Interview de M. Émile Zuccarelli, ministre de la fonction publique de la réforme de l'État et de la décentralisation et membre du Parti radical de gauche, dans "Corse-Matin" du 26 février 1998, sur les élections territoriales en Corse, notamment la démarche d'union de la liste de gauche et son programme économique et culturel.

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Média : Corse matin

Texte intégral

Corse Matin :
Même en pleine campagne électorale le moins que l’on puisse dire est que vous faites dans la discrétion. Pensez-vous, comme le nouveau préfet, Bernard Bonnet, que la Corse a davantage besoin d’actes que de mots ?

Émile Zuccarelli :
Je ne fais pas dans la gesticulation. Cela dit, je mène une campagne active, de réunion publique en réunion publique, avec les colistiers. Nous en avons tenu déjà plusieurs dizaines devant des auditoires nombreux et attentifs. Qui écoutent, qui posent des questions, et nous répondons. Car la Corse a besoin d’actes, comme le souligne à juste titre le préfet Bernard Bonnet.
Mais un discours clair est aussi nécessaire pour fonder cette action dans la population. Quand l’État tient, enfin comme il l’a fait récemment par la bouche du président de la République et du Premier ministre, un discours clair à la Corse, celle-ci répond massivement, on l’a vu. C’est un signe d’espoir. Dans cette campagne, c’est la même exigence. Nous parlons clair à la population. Que chacun en fasse autant, s’il le peut.

Corse Matin :
Vous avez été un des premiers à dénoncer une dérive mafieuse de la Corse. L’assassinat de Claude Erignac confirme t-il votre appréhension ?

Émile Zuccarelli :
Tant que les enquêtes n’auront pas atteint leur terme, il faut se garder de toute supputation hasardeuse sur l’affreux assassinat qui a endeuillé la Corse et la République. Il demeure qu’il intervient dans une île marquée depuis longtemps par une accumulation impressionnante d’attentats et de meurtres, impunis dans leur immense majorité.
A partir du moment où les auteurs de ces crimes, quelles que soient les motivations dont ils se parent, appuyés sur la peur qu’ils inspirent, conquièrent des positions économiques, puis investissent la sphère politique et peuvent aussi contrôler à leur profit une partie de l’argent public, on est bien dans ce que j’ai, il y a près de quinze ans, dénoncé comme une dérive mafieuse. Face à cela, l’État doit appliquer la plus grande fermeté.

Mais les Corses doivent réagir en citoyens responsables. Il dépend en grande partie d’eux-mêmes que ce péril mortel soit conjuré.

Corse Matin :
Vous conduisez une liste d’union – la seule d’ailleurs – aux territoriales. Certains pourtant prétendent que cette union n’est que de façade. Sur quoi vous fondez-vous pour prouver le contraire ?

Émile Zuccarelli :
Je vous remercie de relever le caractère unique de la démarche d’union que nous avons menée à bien au sein de la gauche. Certains observateurs qui insistent volontiers sur le morcellement des listes seraient bien inspirés de souligner que cette gauche unie est, au contraire, l’élément marquant, novateur, clarificateur, de cette élection.
La Corse est en perte de repères. Nous avons fait en sorte de lui donner : un projet alternatif fort et progressiste.
Quant à la solitude de cette union, permettez-moi de penser qu’elle est infiniment supérieure à celle qui pourrait résulter, à droite, de laborieux et hâtifs replâtrages entre les deux tours de scrutin ou au troisième.

Corse Matin :
Vous avez émis les plus grandes réserves sur l’esprit même du statut Joxe. Vous semble t-il à l’usage qu’il recèle plus de qualités que de défauts ?

Émile Zuccarelli :
Le statut Joxe, après la censure de son article 1 par le Conseil constitutionnel, est devenu la loi qui régit les compétences et les pouvoirs régionaux en Corse. Ces compétences sont très importantes et nous devons nous appliquer à bien les exercer dans le cadre actuel. La spéculation institutionnelle permanente est désastreuse pour la Corse et un regard sur le reste de la France et même du monde qui nous entoure, montre que les institutions locales valent d’abord parce que les femmes et les hommes en font.

Corse Matin :
Si vous l’emportez en mars prochain, où situerez-vous vos ruptures avec la gestion précédente. Sur quels secteurs de l’économie ferez-vous porter vos efforts de façon prioritaire ?

