Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, dans "Puls" du 2 mars 1998, sur l'élargissement de l'Union européenne, la position de la France sur l'adhésion de nouveaux pays à l'OTAN et les relations entre la France et la Macédoine.

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Q. Nous avons l'impression que, avec les plans pour l'élargissement de l’UE vers l’Est, une partie de l'ancien continent, les Balkans, continue à rester en marge du processus de l'unification européenne. Quelle est votre opinion ? La France a-t-elle déjà une vision pour l'avenir des Balkans ?

R. Le lancement du processus d'élargissement, bien loin de mettre à l'écart les pays balkaniques, me semble au contraire, répondre à leur intérêt profond. Il s'inscrit dans une démarche globale de réconciliation et de stabilisation de l'ensemble de notre continent. Le même attachement à favoriser un processus de rapprochement « inclusif » et « progressif » prévaut dans les relations de l'Union européenne avec les pays du Sud-Est de l'Europe. L'approche régionale en fournit le cadre. Comme vous le savez, la France considère que votre pays a une vocation européenne. L'entrée en vigueur de l'accord de coopération entre l'Union européenne et la Macédoine constitue une étape. La France partage l'aspiration de la Macédoine à ce que le renforcement des relations puisse se poursuivre. Mais il y a des étapes à respecter.

Q. Dans le processus d'élargissement de l'Union européenne, est-ce que les réformes du système politique et économique sont primordiales pour chaque pays candidats, ou d'autres critères et intérêts politiques particuliers entrent en considération ?

Par ailleurs, ce serait un marché de dupes que d'entrer dans une Union qui ne serait pas en mesure de fonctionner. Aussi, le Conseil de Copenhague a souligné que la capacité de l'Union à assimiler de nouveaux membres tout en maintenant l'élan de l'intégration européenne devrait être pris en compte. Le Conseil européen de Luxembourg a en particulier réaffirmé que l'élargissement de l'Union nécessitait au préalable un renforcement et une amélioration du fonctionnement des institutions.

Q. À l’époque, Henry Kissinger a déclaré que l’Europe « n’a pas son numéro de téléphone ». L’a-t-elle maintenant, à la veille de l’inauguration de l’« euro » ? Ne s’agit-il pas d’un petit paradoxe que les plus importantes décisions sur l’avenir de l’UE doivent être prises au moment où la Grande-Bretagne aura la présidence, connue pour sa réserve par rapport à l’Union monétaire ?

R. Votre question soulève deux points. Je répondrais d'abord au deuxième. Le Royaume-Uni avait choisi lors de la négociation du traité de Maastricht de se réserver le droit de ne pas participer à la troisième phase de l’Union européenne. Cette réserve initiale à l’égard de la monnaie unique a toutefois presque disparu le chancelier de l’échiquier a annoncé dans un discours à la Chambre des Communes le 27 octobre que si une adoption de l’euro par le Royaume-Uni n’est pas prévue, en 1999, celle-ci pourrait se faire au début de la prochaine législature (donc après le printemps 2002). C’est un rapprochement considérable dont nous nous réjouissons.

Le Royaume-Uni, qui assure ce semestre la présidence de l'Union européenne, a indiqué que l’UEM constituerait une des priorités de sa présidence. Il a toute la confiance de la France, notamment dans la gestion de ce dossier.

Pour ce qui concerne la première question, il est vrai que Henry Kissinger a pu considérer, non sans humour, alors qu'il était secrétaire d'État américain, c'est-à-dire il y a près de 25 ans, qu'il était difficile de travailler efficacement avec l'Europe car celle-ci « n'avait pas de numéro de téléphone ». Est-ce qu'il le regrettait ou est-ce que cela l'arrangeait ? Toujours est-il que si cette affirmation a pu être vraie, elle sera de plus en plus fausse avec l'introduction de l'euro et ce qui s'en suivra. La Banque centrale européenne, le Conseil qui assurera une coordination des politiques économiques et définira des orientations générales en matière d'échange seront des interlocuteurs identifiés. La coopération économique internationale n'en sera que renforcée au bénéfice de tous.

Q. Au sommet de l'OTAN à Madrid, la France a soutenu l'admission de la Slovénie et de la Roumanie dans la première vague des pays qui vont être appelés à adhérer à l'Alliance. La Macédoine, si l'on considère les réformes qu'elle est en train d'effectuer et sa contribution active à la réalisation du programme « Partenariat pour la Paix » peut-elle compter sur le soutien français pour l'adhésion à l'OTAN ?

