Texte intégral
Q - Le cauchemar de Mao Zedong se réalise : la Chine et les Etats-Unis ont signé un accord commercial historique après treize années de négociation. La Chine ouvre son marché sur cinq ans et joue le jeu du libre échange. Qu'est-ce que vous en pensez ?
- « C'est d'abord une nouvelle qui ridiculise ceux qui ont cru nécessaire de critiquer le Président de la République lorsqu'il essayait d'accueillir les dirigeants chinois et d'engager avec eux un dialogue qui ne soit pas seulement un dialogue sino-américain. Ensuite c'est la preuve que la globalisation est en réalité l'américanisation puisque c'est finalement les Etats-Unis qui pilotent l'Organisation mondiale du commerce qui signe avec la Chine un accord commercial pendant que l'Europe reste sur le banc de touche. »
Q - « Oui, mais l'Union Européenne verra son tour arriver !
- « Oui, mais il n'y a aucune raison que l'Europe ne soit pas directement associée à ces discussions. Et je suis inquiet de la façon dont s'engage les discussions à l'OMC. Je ne crois pas qu'aujourd'hui les intérêts vitaux de la France soit correctement défendus. »
Q - Vous voulez dire par monsieur Lamy au nom de l'Europe ou bien, de toute façon, c'est la logique européenne.
- « C'est la mécanique qui est en cause. Pour que les intérêts vitaux de la France soient défendus, il faudrait que le mandat de la Commission soit un mandat impératif, qu'elle n'ait pas de possibilité d'appréciation et qu'elle rende compte à chaque instant de la négociation au Conseil des ministres. Et je ne crois pas que ça soit le cas aujourd'hui. »
Q - Mais, vous ne croyez pas qu'aujourd'hui il faut être encore plus européen qu'on ne l'était hier ? Contrairement peut-être à votre position ?
- « Non, non, il faut être aujourd'hui pour une Europe élargie à l'ensemble du continent européen. Je suis convaincu que tant que l'Europe ne concernera pas l'ensemble du continent européen, l'Europe ne pèsera pas dans l'équilibre mondial. »
Q - Oui, mais il faut des étapes, il faut des moments.
- « Il faut des étapes, mais il faut une volonté. Et, pour le moment, cette volonté n'est pas très affirmée du coté de l'Union européenne. »
Q - Donc, la Chine est invitée à l'OMC, à Seattle. La mondialisation devient - et elle le deviendra de plus en plus - plus libérale. Est-ce que vous pensez qu'il y aura des conséquences pour les produits européens, et bien sûr pour les produits français, à exporter, même sur le plan agricole ?
- « C'est toute la difficulté d'un accord. En vérité nous n'avons pas... »
Q - Pas encore.
- « Oui, mais c'est très grave. Parce que les concessions qui auront été faites par les uns et par les autres, par les Chinois et par les Américains, auront été tellement difficiles à obtenir qu'ils ne reviendront pas sur ces accords et sur ces textes. Et donc ce n'est certainement pas une bonne nouvelle pour nous. »
Q - Faut-il inviter cette Chine-là au G8, en faire le G9, puisque ça va être une grande puissance économique et désormais politique ?
- « Bien sûr c'est une évidence, dans un monde multipolaire la Chine doit jouer un rôle fondamental. »
Q - J'ai noté que, dès votre première phrase, F. Fillon, vous avez rendu hommage au Président de la République.
- « Sur ce point, je trouve que le Président de la République conduit depuis toujours une politique étrangère, qui est une politique d'inspiration gaulliste et qui me convient parfaitement »
Q - Quelle que soit la cohabitation ?
- « Elle n'est pas toujours conduite sur la politique étrangère, parce que la cohabitation ne permet pas au Président de la République de conduire la politique qu'il voudrait. La vérité c'est qu'il est obligé de négocier en permanence avec le Gouvernement. »
Q - Cet hommage au Président de la République, c'est peut-être le signe que vous êtes en campagne, puisqu'à quatre jours du premier tour de l'élection pour la présidence du RPR, vous êtes encore quatre en lice. Pourquoi les favoris sont-ils ce matin J.-P. Delevoye et M. Alliot-Marie ?
