d’ailleurs de condition française. Il y a des populations qui sont réfugiées rwandaises et parfois aussi burundaises, et des personnes déplacées c’est-à-dire les villageois du Zaïre qui ont fui leur village devant la guerre civile. Ce que pensent tous les pays qui s’intéressent à cette malheureuse partie de l’Afrique, comme d’ailleurs l’ONU, c’est que l’on puisse s’occuper de ces personnes, de ces réfugiés qui fuient leur village. Pour cela, il faut que les organisations humanitaires, la Croix Rouge internationale, le Haut Comité pour les réfugiés, l’Union européenne, puisent intervenir. Il faut des couloirs humanitaires, il faut avoir accès à ces populations et il faut que nous puissions le faire en tout lieu et dans tout le Zaïre.

France Info : Vous évoquiez une conférence des Grands lacs. Le Rwanda a dit clairement non. Comment la France peut-elle encore peser durablement dans cette partie du monde si elle quasiment « non grata » chez un ancien partenaire ?

Hervé De Charrette : Je crois que l’on ne peut pas dire des choses de ce genre. Nous ne cherchons pas dans cette partie de l’Afrique à gagner quoi que ce soit. Je ne crois pas que nous ayons dans cette partie du monde de vrais intérêts. Nous avons des devoirs et c’est ainsi pour toute la communauté internationale. Si nous parlons du Zaïre, si nous nous en préoccupons, c’est parce que nous estimons que, vis-à-vis de ces malheureuses populations zaïroises, la communauté internationale a des devoirs. Nous avons tous, là-bas, plus de devoirs que d’intérêts. C’est cela le cœur des choses. Cette conférence internationale a été prôné et demandé par le Conseil de sécurité. Faisant appliquer ces résolutions, les Américains et les Français sont sur la même ligne.

France Info : Cette affaire est aussi perçue comme l’échec de la France, qui a longtemps soutenu le régime Mobutu, corrompu et inefficace.

Hervé De Charrette : Je ne crois pas que vous puissiez dire les choses ainsi. Pour l’instant, c’est surtout malheureusement, le drame du Zaïre. Nous n’avons pas dans cette partie de l’Afrique, je le répète, des pays que nous préfèrerions à d’autres. Nous souhaitons apporter la contribution d’une grande nation qui s’est toujours souciée de l’Afrique, qui l’a toujours beaucoup aidé parce que nous pensons que c’est notre devoir. Nous souhaitons apporter à ces pays d’Afrique en difficulté, le concours que nous pouvons apporter.

France Info : La Belgique a dit hier : l’époque Mobutu est révolue au Zaïre, on ne peut pas ignorer le chef Kabila. Pourriez-vous dire la même chose ?

Hervé De Charrette : Je vous rappelle que la résolution du Conseil de sécurité a demandé à la fois le cessez-le-feu et le dialogue entre toutes les parties au Zaïre ; c’est ce que nous prônons également, autrement dit, nous sur la position de la communauté internationale.

France Info : Si Kabila qui est déjà l’homme fort de Kisangani devenait l’homme fort de Kinshasa, il deviendrait un interlocuteur direct et quelqu’un avec qui vous seriez amenés à coopérer.

Hervé De Charrette : Je répète que nous voulons que l’ensemble des parties du Zaïre puissent dialoguer entre elles. Les autorités du Zaïre à commencer par M. Mobutu ont d’ailleurs acceptées de le faire. Ce qu’il faut, c’est le cessez-le-feu et le début rapide des discussions entre toutes les parties.

France Info : Vous étiez au Pays-Bas pour parler de l’Albanie avec vos collègues européens. Encore une mission d’étude à Tirana ! L’Europe décidément envoie tout le temps des missions d’enquêtes ?

