Interviews de M. Guy Le Néouannic, secrétaire général de la FEN, dans "Le Progrès" et "La Croix" du 10 mars 1997, sur la stratégie syndicale et l'image de la FEN à la veille de son congrès.

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Intervenant(s) : 

Circonstance : Congrès de la FEN du 10 au 14 mars 1997 à Rennes

Média : La Croix - La Tribune Le Progrès - Le Progrès - Presse régionale

Texte intégral

Le Progrès - 10 mars 1997

Le Progrès : Avant les élections de novembre, à Lyon, vous aviez évoqué la nécessité d’une bivalence des professeurs (1). Les militants de base ont peu apprécié…

Guy Le Néouannic : Oui, cela m’a valu quelques ennuis. Il faut repenser globalement l’articulation de la formation initiale et continue. L’individu ne sera plus jugé seulement sur sa formation initiale, il faut donc en revoir les contenus. En Allemagne, les profs enseignent plusieurs disciplines, chez nous non. À l’école, il y a un maître unique et au collègue une pluralité d’enseignants. Un jour ou l’autre, il faudra réfléchir à une mise en cohérence des disciplines. On parlera alors de bivalence ou d’enseigner dans un champ disciplinaire.

Le Progrès : Face à une telle diversité d’enseignants, n’avoir créé en 92 qu’un seul Syndicat des Enseignants, ce fut un risque pour la FEN ?

Guy Le Néouannic : Un seul syndicat, c’est en soi une rupture par rapport au lycée napoléonien. Nous avons fait bouger les choses puisque que les enseignants sont recrutés désormais au même niveau universitaire et formés dans le même type de structure professionnelle. C’est sûr que cela bouleverse les traditions.

Le Progrès : Vous avez été les premiers à vous retirer du mouvement de grève du dernier trimestre de 95. Là encore, la base n’a pas bien compris…

Guy Le Néouannic : Lorsque j’ai dit que nous arrêtions la grève, les raisons initiales du conflit avaient disparu. Nous, nous n’étions pas engagés dans la lutte contre le plan Juppé comme la CGT, FO et la FSU. Nous l’avons sûrement dit de façon trop brutale à une base engagée dans une dynamique de logique unitaire, et cela nous a été reproché. On n’a pas compris nos raisons. C’est difficile de sortir d’un mouvement et se dire : on arrête ! Nous aurions dû prendre plus de précautions. Après cette autocritique, il faudra faire les changements nécessaires.

Le Progrès : Lesquels ?

Guy Le Néouannic : Nous avons sans doute un déficit de militantisme de terrain. Il faudra sortir des bureaux, aller discuter avec les collègues. Clarifier l’image. En quatre ans, il y a eu l’éclatement de la fédération, la construction d’une entité de nature confédérée, l’UNSA (2), la modification de certains syndicats en interne, il faut sédimenter tout cela. Et il faut faire comprendre au gouvernement que le dialogue social, c’est la négociation. Car autrement ce sont ceux qui font l’action la plus brutale qui obtiennent satisfaction, comme par exemple les camionneurs. Si au-delà d’une certaine limite de blocage, on cède tout, c’est une incitation pour les mouvements les plus contestataires, une prime à l’action la plus dure. Faut-il séquestrer les recteurs, faire la grève de la faim ? Il faut que la politique comprenne cela et redéfinisse les règles.

Le Progrès : Cela veut-il dire que volontairement ou non, François Bayrou fait le jeu de la FSU ?

Guy Le Néouannic : Volontairement ou non, de mon point de vue, il fait totalement le jeu de la FSU. Je pense qu’il y avait une alliance objective des conservateurs à ce niveau-là pour que rien ne change, et en tout cas le moins possible.

Le Progrès : Dans quel état d’esprit allez-vous aborder ce congrès ?

Guy Le Néouannic : Avec réalisme et lucidité. Nous allons essayer de corriger ce qui dépend de nous : le militantisme, une image plus claire, la volonté de pratiquer un syndicalisme mieux compris de nos adhérents. Et s’il faut se radicaliser, nous allons rentrer dedans comme tout le monde : on n’a pas besoin de défroqués du stalinisme pour faire la révolution. On a pris un sérieux coup sur la tête, on a fait notre examen de conscience, et on va réagir.

Le Progrès : La FEN est à un autre tournant de son histoire : il est question d’un rapprochement avec une autre puissance syndicale, comme la CFDT ?