- « Parce que les médias n'ont pas compris comment fonctionnait le RPR. La vérité c'est qu'aujourd'hui c'est une élection de militants et les militants du Rassemblement Pour la République ont un choix très clair : ou bien ils continuent comme avant c'est-à-dire avec les défaites et les déconvenues, ou bien ils choisissent de changer radicalement. Et le seul qui leur propose aujourd'hui de changer radicalement c'est moi parce que je leur propose deux choses : l'autonomie par rapport à la cohabitation et ensuite une vraie réflexion de fond sur la ligne politique du RPR. Moi, je pense beaucoup que le RPR, aujourd'hui, est inutile. Il apparaît comme inutile à la société parce qu'il ne répond plus aux questions que la société lui pose. Et il faut que le RPR redevienne un lieu où l'on élabore des réponses aux questions que la société pose. »
Q - Donc F. Fillon dit : « Le changement c'est moi, l'autonomie c'est moi. » Soit. Vous allez d'ailleurs le répéter de ville en ville. Si vous présidez le RPR, vous serez plus autonome vis-à-vis de l'Elysée. Qu'est-ce que ça veut dire ? Donnez moi un exemple concret.
- « Ca veut dire que le RPR s'opposera de manière systématique au Gouvernement comme le faisaient d'ailleurs les socialistes dans les périodes de cohabitation précédentes. Ca veut dire que le RPR ne prendra pas des instructions dans les entourages de l'Elysée. Ca veut dire que le RPR sera un vrai parti d'opposition. La difficulté pour nous aujourd'hui c'est que nous sommes considérés par les Français comme un parti de cohabitation. Parce qu'on est le parti du Président de la République, il nous associe d'une certaine manière aux décisions qui sont prises par le Gouvernement. »
Q - Mais au fond, est-ce que c'est lui qui a besoin de vous F. Fillon, ou c'est vous qui ne pouvez vivre sans lui ? Vous tous RPR ?
- « Je crois que les deux sont vrais. Pour que le Président de la République soit réélu, il faut qu'on gagne les élections municipales et les élections législatives. Et ces deux élections-là, ce n'est pas lui qui les gagnera, c'est nous qui les gagnerons. »
Q - Depuis le début de la campagne, chacun des candidats a une image qui lui colle. P. Devedjian, c'est le rejet de la réforme de la justice.
- « Là-dessus, je partage le rejet. »
Q - J.-P. Delevoye, c'est le candidat officiel et puis surtout la taille : 1m93. M. Alliot-Marie, c'est la promesse de la poigne d'une femme. Et de vous, on dit : « Il est lisse F. Fillon, il est sans histoire. » C'est vrai ?
- « C'est peut-être ce dont le RPR a besoin : d'un président qui soit à la fois ferme, qu'il ait une expérience politique qui soit plutôt l'expérience des victoires et qui surtout soit décidé à donner au RPR et son autonomie et une ligne politique que j'appelle la ligne politique « républicaine et sociale » qui est celle au fond sans laquelle le RPR n'existe plus, n'a plus d'originalité. »
Q - Mais pour diriger le RPR il faut être gentil, il faut être méchant, disent vos amis. G. Drut répète : « C'est un méchant, c'est un bon. C'est un méchant, même si on n'y croit pas », en parlant de vous.
- « Oh, moi je ne suis ni méchant ni bon. J'ai envie que le RPR réussisse et je suis prêt, je l'ai montré dans le passé, à faire ce qu'il faut pour. »
Q - Si vous arrivez samedi en numéro 3 F. Fillon, est-ce que vous marquez votre distance ou votre préférence à l'égard de qui ? D'un homme, d'une femme ?
- « Si j'arrive en numéro 3 - ce que je n'envisage pas -, ça voudra dire que les militants du RPR n'ont pas choisi l'autonomie et qu'ils n'ont pas choisi la ligne républicaine et sociale ce qui, à mon avis, signifie à terme, la disparition du RPR en tant en tout cas, que formation politique originale. »
Q - Donc, avec J.-P. Delevoye ou madame Alliot-Marie, le RPR disparaît ?
- « Ce n'est pas une question d'homme ou de femme, c'est une question de ligne politique. Ils n'ont proposé aucun projet politique différent de celui que nous avons aujourd'hui et qui nous fait glisser depuis plusieurs années vers une sorte de libéralisme et de centrisme qui signifient notre disparition à terme, en tout cas notre fusion. »
Q - L'autre hypothèse, vous êtes numéro 2 : est-ce que vous demandez que tous les autres se rallient à vous pour faire battre J.-P. Delevoye ?
