Interview de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, à France-inter le 7 janvier 1997, sur la situation en Russie, la révision des institutions européennes et la situation en Centrafrique.

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Média : France Inter

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A. Ardisson : Avez-vous des informations sur la santé de Boris Eltsine ou sur la possibilité des Occidentaux de le garder comme interlocuteur privilégié ?

H. de Charrette : Non d’abord je comprends bien que la question de la santé des chefs d’État sera désormais présente dans l’attention des populations. Nous avons connu le problème avec François Mitterrand, il y a moins de deux ans. Aujourd’hui, c’est le président Eltsine dont la santé a donné des signes négatifs. Il me semble que le tableau que nous venons d’entendre (chronique de D. Bromberger, ndlr), qui est à la fois très brillant si j’ose dire, est sans doute aussi trop sombre. Mais je ne conteste pas que la Russie traverse une période assez complexe et difficile depuis que s’est effondré le système soviétique et que l’existence d’un État y est ténue, toujours contestée. Nous avons, nous, le plus grand intérêt à avoir à nos côtés une Russie stable, épanouie, prospère si c’est possible car ce sera pour nous le partenaire le plus sûr. Nous recherchons une Russie qui marche et nous aiderons, si nous le pouvons, à ce qu’elle marche.

A. Ardisson : Quand vous y allez, avez-vous le sentiment d’une permanence de l’État au-delà des hommes ?

H. de Charrette : Quand on va en Russie, on a d’abord le sentiment d’une permanence de la nation russe. La Russie a occupé une grande place dans l’histoire, elle continuera à occuper une grande place, n’en doutez pas. Et on a le sentiment, à Moscou, de la permanence de l’histoire. Ensuite, il est tout à fait incontestable que la Russie connaît de très grandes difficultés en même temps qu’avec le soutien de la communauté internationale, les dirigeants russes font aussi un très gros effort. Et ce qui est assez remarquable, en dépit de toutes les critiques, de toutes les annonces qu’on avait eues à l’avance par les observateurs étrangers, internationaux, c’est qu’on a eu de vraies élections en Russie, qui ont donné lieu à un vrai choix démocratique pour la désignation de Eltsine, qui est donc aujourd’hui, incontestablement, l’homme choisi par les Russes pour conduire leur pays. Il a des problèmes de santé, moi je lui souhaite en 97 un prompt rétablissement.

A. Ardisson : L’Europe était à l’ordre du jour hier soir à Bruxelles, devant les conférences catholiques où s’exprimait Philippe Séguin. Une expression toujours attendue. Il a fait remarquer que ça l’énervait d’être traité d’une nouvelle espèce d’anti-Maastrichtien.

H. de Charrette : C’est bien, c’est sympathique. Être anti-Maastrichtien énerve. C’est un signe de progrès. D’ailleurs, vous observez qu’on est en train de reconstruire en France, me semble-t-il, un certain consensus européen. Il a été brisé dans l’affaire de Maastricht, c’est incontestable. Et d’ailleurs, je crois que c’était une des grandes erreurs du président de la République de l’époque que d’avoir soumis ce traité compliqué, assez confus il faut bien le dire, pour reprendre les mots de Philippe Séguin, qui contenait une grande décision, celle de la monnaie unique, au suffrage universel. Le résultat a été à la fois un oui hésitant, mais au terme d’une campagne qui a provoqué une sorte de rupture du consensus français sur l’Europe. Nous sommes à l’heure actuelle en train de reconstruire pas à pas ce consensus et les propos tenus par M. Séguin vont, me semble-t-il, dans la bonne voie.

A. Ardisson : Et vous croyez que ça tiendra le cap de la révision de ce traité, du toilettage des institutions ?

H. de Charrette : La révision de ce traité ne peut qu’améliorer les choses. Ça va dans le bon sens. L’idée n’est pas de le rendre plus mauvais qu’avant. L’idée c’est de le rendre meilleur, c’est de faire en sorte que les institutions fonctionnent mieux. Les institutions de l’Europe ont besoin d’une sérieuse amélioration. Je crois que c’est ça le véritable enjeu, d’autant qu’on va passer de 15 États membres à 20, 25 au cours des dix ans qui viennent. Un élargissement important est en vue et donc la procédure de décision est la question centrale. Voilà à quoi servent les discussions qui ont lieu actuellement.

A. Ardisson : La nouvelle présidence néerlandaise n’exclut pas d’attendre l’issue des élections en Grande-Bretagne pour faire sauter les blocages sur la réforme des institutions européennes, quitte à organiser un sommet intermédiaire en mai. Êtes-vous favorable à ce prudent attentisme ?

