Texte intégral
La Tribune : Quelle est la raison de votre colère, à l’annonce des nominations au Conseil de la politique monétaire ?
René Monory : Ce qui est en cause, c’est la position des présidents d’Assemblée. Lorsque nous nommons des représentants au Conseil constitutionnel ou au Conseil supérieur de l’audiovisuel, nous le faisons directement et en toute indépendance. Je viens ainsi de nommer Yves Guéna au Conseil constitutionnel, où il remplace Etienne Dailly, que j’avais nommée en 1994. Cette procédure garantit l’indépendance de ceux qui sont nommés à l’égard du pouvoir politique.
La Tribune : Or vous ne nommez pas directement au CPM…
René Monory : L’indépendance de la Banque de France a été voulue par la loi. Mais les présidents de l’Assemblée nationale, du Sénat et du Conseil économique et social ne font que proposer leurs candidats au CPM, et c’est le Gouvernement qui les choisit.
La procédure nous obligeait à proposer deux candidats chacun.
La déontologie aurait voulu que le Gouvernement en choisisse un parmi ceux que je proposais, puisque l’un de ceux qui arrivaient en fin de mandat, Bruno de Maulde, avait été nommé sur ma proposition. La déontologie aurait également voulu que le Gouvernement choisisse l’autre parmi les candidats que proposait Jean Matéoli, puisque Jean Boissonnat, l’autre membre du CPM dont le mandat s’achève, avait été proposé en 1993 par le président du CES. Alors, le CPM aurait été composé de personnalités émanant à égalité des trois présidents d’Assemblée.
La Tribune : Comment cet équilibre a-t-il été rompu ?
René Monory : Il y a huit jours, nous étions d’accord avec le Premier ministre pour nommer ceux que recommandaient la Banque de France, Jean-René Bernard et Jean Boissonnat. Mais au dernier moment, cela a changé.
Les candidats que j’avais proposés ne plaisaient pas. Aucun n’a été retenu. On a rompu avec la représentativité des trois présidents d’Assemblée. Il n’y a plus aujourd’hui au CPM qu’un représentant du président du Sénat, pour deux représentants du président de l’Assemblée nationale et trois représentants du président du CES. C’est une dérive désagréable, très malsaine. Il était inutile d’humilier gratuitement le Sénat.
La Tribune : Cependant, la procédure a été formellement respectée. La loi est-elle en cause ?
René Monory : Aujourd’hui, les présidents d’Assemblée ont un faux pouvoir. Je souhaite que, par une modification législative, on précise les choses. L’enjeu, c’est l’indépendance de la Banque de France à l’égard du pouvoir politique. Soit on en revient à l’esprit de départ, et chaque président d’Assemblée nomme directement ses représentants, comme au Conseil constitutionnel. Soit on veut que le Gouvernement contrôle la politique monétaire. Alors il faut le dire clairement et c’est le Gouvernement qui doit prendre ses responsabilités, et nommer les membres du CPM. Cela lèverait l’ambiguïté.
La Tribune : Ces nominations peuvent-elles changer quelque chose à la politique monétaire ?
René Monory : J’espère que cela ne changera rien. Je ne fais de procès d’intention à personne. Et ce n’est pas la peine d’inquiéter inutilement les marchés financiers.