R. Pour la France, l'élargissement de l'OTAN est de nature à renforcer la sécurité et la stabilité. En invitant la Pologne, la Hongrie et la République tchèque, nous considérons que le Sommet de Madrid a marqué la première étape d'un processus d'élargissement continu et ouvert. En effet, les alliés ont pris un engagement ferme de maintenir la porte de l'Alliance ouverte à d'autres adhésions. Dans ce contexte, nous avons obtenu que soit mentionnée dans le communiqué de Madrid, au-delà de la Roumanie et de la Slovénie, la nécessité de prendre en compte l'Europe du Sud-Est lors des prochaines séances liées à l'élargissement de l'OTAN. Car tous les États de cette région, qui comme la Macédoine ont fait acte de candidature ont vocation à intégrer à terme l'Alliance. Notre action en faveur de la Roumanie et de la Slovénie n'est pas exclusive, elle constitue un levier pour ouvrir l'OTAN à l'Europe du Sud, une région d'une grande importance politique et stratégique.

Nous continuerons à œuvrer au sein de l'Alliance pour sensibiliser nos partenaires à cette cause.

Dans cette perspective, il est utile que la Macédoine poursuive son rapprochement avec l'Alliance à la fois en poursuivant ses réformes internes et en saisissant les opportunités offertes par le Conseil du partenariat euro-Atlantique (CPEA) et le Partenariat pour la Paix.

Q. Quelle est votre estimation pour la situation en Méditerranée, en ayant en considération les différences sociales entre le Sud et le Nord, l'augmentation du nombre des réfugiés et la recrudescence des activités terroristes ?

R. La région méditerranéenne est confrontée à un certain nombre de difficultés ; vous en soulignez quelques-unes, ce ne sont pas les seules. Néanmoins, je crois qu'envisager l'espace méditerranéen exclusivement sous cet angle ne correspond pas tout à fait à la réalité. Tout d'abord, parce que les divers pays méditerranéens ne sont pas tous placés dans la même situation ; je dirais même que l'on y observe une diversification croissante, au fur et à mesure de l'ouverture de ces pays à la concurrence internationale. Ensuite, parce qu’en dépit de ces diversités et des conflits qui demeurent, la conscience d'une communauté d'intérêts fait son chemin.

J'en veux pour preuve le partenariat euro-méditerranéen, lancé à Barcelone en 1995, qui réunit les quinze États membres de l’Union européenne et douze pays de la rive sud de la Méditerranée. Ce nouvel ensemble n'offre pas seulement la perspective d'un grand marché, à travers la constitution d’une zone de libre-échange à l’horizon 2010, mais également un espace de paix et de stabilité, dont l'objectif est précisément d'éviter une nouvelle fracture Nord-Sud. Il s'agit pour la France d'une priorité de sa politique européenne. J'ajoute que les aléas du processus de paix au Proche-Orient, de même que les difficultés que vous soulevez, rendent plus que jamais nécessaire le processus de Barcelone, qui est l'une des rares enceintes où l'ensemble des partenaires de la région peuvent se retrouver autour d'initiatives d’intérêt commun dans les domaines politique, économique, social et culturel.

Q. Quel est votre commentaire sur l'activité trilatérale Paris-Bonn-Moscou de plus en plus intense ?

R. Vous faites allusion sans doute aux rencontres annuelles entre le président Chirac, le président Eltsine et le chancelier Kohl dont le principe avait été annoncé par les présidents russe et français à Strasbourg en octobre 1997. Comme le Président de la République l'avait expliqué alors, il existe des problèmes et des questions qui concernent nos trois États. On ne peut envisager une architecture européenne sans lien fort avec cette grande puissance qu’est la Russie. Ces rencontres informelles seront une contribution à cet effort. Elles auront pour but de marquer une solidarité forte au sein de la famille européenne.

Q. Comment estimez-vous les perspectives des relations franco-macédoniennes, surtout après l'adhésion de la Macédoine à la Francophonie ?

R. Nous sommes évidemment très heureux que la Macédoine ait pu rejoindre en qualité d'observateur la grande famille des pays francophones. Il est important que votre pays trouve la place qui lui revient dans les institutions internationales.

Il appartient maintenant à la Macédoine de concrétiser son engagement en faveur de la langue française. Cet engagement est de nature à enrichir les liens qui unissent nos deux pays mais il n'en est également qu'un aspect. Il me paraît en effet nécessaire de renforcer les relations entre nos deux pays à tous les niveaux. Nos relations politiques sont excellentes mais nos relations commerciales méritent d'être renforcées.

Q. La République de Macédoine est fermement déterminée à prendre sa place dans la famille commune européenne. En tant que chef de la diplomatie d'un pays qui représente un facteur important dans les relations internationales, que pensez-vous de l'avenir de la Macédoine et de sa perspective européenne ?

R. Comme je l'indiquais précédemment, la vocation européenne de la Macédoine ne fait pas de doute. Elle a engagé une série de réformes qui vont dans le bon sens ; celles-ci doivent s'inscrire dans la durée. Elle devra également surmonter une série de difficultés. Nous faisons confiance à la sagesse des forces politiques du pays pour que le développement économique de la Macédoine alliée à une vie politique et des relations inter-ethniques harmonieuses l'ancrent plus fermement encore dans la perspective européenne à laquelle elle aspire.