Guy Le Néouannic : Le regroupement avec l’UNSA, c’est une étape. L’objectif c’est de voir dans les composantes du paysage syndical français, celles qui peuvent travailler ensemble pour constituer une force qui pèse dans le débat social, avec les mêmes valeurs et les mêmes conceptions du syndicalisme. Ces dernières années, nous avons pu travailler très correctement avec la CFDT. Historiquement, nous le faisons avec FO mais depuis Marc blondel, on ne peut plus. Avec la CGT, c’est je t’aime moi non plus. La FEN et l’UNSA sont très ouvertes à des évolutions.

Le Progrès : Au moment de céder la place, avez-vous des regrets ?

Guy Le Néouannic : Celui de ne pas laisser la FEN dans un meilleur état. Mais ce fut un travail collectif d’équipe. Je veux en prendre ma part, toute ma part, mais seulement ma part, pas plus.

(1) Deux disciplines enseignées.
(2) Union Nationale des Syndicats Autonomes.

 

La Croix - 10 mars 1997

La Croix : La FEN a perdu des adhérents et enregistré un échec électoral lors des dernières élections professionnelles, à la fin 1996. Comment expliquez-vous ce déclin ?

Guy Le Néouannic : Comme tous les syndicats, nous avons subi une érosion d’autant plus sensible que la France n’a jamais les taux de syndicalisation de l’Europe du Nord. Par ailleurs, après 1968, on est progressivement passé d’une culture de la conscience collective à celle de la liberté individuelle, qui s’est traduite par une individualisation des comportements. Nos concitoyens répugnent davantage à être enfermés dans des structures permanentes. En outre, certains ont pu penser qu’avec la gauche au pouvoir, le syndicalisme était moins utile. Nous avons à prendre la mesure de tous ces changements dans la société.

La Croix : N’y a-t-il pas aussi des raisons particulières à l’éducation nationale ?

Guy Le Néouannic : Effectivement, à l’éducation nationale, on parle beaucoup, mais rien ne change. Il faut repenser l’articulation entre la formation initiale et la formation continue, ce qui conduit à s’interroger sur la nature, la durée et le contenu de chacune de ces formations.

On ne bouleverse pas facilement ou rapidement les choses, notamment en voulant regrouper tous les enseignants dans un seul syndicat. C’est une rupture par rapport au système actuel. Cependant, des évolutions sont déjà amorcées. Par exemple, aujourd’hui, le même type de formation pédagogique est assuré pour tous les enseignants. Mais il est vrai que ces changements expliquent aussi nos difficultés.

La Croix : Les syndicats hostiles au plan Juppé vous reprochent votre peu d’engagement dans le mouvement social de la fin 1995. N’est-ce pas aussi cela qui explique votre récent mauvais score électoral ?

Guy Le Néouannic : Nous étions à l’initiative des actions dès septembre 1995, contre le plan Juppé sur la Sécurité sociale, mais contre la mise en cause des régimes de pension. Nous avons pensé que, pour les fonctionnaires, nous devions sortir du conflit dès lors qu’il n’y avait plus de menaces sur notre régime de retraite. Nous l’avons dit trop brutalement et nous n’avons pas été compris par ceux qui continuaient à se battre. Comme il y avait un mouvement unitaire, une partie de nos adhérents a eu du mal à sortir du conflit. C’est très difficile de dire « on s’arrête ».

La Croix : Comment appréciez-vous la situation sociale actuelle chez les enseignants ?

Guy Le Néouannic : Dans la fonction publique, il ne se passe rien. Il n’y a rien à négocier. Aujourd’hui, il n’y a pas de dialogue social. Au contraire, il faut constater que ceux qui contestent tout sont mieux compris que ceux qui veulent négocier. Nous ne voulons pas d’un syndicalisme qui va dans le mur. Ce sont ceux qui pratiquent l’action brutale qui obtiennent satisfaction. À l’éducation, volontairement ou non, François Bayrou fait le jeu de la FSU. Il y a, dans le fond, une alliance de tous les conservateurs.

La Croix : Que va faire la FEN maintenant ?

Guy Le Néouannic : Il faut faire notre examen de conscience et réagir, notamment investir davantage sur le terrain et clarifier notre image. Mais nous n’avons pas besoins de défroqués du stalinisme pour faire évoluer la société.

La Croix : La FEN est un des composantes de l’Unsa. Est-ce la fin de votre autonomie et l’émergence d’une nouvelle confédération ?

Guy Le Néouannic : Historiquement, l’existence de syndicalismes autonomes d’enseignants étaient considérés comme provisoire. Pour la première fois, avec l’Unsa, nous avons participé à un regroupement. Notre objectif n’est pas de faire une confédération syndicale de plus, mais de rassembler des organisations autour de valeurs communes. Nous avons pu travailler correctement avec la CFDT. Nous l’avons fait avec FO dans le passé mais nous ne le pouvons plus avec Marc Blondel. Nous demeurons cependant ouverts à toutes les évolutions possibles.