Interview de M. Alain Richard, ministre de la défense, dans "Libération-Champagne" du 11 mars 1998, sur la préparation et l'enjeu des élections régionales, notamment dans la région Champagne Ardenne et l'attitude de la gauche face au Front national.

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Circonstance : Visite de M. Richard à Troyes (Aube) le 11 mars 1998 dans le cadre de la campagne pour les élections régionales

Média : LIbération Champagne

Texte intégral

Libération-Champagne : Peu de ministres tiennent, dans cette campagne électorale, des réunions publiques. Vous êtes l'un des rares à faire cet effort. Qu'est-ce qui motive cette relative discrétion du Gouvernement ?

Alain Richard : Je vous trouve un peu sévère avec les membres du Gouvernement qui, pour bon nombre d'entre eux, sont pleinement engagés dans cette campagne en tant que candidats sur les listes aux régionales. Et nous sommes plusieurs à aller soutenir des candidats d'une ville à l’autre.

En plus, loin de rester inactif pendant ces élections, le Gouvernement poursuit son travail. Pas plus tard que la semaine dernière, Martine Aubry a annoncé un plan sans précédent de lutte contre les exclusions mobilisant 18 ministères et près de 50 milliards de francs sur trois ans. Et chacun, au Gouvernement, fait avancer ses projets.

Enfin, comme l’a rappelé Lionel Jospin, la responsabilité première de cette campagne revient aux partis politiques. Je garde mes réflexes de militant et de responsable politique, et je reprends un peu de service dans mon parti derrière notre premier secrétaire, François Hollande, qui pour sa première grande campagne nationale, s’acquitte remarquablement de sa tâche.

Libération-Champagne : Pourquoi avez-vous choisi de vous impliquer dans cette campagne électorale ?

Alain Richard : Il y a 17 ans, aux côtés de Gaston Defferre, j'ai eu un rôle actif à l'Assemblée dans l'adoption des lois de décentralisation. J'expliquais alors que la vie démocratique s’enrichirait à l'avenir car les citoyens auraient à faire des choix politiques concrets sur leur cadre de vie, leurs services publics, leur développement local, leur fiscalité locale. C'est bien ce qui se passe aujourd'hui.
Et les Français vont ainsi pouvoir sanctionner la gestion conservatrice de la droite dans bon nombre de départements et de régions en se tournant vers des politiques de progrès. Je me sens donc motivé pour quitter le ministère en début de soirée et pour partir en train ou en voiture porter la bonne parole en faveur de mes amis. On fait de notre mieux au Gouvernement, pour donner de vraies responsabilités aux citoyens : il est cohérent de s'adresser à eux pour nourrir le débat quand un vote populaire s’approche.

Les dangers les plus sérieux pour notre majorité plurielle s’appelle l'abstention et l'indifférence de nos concitoyens qu'il faut convaincre de l'intérêt majeur de ces élections. Nous devons dans les derniers jours de la campagne, mettre l'accent sur les effets concrets pour eux d'une majorité de gauche ou de droite dans leurs assemblées locales.

Libération-Champagne : Les élections intermédiaires sanctionnent généralement le gouvernement en place. Or, d'après les sondages, la gauche a toujours les faveurs de l'opinion. Comment expliquez-vous cette situation sortant de l'ordinaire ?

Alain-Richard : En choisissant une majorité de gauche en juin dernier, les Français ont clairement exprimé leur volonté de changement. Neuf mois après, il constate simplement que ce gouvernement a respecté sa parole et le contrat qu'il avait passé avec les électeurs. Ils ont le sentiment que les choses commencent à aller mieux, que le pays avance dans la bonne direction. Ce gouvernement a su redonner la confiance aux Français : l'économie se porte mieux, la croissance repart. Surtout, notre politique volontariste en faveur de l'emploi commence à porter ses fruits : le taux de chômage qui a baissé pour le cinquième mois consécutif amorce un premier recul significatif. En face, la droite ne sait que critiquer ou exprimer son regret qu'on ne continue pas la politique Balladur-Juppé. Et l’extrême-droite montre dans ses excès qu'elle ne souhaite que le malheur des Français pour l'exploiter à son profit. Dans ce contexte, les Français ont plutôt envie de confirmer leurs choix d'espoir lucide de juin 1997 ; et même ceux qui n'avaient pas franchi le pas à ce moment-là constatent le sérieux et la volonté d'action de Lionel Jospin et sont enclins à lui donner la durée nécessaire à toute réforme en profondeur de la société.

Libération-Champagne : Quelle est l'importance de ces élections régionales ? Du fait de leur création relativement récente, les Français connaissent mal le rôle exact joué par les conseillers régionaux. Si vous n'aviez qu'une idée forte à mettre en avant, ce serait laquelle ?

Alain Richard : Les régions ont des compétences étendues : développement économique, formation professionnelle, équipements collectifs, aménagement du territoire. Elles ont des moyens financiers appréciables, près de 85 milliards de francs, dont une forte partie va à des investissements pour les services publics et le cadre de vie. C'est donc un levier politique décisif, sous-utilisé aujourd'hui par la droite, que nous voulons mettre pour notre part au service de l'emploi et de la solidarité. De nouvelles majorités régionales, plus soucieuses de préparer l'avenir, noueront des partenariats constructifs avec l'État. Notamment en ce qui concerne les emplois-jeunes et la réduction du temps de travail.

Libération-Champagne : À votre avis, combien de régions peuvent basculer de droite à gauche ? Quel est votre pronostic personnel dans ce domaine ?

Alain Richard : Nous sommes dans la course, nous ne pouvons pas être bons parieurs. Laissez-moi seulement vous faire une confidence : dans toutes les régions, chaque voix comptera. Particulièrement chez vous, en Champagne-Ardenne.

Libération-Champagne : Craignez-vous, à certains endroits, au moment de l'élection des présidents de régions, des ententes locales entre la droite et des élus du Front national pour priver la gauche de sa victoire. Est-ce pour vous une réelle menace, et comment l'éviter ?

Alain Richard : La gauche est d'une extrême clarté vis-à-vis du Front national qui ne doit pas pouvoir polluer le jeu démocratique. Nous n'aurons pas de candidats à la présidence d'une région si nous n’obtenons pas la majorité relative. À droite un certain nombre de responsables comme Messieurs Balladur ou Léotard tiennent un discours identique. Mais c'est loin aujourd'hui d'être le cas de tous les représentants de la droite puisque Monsieur Mancel encore récemment secrétaire général du RPR et Monsieur Vasseur qui fut un membre important du gouvernement Juppé, disent ne pas vouloir refuser les voix du Front national. Nous demandons donc à la droite de clarifier ses positions dans toutes les régions sans exception. Pour aller dans ce sens, nous combattrons sans détour les positions du FN, nous cherchons à rassembler au maximum autour de la majorité plurielle. Et l'action patiente que mènent le Gouvernement et la majorité s’attaque aux facteurs de crise qui ont poussé bien des gens vers ce vote sans issue. Donc, sur ce sujet décisif, nous tenons notre contrat.