Hervé De Charrette : Je crois que vous avez tort de dire cela. Hier, en Hollande, les quinze pays de l’Union européenne sont tombés d’accord pour une action forte de l’Union européenne en faveur de l’Albanie. C’est un tout petit pays, trois millions d’habitants, dans le sud de l’Europe, dans le sud des Balkans à la frontière grecque et qui a connu, depuis la chute du régime communiste il y a cinq ans, beaucoup de déboires, principalement dus à ses dirigeants. L’Union européenne a déjà beaucoup aidé l’Albanie puisque qu’elle lui a donné plus d’un milliard et demi de francs durant cette période. Mais tout cela n’a pas été bien utilisé et vous connaissez l’effondrement qu’a connu le régime politique économique et financier de l’Albanie au cours des dernières semaines. Nous avons donc décidé qu’il fallait prendre le taureau par les cornes et convenus que nous pourrions désigner dans les prochains jours un administrateur général européen et apporter une aide économique, financière, politique.

France Info : Le président Berisha vous réclame des policiers tout simplement pour rétablir l’ordre aussitôt que possible. Est-ce concevable ?

Hervé De Charrette : Pas sous cette forme. Je ne crois pas que ce soient à des troupes européennes d’aller ramasser les armes dans les villes et les villages de l’Albanie. Moi qui connait ce pays, ce serait de la folie. Il faudrait d’ailleurs des dizaines de milliers d’hommes. C’est à la police et à l’armée albanaise de le faire.

France Info : Ils n’existent plus.

Hervé De Charrette : Ne dites pas cela. Toutefois, il est possible, en effet, que nous aidions cette armée et cette police à se reconstituer et c’est parce qu’il fallait évaluer la réalité des besoins, civils et le cas échéant militaires ou policiers, que l’Union européenne a décidé d’envoyer cette mission et dès qu’elle sera de retour, nous serons en état de faire le point sur des décisions, j’espère dans les prochains jours.

France Info : Aidez les forces de l’ordre à se reconstituer là-bas, qu’est-ce que cela signifie ? Les encadrer ?

Hervé De Charrette : Par exemple, les encadrer, les conseiller. Car je crois, donner un signal au peuple albanais d’un retour à la confiance et par conséquent d’un retour de chacun vers une vie normale.

France Info : Vous croyez que le président Berisha doit se maintenir coûte que coûte au pouvoir à Tirana ? Est-il devenu un obstacle, un handicap pour l’avenir proche de ce pays ?

Hervé De Charrette : Je sais que les autorités américaines ont porté des jugements négatifs sur le maintien de M. Berisha ? Je ne le connais pas, la France n’a apporté aucune contribution à son arrivée au pouvoir. Simplement, je pense que c’est aux Albanais de décider qui doit les diriger.

France Info : Plus personne ne décide de quoi que ce soit. C’est le chaos total ?

Hervé De Charrette : Vous avez tort de dire cela ; il y a un gouvernement d’union nationale qui a été constitué il y a quelques jours. Il rassemble toutes les formations politiques et s’efforce, me semble-t-il, assez courageusement et avec déjà quelques succès, de remettre les choses sur pied. On a vu hier et aujourd’hui les premiers signes positifs. J’espère que cela va durer et pour cela que l’Union européenne est prête à apporter à ce gouvernement-là, qui rassemble tout le monde, non seulement une aide matérielle, un concours, un soutien, un signal fort qui lui permette de continuer son œuvre. Je le répète, reconstituer les choses en Albanie, remettre sur pied l’État, l’Europe peut y aider. Je crois qu’elle doit le faire. J’ai été celui qui a appuyé je crois le plus fortement dans ce sens, hier en Hollande. Mais, en même temps, ce sont les Albanais eux-mêmes qui prendront leur destin en main.

France Info : L’Europe pourra-t-elle payer pour la reconstruction de l’Albanie, dédommager les épargnants ?

Hervé De Charrette : Dédommager les épargnants c’est une autre histoire. Aider l’Albanie à se reconstruire bien sûr.