Article de M. Jean-Pierre Chevènement, président du Mouvement des citoyens, dans "L'Humanité dimanche" du 30 janvier 1997 sur sa proposition de référendum, sur le projet de monnaie unique et sur le pacte de stabilité intitulé "Construire l'alternative par le peuple et pour le peuple".

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Média : L'Humanité Dimanche

Texte intégral

« Construire l’alternative par le peuple et pour le peuple »

Le projet de monnaie unique, cœur du traité de Maastricht, associé au dogme de la libre-concurrence généralisée et de la diabolisation de l’intervention publique en économie, aboutit à une triple fracture : fracture économique et sociale, fracture territoriale, fracture entre les élites et les peuples.

En France, la politique du franc fort accroché au Mark – monnaie la plus surévaluée du monde – sert de boussole à tous les Gouvernements depuis 1983. Maintenue au pris d’un niveau très élevé des taux d’intérêt réels, cette politique a laminé nos industries de main-d’œuvre concurrencées, dans le Grand Marché comme à l’extérieur, par les pays à monnaie faible. Elle favorise la rente financière au détriment de l’activité productive et de l’emploi.

L’Europe de Maastricht, loin de nous protéger des effets de la mondialisation libérale, en constitue le relais comme on le voit avec le démantèlement continu de nos services publics en fonction de multiples directives européennes, et avec la remise en cause des bases même de la Sécurité sociale dont les fonds sont soumis, eux aussi, aux critères de Maastricht.

L’engrenage de la monnaie unique aggravé par le pacte de stabilité rendrait impossible toute politique réellement alternative à celle de l’actuel Gouvernement. Elle aboutirait à l’austérité perpétuelle. Elle paralyserait l’action publique en enlevant au Gouvernement toute possibilité d’action sur la monnaie, le budget et, demain, la fiscalité, bref sur l’ensemble des politiques publiques.

Loin d’unir les peuples d’Europe, la monnaie unique va au contraire créer des fractures territoriales entre les nations et au sein de chaque nation. L’Europe du Sud sera de fait exclue de la zone « euro », la France constituant la base arrière sud d’une Europe moignon réduite à l’Allemagne et au Benelux.

Enfin, cette construction européenne, réduite à une fusion franc-mark, sonnerait le glas de l’indépendance nationale, et donc de la démocratie. Une banque centrale indépendante pilotant la politique économique, donc la politique sociale, un Parlement européen sans légitimité et inconnu des peuples, une Commission omnipotente faisant entériner ses décisions par un Conseil des ministres européen fonctionnant dans l’opacité et le secret, une cour de justice disant le droit par-dessus la tête des Parlements nationaux, tel est le schéma institutionnel qui mettrait les dirigeants à l’abri du suffrage universel.

Nos élites, de droite et de gauche, solidaires de leur adhésion à Maastricht, ne sont pas en mesure de réorienter aujourd’hui la construction européenne. Pour qu’un Gouvernement d’alternative républicaine puisse réussir demain, il faudra qu’il s’appuie sur une volonté populaire, d’où la nécessité d’un nouveau référendum. Fort de cette légitimité, un Gouvernement de gauche pourrait changer la donne. Une monnaie commune externe pourrait être utilisée pour les échanges entre l’Europe et le reste du monde. Adoptée simultanément par tous les pays, elle laisserait subsister les monnaies nationales afin que chaque nation dispose de marges de manœuvre internes pour résoudre la multiplicité des problèmes économiques et sociaux qui se posent à chacune d’elles. Des politiques communes publiques disposant d’un financement propre pourraient nourrir une initiative européenne de croissance pour répondre au défi du chômage de masse (grands travaux, coopération avec l’Est et le Sud, recherche).

L’Europe a surtout besoin de dialogue et de démocratie. A l’étape historique actuelle, il n’existe pas de peuple européen.

Chaque peuple se reconnaît d’abord dans le cadre national. C’est là que se sont forgées les solidarités collectives et que la démocratie peut s’exercer légitimement : c’est dans ce cadre-là que la minorité accepte la loi de la majorité. Il faut s’appuyer sur les nations pour faire avancer l’idée d’une Europe des peuples, faire progresser le débat sur la conception de la citoyenneté et de la nationalité, sur la laïcité, le service public, sur le rôle de la démocratie face au marché, pour créer, petit à petit, un sentiment commun d’appartenance et non plaquer artificiellement le toit d’une monnaie unique sur une maison sans fondations.

Dans ce dialogue, la France doit porter sans faiblesse ses valeurs républicaines et citoyennes. Pour proposer un authentique changement au pays en 1998, il faut impérativement retrouver de l’air en desserrant le nœud coulant de la monnaie unique.

C’est au peuple français qu’il appartient de trancher une question si décisive. Il n’y a aucune raison que le peuple britannique puisse s’exprimer, que le Parlement allemand puisse décider et que le peuple français n’ait pas son mot à dire !

L’heure de la vérité a sonné pour l’Europe. Deux grandes questions sont au centre du débat politique : la monnaie unique et la révision du traité de Maastricht. De leur résultat dépendra l’avenir immédiat de l’Union européenne. Elles sont d’une importance telle que, en toute logique, elles devraient être soumises à la raison critique et à la recherche d’alternatives, à une information fiable, à un large débat public et à la consultation des citoyens.

Les critères fixés par les Quinze pour la mise en œuvre de l’euro répondent avant tout à l’orthodoxie monétaire de la Bundesbank, très éloignées de l’histoire et des réalités économiques d’autres pays de l’Union. Tout particulièrement, l’excessive autonomie offerte aux banques centrales pour dicter les politiques monétaires court le risque de fragiliser davantage nos institutions démocratiques.

Le Conseil européen de Dublin de décembre a renforcé ces conditions draconiennes pour la zone euro, en imposant le pacte de stabilité, un carcan qui les perpétue au-delà de 1999 et qui réduira considérablement l’autonomie budgétaire et fiscale des Etats membres.

Cette stratégie plonge les Quinze dans une course déflationniste. Sous la pression de la concurrence, chaque Etat veut atteindre des taux d’inflation plus bas que les autres, un déficit budgétaire et un endettement public plus réduits, une fiscalité plus allégée et un moindre coût du travail. La consommation et l’emploi en pâtissent.

En Espagne comme ailleurs, les peuples ploient sous les politiques d’austérité, les privatisations massives, les déréglementations et le démantèlement des services publics. Une certaine droite européenne rêve de briser le contrat social d’après-guerre, portant ainsi atteinte à un des piliers socio-économiques de la civilisation européenne.

L’angoisse et les protestations s’intensifient aussi. Mais elles sont encore fragmentaires. Il n’y a pas d’issue si la mobilisation se cantonne aux seuls secteurs frappés de plein fouet ou même si elle se confine à l’intérieur des frontières nationales. Les mouvements de défense de l’emploi et des services publics, ainsi que la sympathie dont ils bénéficient dans l’opinion, le confirment : les politiques d’austérité mises en œuvre au nom d’un modèle conservateur de la monnaie unique se heurtent à une opposition sociale grandissante.

La journée de lutte pour l’emploi lancée pour le 28 mai par la Confédération européenne des syndicats et la marche pour l’emploi convoquée pour le 14 juin à Amsterdam méritent toute notre attention.

Les leaders d’une vingtaine de partis politiques de la gauche européenne alternative – dont Robert Hue et Julio Anguita – ont proposé une campagne européenne pour des référendums nationaux simultanés. Un meeting européen est prévu le 6 juillet à Madrid sous le mot d’ordre : « Que les peuples décident l’avenir de l’Europe. »