Texte intégral
La Voix du Nord le mardi 24 février 1998
Q. - Quel bilan tirez-vous des neuf premiers mois d'exercice du gouvernement Jospin ?
R. – « Le gouvernement gère surtout l'immédiat. Il ne manque d'ailleurs pas d'habileté lorsqu'il s'agit de parer au plus pressé. Il navigue à la godille, coincé entre les exigences contradictoires et les surenchères idéologiques de sa majorité. Celle-ci est ainsi maintenue, au fil des semaines, en état de survie par la multiplication des concessions, des cadeaux ou des petites satisfactions accordés à l'une ou l’autre de ses composantes, au détriment de l'intérêt général le plus souvent.
Et pendant ce temps, la France perd du temps... Aucun des défis auxquels elle est confrontée n'est relevé. Aucune des réformes nécessaires n'est entreprise. Elle ressemble à un champ truffé de mines anti-personnel : un calme trompeur y règne. Mais le jour où il faudra s'engager, ce seront des explosions à répétition. »
Q. - A entendre François Hollande à votre endroit, le « preux républicain » serait devenu un « croisé du libéralisme ». C'est vrai ?
R. – « Les socialistes sont champions dans l'art de susciter des oppositions artificielles, de pratiquer l'amalgame. Ils croient éviter le débat, la confrontation des idées en proférant des jugements à l'emporte-pièce, aussi schématiques qu'erronés.
En vérité, la liberté est un des trois éléments de la devise de la République : il n'existe rigoureusement aucune contradiction entre l'attachement à la République et l'attachement à la liberté sous toutes ses formes, y compris la liberté d'entreprendre dont la gauche fait, je vous le concède, bien peu de cas.
En fait, il ne s'agit pas aujourd'hui de se laisser enfermer dans un débat doctrinal, de choisir entre libéralisme et préoccupation sociale. Il s'agit de prendre en compte une situation. Celle qui voit la France connaitre depuis quinze ans plus d'impôts, plus de charges, plus de contraintes. Ce qui amène une progression du chômage, laquelle suscite à son tour une augmentation de la fracture sociale. Il faut sortir de cette spirale infernale sans esprit de système. C'est le sens de notre projet. »
Q. - Ces élections régionales constituent-elles « un test national » comme le pensent certains de vos amis ?
R. – « Ce qui est sûr, c'est qu'il s'agit de la première consultation depuis les élections législatives de juin dernier. Les socialistes et leurs alliés multicolores chercheront d'ailleurs - ils ont déjà commencé à transformer ce scrutin en vote d'approbation de la politique gouvernementale car ils ont peu à dire sur les régions ; leurs piètres performances en Limousin et dans le Nord - Pas-de-Calais auraient du mal à leur servir de vitrine.
Il y aura donc à l'évidence une dimension nationale de ces scrutins, même s'il s'agit d'abord et avant tout de juger de l'action des collectivités locales et de leurs projets pour l'avenir, Ce sont les présidences et les majorités de région qui sont en jeu. »
L’Est Républicain le 27 février 1998
Q. - La réunion de ce soir à Epinal a-t-elle valeur de retour aux sources ?
R. - Pour qu'il y ait retour, il faudrait que je sois parti. Or je suis et entend rester député de la première circonscription des Vosges. Sans doute l'actuelle campagne électorale m'en éloigne-t-elle un peu et c'est avec un réel plaisir que je m'exprimerai, ce soir, dans cette ville qui m'a accordé puis renouvelé sa confiance. Mais que mes électeurs se rassurent : ils ne tarderont pas à me retrouver, avec mes convictions, mes exigences et mon caractère !
Q. - Malgré un calendrier peu favorable à l'opposition, vous menez une campagne démesurée. Avec quel objectif ?
R. - Je dois bien être le seul, en effet, à tenter de réveiller une campagne électorale pour le moins atone, Ce n'est pourtant pas une élection de second ordre. Dans un système décentralisé comme le nôtre, les Régions sont, en elles-mêmes, des leviers d'action importants. Elles ont leur rôle à jouer dans la lutte contre le fléau du chômage, dans le fonctionnement de la démocratie locale, donc de la démocratie tout court. Il faut en conséquence qu'elles soient dirigées, et bien dirigées.
Q. - En la matière, qu'est-ce qui oppose la droite et la gauche ?
R. - Regardez déjà les bilans. Tous les classements qui ont été réalisés en fonction de la qualité de la gestion, de la part des investissements, du poids des impôts placent les deux Régions gérées par la « majorité plurielle » en queue de peloton. C'est éloquent ! Quant aux projets, celui de la gauche se résume à transformer les Régions en roue de secours de l'Etat. Les socialistes ne visent que le magot fiscal des Régions pour aider le gouvernement à prendre en charge les vrais faux emplois Aubry ou les 35 heures. Pour combler les déficits nationaux, ils veulent prendre de l'argent ailleurs. Cela s'appelle de la cavalerie.
Q. - Comment voyez-vous les résultats ?
R. - Comme le RPR et l'UDF dirigent déjà 20 régions sur 22, il me semble hasardeux d'espérer en gagner plus de deux ! Sérieusement, tout pronostic parait difficile avec ce mode de scrutin, la pléthore de petites listes et des électeurs quelque peu troublés par la conjonction d'un scrutin et d'un demi scrutin. Il convient d'abord d'expliquer que tout le monde est appelé à voter le 15 mars mais, que le même jour et le dimanche suivant éventuellement, seulement la moitié du corps électoral choisira ses conseillers généraux. C'est simple !
Q. - Les régionales ont-elles un enjeu national ?
R. - Elles arrivent un peu tôt pour que les Français mesurent les conséquences de l'immobilisme promu au rang de méthode gouvernementale. D'autant que le Premier ministre ne manque pas d'habileté dans la gestion des effets d'annonce. Mais si lui cherche toujours à gagner du temps, en attendant on ne sait quoi, la France, elle, en perd. Aucun des défis auxquels elle est confrontée n'est relevé. Aucune des réformes nécessaires n'est entreprise. Notre pays est comme paralysé alors que le monde change, Il change vite et sans nous attendre.
Q. - Vous n'avez pas craint d'exclure le seul député RPR de Meurthe-et-Moselle. N'avez-vous pas eu la main lourde ?
R. - Nous avions pris une décision équitable et honorable. Elle devait être appliquée. Au nom, d'abord, du respect de nos engagements sur une liste d'union avec nos partenaires de l'UDF. Il y va aussi de notre crédibilité interne : quelques jours à peine après avoir voté un code de déontologie, il était impensable de le laisser violer en toute impunité. Chacun, enfin, doit comprendre que lorsque nous parlons de réhabiliter la morale en politique, il ne s'agit pas l'un vain mot. Nous n'avons pas voulu sanctionner des hommes mais stigmatiser des comportements, ceux-là mêmes qui nourrissent le divorce entre les citoyens et la chose publique.
Q. - Vous avez renoncé à votre mandat de maire d'Epinal et, pourtant, vous êtes contre la réforme Jospin. Pourquoi ?
R. - Je ne suis effectivement pas « cumulard », moi. Mais la réforme proposée par le Premier ministre relève de l'hypocrisie et de l'incohérence. Le cumul des mandats est le produit d'un certain système institutionnel et traiter le premier sans se préoccuper du second revient à ne rien faire du tout. Où est la révision des financements croisés qui invitent les élus à se situer aux divers échelons de décision ? Où est le statut de l'élu qui permettrait des maires à plein temps ?