- « Non pas du tout. J'ai dit, depuis le début de cette campagne, qu'il ne devait pas y avoir de candidat officiel, qu'il ne devait pas y avoir d'écran entre les militants et les candidats. Donc je ferais campagne sur mes idées, ceux qui voudront me soutenir, me soutiendront, mais je ne crois pas qu'il faille confisquer aux militants une démocratie dont ils profitent pour la première fois. »
Q - Vous revendiquez souvent - je vous entends quelque fois, je lis ce que vous dites dans les meetings - votre proximité et votre amitié à l'égard de P. Séguin. Vous le maintenez ?
- « Bien sûr, je l'assume ! P. Séguin est un ami. Simplement ce n'est pas lui qui, aujourd'hui, est candidat à la présidence du RPR. »
Q - Mais si Fillon échoue, est-ce que c'est une défaite de Séguin ?
- « Non, absolument pas ! D'ailleurs nous n'avons pas toujours partagé les mêmes opinions et sur ma candidature et sur un certain nombre de solutions pour redresser le RPR. »
Q - Il pourrait voter pour quelqu'un d'autre que vous ?
- « Ca, je ne le crois pas. »
Q - Je ne voudrais pas me montrer trop indiscret M. Fillon. Est-ce que vous vous êtes réconcilié avec madame Fillon, avec votre épouse ?
- « Je n'ai jamais eu de souci avec mon épouse. Je vois où vous voulez en venir, serait-ce une histoire de boeuf ?
Q - C'est-à-dire qu'elle est anglaise non ? Est-ce qu'elle a choisi différemment que vous ?
- « S'agissant du boeuf, non, non, pas du tout. Je crois qu'elle comprend très bien que dans l'état où est l'agriculture britannique, compte tenu des risques qui pèsent, compte tenu des incertitudes qui existent encore, compte tenu de la réglementation en Grande-Bretagne, le principe de précaution est un principe qui doit s'appliquer. »
Q - Aujourd'hui, en principe, la commission Prodi devrait lancer à la demande de T. Blair des poursuites judiciaires. A qui donnez-vous raison : à Blair-Prodi ou à Jospin-Glavany ?
- « Je donne raison au gouvernement français. Je pense qu'on est là dans un cas tout à fait intéressant où les intérêts vitaux de la France d'une certaine manière sont en cause. Et quand les intérêts vitaux de la France sont en cause, je crois que nous avons le droit de nous rebeller contre une décision européenne quand elle est injuste. »
Q - Donc, tant que toutes les garanties de sécurité ne seront pas remplies, vous pensez que la France ne doit pas lever l'embargo.
- « Absolument, il y a encore plus de 2 000 cas de vache folle en Grande-Bretagne chaque année, et on n'est pas obligé en Grande-Bretagne d'abattre la totalité des troupeaux lorsqu'on détecte un animal malade. »
Q - Vous répétez souvent en campagne : « Ceux qui veulent que ça change à Paris, doivent voter Fillon ». Si on a voté Fillon, est-ce que Tiberi finira son mandat à la mairie de Paris ?
- « C'est une chose sur laquelle je n'ai pas de barre. Parce que s'il est élu c'est par les Parisiens et pas par le RPR. En revanche ce qui est sûr, c'est que je ferai tout pour qu'à Paris ce soit une nouvelle équipe qui soit candidate aux élections municipales et pour que les affaires soient réglées. C'est-à-dire que le RPR prenne ses distances par rapport à tous ceux qui sont mêlés à des affaires d'enrichissement personnel. »
Q - Comme est en train de le faire F. Hollande tout doucement avec son parti, où les élus PS qui sont mêlés à telle à telle affaire s'en vont l'un après l'autre.
- « Ce qui me peine beaucoup dans cette affaire c'est que le RPR a été le premier parti politique en France à se doter d'une procédure, justement pour régler ces cas de figures, que le Parti socialiste semble vouloir imiter aujourd'hui. Simplement nous, nous ne l'avons pas appliqué. »
Q - Entre P. Séguin et Balladur à Paris, est-ce que vous pourriez choisir E. Balladur ?
- « Ce sont les militants du RPR qui choisiront. »
Q - Est-ce que je peux vous poser une dernière question, je voudrais vous adresser un message écrit, est-ce que vous pouvez me donner votre e-mail ?
- « Bien sûr : françois.fillon@wanadoo.fr. »