H. de Charrette : Ce n’est pas ce que disent les Hollandais, c’est ce que disent les observateurs, autrement dit les journalistes qui écrivent à l’avance ce que vont faire les Hollandais. Moi, je reçois le ministre des Affaires étrangères hollandais dans quelques jours, je vais l’accueillir avec beaucoup de plaisir parce que c’est un ami. Nous allons travailler ensemble très sévèrement et très durement mais très amicalement sur deux sujets : la question de la drogue, qui est importante entre la France et les Hollandais, et puis les questions de la conférence intergouvernementale, c’est-à-dire les actions européennes, parce que nous devons y travailler. Je connais sa détermination et la détermination des Pays-Bas à faire en sorte de respecter les échéances. L’échéance, c’est le mois de juin.

A. Ardisson : Ça veut dire que les négociations ne sont pas gelées ?

H. de Charrette : Il y a au moins ça qui n’est pas gelé ce matin.

A. Ardisson : À propos de l’Europe justement, vos ambitions 1997, puisque vous allez présenter vos vœux ce matin et je suppose nous dire ce que vous avez l’intention de faire, quelles sont vos priorités ?

H. de Charrette : Regardez l’Europe, c’est évidemment notre grande affaire. En politique étrangère, en politique économique, en politique tout court, c’est notre grand projet. C’est avec les Européens que nous avons l’idée de créer ensemble une société capable de se défendre devant les agressions extérieures en termes de sécurité mais aussi contre les dangers de la globalisation. C’est avec les Européens que nous avons l’ambition de bâtir un modèle social européen dont le président de la République a parlé récemment. C’est avec les Européens que nous avons l’intention d’élaborer une sorte de société pour demain, pour le XXIe siècle, qui sera, je l’espère, un modèle pour les autres peuples du monde. Donc, c’est cela la grande affaire des Français pour les générations qui viennent. En 1997, il y a quelques étapes importantes. Il y a la poursuite de la préparation de la monnaie unique. C’est en très bonne voie. Il y a la réforme et la bonne animation de nos institutions. Cela va couci-couça mais ça va dans la bonne direction. Et puis, il y a les questions de sécurité en Europe, la réforme de l’Alliance Atlantique. Cela connaît des difficultés et nous verrons ce qui va se passer.

A. Ardisson : Hervé de Charrette, il y a une autre grande affaire pour la France, c’est l’Afrique. Au Centrafrique, il y a eu deux soldats français tués, dix mutins au moins tués en représailles. On se demande toujours ce que l’on fait là-bas, en dépit de nos affirmations de ne plus se mêler des affaires africaines. D’ailleurs cela était très critiqué hier par Lionel Jospin, leader du Parti socialiste.

H. de Charrette : C’est un événement ! Si c’est critiqué par Lionel Jospin, il faut aussitôt s’en aller ! Soyons sérieux. Nous sommes là-bas, dans quelques pays d’Afrique noire, depuis maintenant bientôt 40 ans, en raison d’accords de défense ou de sécurité aussi variables les uns des autres. Nous y avons été, y compris sous les deux septennats de François Mitterrand. Je dis cela pour M. Jospin. Nous y assumons des responsabilités que, je crois, nous devons continuer de conserver. Mais il est vrai que nous n’avons pas l’intention de nous mêler du destin politique de chacun de ces pays. Donc, nous ne sommes pas concernés par les débats, par les disputes, par les discussions, par les conflits internes qu’il peut y avoir dans ces pays. C’est le cas en Centrafrique. Je maintiens que nous ne sommes pas concernés par le débat politique des Centrafricains entre eux. Nous avons des obligations de sécurité, nous avons des concitoyens que nous protégeons mais c’est aux Centrafricains ensemble, entre eux, de trouver la réponse à leurs problèmes. Il y a une médiation organisée par quatre pays africains voisins et amis du Centrafrique. Cette médiation se poursuit et je souhaite évidemment qu’elle aille le plus vite possible mais, je le répète, la France n’a pas pour ligne politique de se mêler des affaires intérieures des Africains. L’Afrique nouvelle est devant nous.

A. Ardisson : Quelle crédibilité avons-nous quand nous allons au secours de populations en difficulté et que, de l’autre côté, on n’hésite pas à tirer, violemment parfois ?

H. de Charrette : Écoutez je vous rappelle que la France, assumant ses responsabilités, se trouve sur place. Il y a deux morts français, tirés comme des lapins, et vous trouvez que nous devrions rester tranquillement et sagement à attendre qu’il y en ait deux autres le lendemain ! Que chacun comprenne bien au moins cela, à savoir que l’armée française doit se faire respecter là où elle est, comme cela a toujours été le cas.