Émile Zuccarelli :
Si vous misez notre programme, vous comprendrez que nous sommes des gens responsables et des gestionnaires : nous respecterons les engagements souscrits qui lient la collectivité territoriale de Corse à l’Union européenne, à l’État ou à certaines communes (contrat de plan document unique de programmation, chartes urbaines…).
La première inflexion viendra d’une évaluation systématique et sans faiblesse de l’existant comme de ce que nous entreprendrons.
Quel a été le taux de consommation des crédits européens ? Qu’en est-il exactement de l’utilisation des fonds destinés aux aides économiques, à l’emploi, à la formation professionnelle ? Etc…
Le deuxième changement sera dans la manière de traiter les dossiers. Beaucoup plus de transparence, beaucoup plus de concertation, notamment avec les organisation syndicales et professionnelles et plus généralement avec les forces vives.
La troisième évolution se manifestera dans l’action concrète.
L’effort portera prioritairement sur l’emploi et non plus sur les grands travaux d’infrastructures dont il faudra, au cas par cas, examiner la justification. Il n’y a pas de secteur de l’économie prioritaire : l’agriculture, le tourisme, l’industrie et le BTP, sont des secteurs essentiels et complémentaires. Mais il y a une stratégie du développement à mettre en œuvre : celle du développement durable et sain.
Enfin, nous défendons dans tous les domaines le service public.
Dans une île comme la Corse le service public est encore plus indispensable qu’ailleurs : qu’il s’agisse des transports, de l’énergie pour ne citer que ceux-là ; rien ne peut se faire sans un service public fort.

Corse Matin :
On vous reproche parfois une certaine réticence à l’égard des spécificités insulaires dans le domaine culturel notamment ? Ne pensez-vous pas que le moment est venu pour la Corse d’une mise à plat de la question identitaire de façon à obtenir un consensus, le plus large possible, autour d’un projet de développement ?

Émile Zuccarelli :
Je ne vois pas où et quand, comment et pourquoi, j’aurai manifesté une quelconque réticence à l’égard de la culture corse.
J’ai toujours défendu la langue et la culture corses. J’en suis imprégné et je la défends à condition qu’elle ne soit pas un élément de conflit interne ou un élément de conflit interne ou un élément d’isolement par rapport à l’extérieur.
Comme nous le disons dans notre programme, la gauche ne met pas en opposition la culture corse et la culture universelle.
Elle souhaite que la collectivité territoriale de Corse qui a commencé à le faire en adoptant le 20 novembre dernier le document « Présence et avenir de la langue corse », s’engage plus encore dans la proportion de notre langue qui est l’un de nos plus précieux liens.
Au surplus, le gouvernement auquel j’appartiens a chargé Mme Pery, député, de faire des propositions pour une politique de langues régionales.
Il sera possible dès lors de relancer la langue corse sur des bases fortes. L’île y trouvera de nouveaux moyens pour se développer.

Corse Matin :
Irez-vous à la présidence de l’exécutif en cas de succès ?

Émile Zuccarelli :
La notion de succès est floue. Elle peut notamment recouvrir des cas de majorité relative où gouverner suppose des arrangements et des combinaisons qui ne sont pas dans notre démarche et auxquels je ne suis pas prêt.
Que les électeurs prennent leurs responsabilités et fassent un choix clair. Je saurai alors prendre les miennes.

Corse Matin :
Vous venez de voir aboutir votre proposition, déjà ancienne, de la mise en place d’une commission d’enquête parlementaire sur l’utilisation des fonds publiques. La Corse est-elle à ce point opaque et la transparence est-elle, selon vous, ce qui lui fait le plus cruellement défaut ?

Émile Zuccarelli :
Je réclame, en effet, cette commission parlementaire d’enquête depuis 1989. Sa création est donc un élément de satisfaction. J’ai toujours pris soin de préciser qu’elle n’avait pas, dans mon esprit, vocation à dresser un tribunal permanent de toutes opérations se déroulant en Corse. Elle serait submergée et il existe des administrations et des juridictions compétentes pour cela.
Elle ne vise pas non plus à faire le procès de la Corse. Au contraire, il faut sortir des globalisations insupportables selon lesquelles les élus seraient malhonnêtes et les Corses mauvais contribuables. La commission doit, selon moi, séparer le bon grain de l’ivraie, identifier les circuits pervers, les procédures mal contrôlées, les dysfonctionnements de caractère répétitif, et proposer des remèdes. Des règles précises de transparence en font partie. Il faut que chacun les applique.