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Comment empêcher que la crise asiatique ne vienne briser ou, au mieux, freiner la relance de nos économies
Les crises financières qui se succèdent en Asie déclenchent une vague d'inquiétude qui ne fait que s'amplifier. Avant-hier la Thaïlande. Hier la Corée du Sud. Aujourd'hui l'Indonésie. Demain, pourquoi pas la Chine ? Les Bourses de valeurs des pays sinistrés ont chuté en moyenne de 50 %, leurs monnaies se sont dépréciées d'un tiers. Parviendra-t-on à freiner l'engrenage ?
Alors que ses thuriféraires nous ont vanté les mérites et affirmé le caractère inéluctable de la globalisation et du laissez-faire, laissez-passer, il est bon de s'interroger sur les lacunes ou les limites de ce « non-système mondial ». Tout doit partir de la nécessaire distinction entre la bulle financière, d'une part, et l'économie réelle, d'autre part. La première a son royaume et ses pratiques de plus en plus sophistiquées, depuis la gestion des actifs financiers jusqu'à la spéculation sur les futurs. Son évolution ne fait pas que traduire la marche des économies réelles. Elle procède aussi d'un jeu propre, motivé par la recherche des gains à court terme ou par le gonflement à marche forcée des actifs financiers. D'où des mouvements forts et brusques qui, par leurs retombées, peuvent déstabiliser des économies réelles. Ce fut le cas, dans un passé récent, pour le Mexique, gavé de placements à court terme prompts à quitter le pays. C'est la situation présentement dans les pays du Sud-Est asiatique, qui ont accumulé des masses de dettes publiques ou privées dans l'euphorie d'une forte expansion attirant les capitaux en quête de profits élevés.
La rapidité et la force avec lesquelles se déplacent des sommes considérables affectent l'ensemble des places financières et expliquent la montée du dollar, considéré comme la valeur refuge. Dès lors, on doit aborder la question taboue : et si le marché et la main invisible n'aboutissaient pas au meilleur des mondes possibles ? Et si l'indépendance croissante des économies nécessitait de nouveaux instruments de régulation permettant de remédier à la myopie et aux insuffisances du marché ? N’aurions-nous pas, en d'autres termes, besoin d'un nouveau Bretton Woods ? C'est pour engager la réflexion dans cette voie que j'ai proposé la création d'un conseil de sécurité économique ou seraient représentées les grandes puissances et toutes les parties du monde. De telle sorte que nous puissions faire, en liaison avec les institutions internationales de la finance, de la monnaie et du commerce, l'apprentissage de nouveaux modes de concertation et de prévention.
Mais revenons-en à la conjoncture et à nos préoccupations en tant que Français et Européens ayant connu une période néfaste, en raison de l'insuffisance de la croissance et de la montée du chômage. Cette crise financière, en se propageant dans l'économie réelle, pourrait briser ou, au mieux, freiner la relance de nos économies. L'Asie est au centre du séisme. L'effet de contagion peut jouer, par le seul mouvement autonome de la spéculation. La seule puissance économique de taille qui aurait pu contrebalancer ces tendances à la baisse est le Japon. Or celui-ci n'arrive pas à sortir lui non plus, après l'éclatement de sa bulle financière, de la stagnation économique et d'une série d'accidents financiers.
Il convient en outre de suivre de très près les médecines qui vont être administrées aux pays dont les difficultés proviennent aussi du déséquilibre d'un développement surtout axé sur les exportations. Ce qui veut dire qu'une cure classique d'austérité ne serait pas le remède adéquat pour retrouver les bases d'une croissance reposant à la fois sur la demande intérieure et sur le commerce international. Bien au contraire, elle ne ferait qu'inciter ces pays à pratiquer le dumping monétaire, donc à brader les prix.
Nul ne se risquera à jouer les augures ni à prétendre à fortiori maitriser la situation. Les forces déflationnistes à l'œuvre peuvent faire plus ou moins de dégâts selon, précisément, l'intensité des pressions à la baisse des prix. Celles-ci proviennent soit de la vente d'actifs financiers, soit de la dévaluation en chaine des monnaies, soit d'un climat de concurrence sauvage de la part des entreprises voulant à tout prix préserver une partie de leurs activités. Là est le risque majeur.
Il y a cependant une institution qui peut, sinon résoudre le problème, du moins ne pas aggraver les choses. C'est la Federal Reserve Bank des Etats-Unis, placée devant le dilemme suivant : ou bien prévenir un risque encore lointain de retour de l'inflation et augmenter les taux d'intérêt, au risque de faire monter le dollar et d'amplifier la crise ; ou bien négliger ce risque pour aider les marchés des changes à retrouver une certaine stabilité. La surchauffe de l'économie américaine peut donc, pour notre bien à tous, se poursuivre encore un temps !