Interview de M. Hubert Védrine, ministre des affaires étrangères, accordée à l'Agence de presse yougoslave "Beta" le 17 mars 1998, sur la tentative franco-allemande et celle du Groupe de contact pour apaiser les tensions ethniques au Kosovo.

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Circonstance : Visite de M. Védrine et Kinkel, ministre des affaires étrangères allemand en Croatie le 18 mars 1998 et en Yougoslavie le 19

Média : Agence de presse - Beta

Texte intégral

Q. Quel est le but de votre visite à Belgrade ? Comment expliquez-vous le fait que votre visite, avec le ministre M. Klaus Kinkel, dont la possibilité a été tout d'abord officiellement rejetée, soit consentie ?

R. Après être allés ensemble à Sarajevo en décembre, Klaus Kinkel et moi avons souhaité nous rendre à Belgrade, mais aussi à Zagreb. Ce projet de voyage n'a pas été rejeté par les autorités de Belgrade : il a simplement été, pour des raisons de calendrier, différé. D'autre part, les déplacements ou les initiatives franco-allemandes font aujourd'hui partie de la pratique diplomatique internationale ; leur utilité n'est plus à démontrer.

Ce voyage manifeste l'importance que la France et l'Allemagne attachent à la stabilisation de l'ancienne Yougoslavie. Comme puissances garantes du traité de paix de Dayton et de Paris et comme membres du Groupe de contacts, nous avons endossé une responsabilité particulière pour la région. Cette région, ces pays, font partie de l'Europe. Nous ne pouvons pas les abandonner à leur sort. Au contraire, nous devons faire en sorte qu'au sortir de longues années de guerre, de tensions ethniques, ils retrouvent toute leur place dans le concert des nations européennes.

Q. Votre visite à Belgrade est associée aux termes « l'initiative Védrine-Kinkel ». Dans quelle mesure reflète-t-elle la volonté commune de l'Union européenne de résoudre les problèmes dans cette région d'Europe et dans quelle mesure représente-t-elle la tentative de vos deux pays d'influencer les événements dans la région ?

R. L'initiative dont vous parlez répondait tout simplement à un sentiment d’urgence partagé par Klaus Kinkel et moi dès novembre dernier. Nous constations une montée continue d'incidents de plus en plus graves au Kosovo. Nous avons voulu tout à la fois lancer un avertissement et proposer des pistes pour une solution politique afin de stopper cet engrenage. Cette occasion n'a malheureusement pas été saisie et nos craintes se sont avérées fondées. Nos propositions restent valables aujourd'hui. Mais après les très graves évènements de la Drenica, il faut avant tout mettre un frein à la violence et entamer un dialogue politique comme l'a demandé le Groupe de contact réuni à Londres.

Q. Le gouvernement fédéral de la RFY a dénoncé l'internationalisation des questions intérieures, comme le Kosovo, ce procédé représentant, pour lui, la violation du droit international. Les médias d'État ont, pour leur part, qualifié « d’autoproclamé » le Groupe de contact. Ils estiment que le Groupe de contact use de « standards doubles" quand il s'agit du Kosovo. Quel est votre commentaire ?

R. L'internationalisation de cette crise est un fait ! Elle découle de l'émotion consécutive aux violences récentes et des risques pour la stabilité de l'ensemble de la région. Le Groupe de contact ne fait pas « deux poids deux mesures ». Il a condamné le statut quo au Kosovo et la violence de la répression, mais aussi le terrorisme. Il a aussi réaffirmé que la solution d'autonomie ne peut être trouvée que dans le respect des frontières existantes.

Q. Après toutes les expériences de sanctions dans le monde, croyez-vous en l'efficacité de ces mesures pour résoudre le problème du Kosovo ?

R. Il est des cas où, malheureusement, c'est inévitable. Cela dit, vous avez relevé que le communiqué de Londres ne parle pas expressément de « sanctions ». Il s'agit plutôt de mesures de persuasion. Alors que la RFY pouvait espérer depuis quelques temps sortir de son isolement international, ce qui se passe au Kosovo arrête cette tendance et va accroître à nouveau son isolement. C’est désolant à tout point de vue. Voilà l’enjeu ! Je souhaite vivement, et Klaus Kinkel avec moi, que la RFY retrouve toute sa place dans la communauté internationale, mais pour cela il faut que la violence cesse et que la recherche d’une solution durable au Kosovo soit enclenchée. Les autorités de Belgrade ont un choix crucial à faire.

Q. Bon nombre de gens en Serbie voit en la France une alliée de Belgrade. Il existe aussi le sentiment que Paris est indulgent envers M. Milosevic, au contraire de Washington. Avez-vous des commentaires à ce sujet ?

R. C’est vrai que les relations franco-serbes ont été étroites et confiantes à diverses périodes de l’histoire. Mais la politique internationale actuelle ne peut se fonder sur telle ou telle réminiscence historique. Tel pays serait « sévère », tel autre « indulgent » : les choses ne se représentent pas ainsi, le Groupe de contact est très homogène. En ce qui la concerne, la France souhaite la réinsertion internationale de la République fédérale de Yougoslavie. Cela reste notre objectif. L’initiative franco-allemande dont nous avons parlé tout à l’heure s’inscrivait aussi dans cette logique. Il n’y a pas de « complot extérieur » contre votre pays, mais des pays nombreux et divers qui demandent un changement de politique à propos du Kosovo.

Q. Officieusement on parle de la possibilité que le Kosovo obtienne le statut d’entité, à l’instar de la Républika Srpska, c’est-à-dire la Fédération de Bosnie-Herzégovine. Cette opinion est-elle réelle ?

R. Ce n’est pas à nous de définir à priori le statut du Kosovo qui doit l’être par les parties concernées. Dans notre lettre au président Milosevic, Klaus Kinkel et moi parlons de « statut spécial ». Ce que nous disons, c’est que le statu quo est devenu intolérable et que la solution doit être une autonomie, à préciser. L’essentiel, c’est la volonté politique de négocier, de rechercher un compromis. Si le dialogue se noue, les sources d’inspiration, les conseils avisés ne manqueront pas aux négociateurs.