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Le Figaro Magazine : Au-delà des événements les plus dramatiques ou spectaculaires de ces derniers mois, pourriez-vous nous donner votre sentiment sur l’évolution globale de la violence scolaire ?
François Bayrou : La société est violente, sans doute de plus en plus violente, et l’école reçoit l’écho de cette violence. Elle en est d’une certaine manière plus protégée que toutes les autres institutions, mais bien entendu, pas totalement à l’abri. Sa réponse doit être une réponse d’éducation, positive et forte à la fois. Capable de faire respecter les principes n’ayant pas peur de les réaffirmer, et montrant de la manière la plus déterminée aux enfants que l’ordre de l’école n’est pas l’ordre de la rue. De ce point de vue-là, je trouve au cours de ces derniers mois, suite à l’appel que je leur ai lancé, sont plutôt positives. Il me semble qu’il y a eu une prise de conscience du phénomène.
Le Figaro Magazine : Cela suffit-il à vous rendre optimiste ?
François Bayrou : On ne peut pas répondre de façon simpliste à une telle question. Ce que je crois, c’est que la situation difficile qui est celle de la société française, l’école répond du mieux qu’elle peut, qu’elle répond positivement. Elle n’est pas découragée, elle n’est pas à l’abandon, elle n’est pas en situation de laxisme. Elle est en situation de se battre… mais vous connaissez comme moi la dimension du phénomène.
La violence, c’est quoi ? C’est d’abord un certain nombre de jeunes qui sont en très grande difficulté psychologique, pour des raisons sociales, culturelles ou affectives. Les situations de tension à l’intérieur des familles, la destruction de l’image parentale par le chômage, ce sont les enfants qui en souffrent le plus car ils sont ceux qui savent le moins exprimer leurs difficultés. Cela met un certain nombre d’entre eux en situation de refus violent du monde dans lequel ils vivent et c’est l’école qui en supporte les conséquences.
Alors bien sûr, je ne dirai pas que s’est gagné. Mais je trouve que, face à un tel phénomène, l’école répond de façon très positive, très dynamique.
Le Figaro Magazine : Notre reportage nous a permis effectivement de constater une évolution positive, notamment en ce qui concerne la levée du tabou, le soutien aux personnels en difficulté, la motivation des enseignants. Mais la question des moyens, humains et financiers, se pose encore parfois, comme à Beauvais dans l’Oise, un collège réputé calme mais qui connaît de gros problèmes, dont vous avez finalement refusé le classement en « établissement sensible ». Pourriez-vous nous expliquer ce qui a motivé votre décision ?
François Bayrou : Il n’y a que 175 établissements « sensibles » en France, et ce classement ne s’obtient pas au petit bonheur la chance, par protection. Il y a des critères objectifs. J’ai demandé à l’inspection générale de vérifier si ces critères étaient réunis à Beauvais, elle m’a répondu qu’ils ne l’étaient pas. Mais ça n’a pas empêché de donner des moyens supplémentaires. Il y en avait d’ailleurs déjà à Beauvais, et chaque fois qu’on peut, on en donne. Mais l’école n’échappe pas au contexte budgétaire qui est celui de la nation tout entière : et pour moi, il est clair que les moyens supplémentaires doivent aller à ceux qui en ont le plus besoin.
Je ne crois pas d’autre part que la résolution des problèmes de l’école dépende uniquement d’une question de moyens. Il y faut d’autres choses : de la motivation, de l’organisation, une grande cohérence dans le discours que l’école adresse aux jeunes. Il faut qu’ils sachent que l’école est unie, depuis le ministre jusqu’au surveillant, sur le respect des règles à l’intérieur de l’école, le respect de l’autre, le respect de l’enseignant et de la culture qu’il transmet, le respect des élèves entre eux. C’est pourquoi j’ai été tellement heureux que la campagne lancée par les lycéens (*) choisisse ce mot d’ordre du respect, pour montrer que le respect, c’est aussi fort, aussi puissant, aussi costaud que la violence : que l’on peut s’imposer par le respect plus que par la violence.
Le Figaro Magazine : Dans votre dernier livre « le Droit au sens », vous évoquez la vieille querelle entre « Éducation nationale » et « Instruction publique » en soulignant que la mission de l’école, celle dont vous êtes fier, consiste autant à éduquer qu’à instruire. Mais il y a des cas, et vous ne l’ignorez pas, où les enseignants sont obligés de se consacrer presque exclusivement à l’éducation, au détriment de la transmission du savoir pour laquelle ils ont été formés.
N’est-ce pas excessif ?
François Bayrou : Si je pouvais l’éviter, je dirais « oui ». Mais ces enseignants-là sont en première ligne, à un endroit où toutes les autres institutions de la République ont craqué. Il ne reste plus qu’eux. Alors, si l’on dit qu’il ne faut plus qu’ils fassent ce travail, il faut trouver d’autres réponses. Et peut-être faut-il envisager, en effet, que d’autres éducateurs, des éducateurs sociaux, entrent à l’école ? En attendant, ces enseignants savent bien, eux, que si personne ne fait ce travail, les enfants seront livrés à eux-mêmes. Et que la France ne l’accepte pas. Elle a raison.
Le Figaro Magazine : Le respect devrait pouvoir s’imposer aussi, notamment grâce aux sanctions. Mais celle dont disposent les chefs d’établissements paraissent dérisoires face à certains trublions dont l’agressivité permanente interdit le déroulement normal des cours. Avez-vous l’intention de renforcer ou de modifier cette panoplie de sanctions ?
François Bayrou : Les sanctions sont indispensables bien sûr, mais il y a d’autres réponses à inventer : je pense que certains élèves relèvent d’une pédagogie différente.
Le Figaro Magazine : Une pédagogie différente à l’extérieur de l’école ?
François Bayrou : Oui. A certains élèves, il faut proposer ce que j’ai appelé « le collège hors les murs ». Une pédagogie fondée sur d’autres réponses, et sur d’autres méthodes, qui ne les oblige pas à rester dans une école qu’ils acceptent pas, qu’ils ne peuvent plus supporter, dans laquelle ils ne se sentent pas à leur place, et qui manifestent ce rejet par des attitudes de contestation violente.
Le Figaro Magazine : Soyons bien clairs : vous êtes en train de préconiser un changement radical de la politique actuelle, celle qui consiste à maintenir à tout prix les élèves au sein de l’école, même s’ils en perturbent gravement le fonctionnement ?
François Bayrou : Les enseignants qui viennent me parler de ces solutions-là sont de plus en plus nombreux. Je souhaite qu’ils puissent rencontrer des réponses concrètes.
Le Figaro Magazine: A quelle échéance ?
François Bayrou : Je pense qu’une expérimentation assez large pourra être dès la rentrée prochaine.