Article de M. Michel Rocard, membre du bureau national du PS et député européen, dans "Le Figaro" le 21 novembre 1996, intitulé "Rectification n'est pas dévaluation", sur le passage à la monnaie unique et les solutions proposées par M. Giscard d'Estaing pour la fixation des parités monétaires.

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Intervenant(s) : 
  • Michel Rocard - membre du bureau national du PS et député européen

Circonstance : Article de M. Valéry Giscard d'Estaing dans "L'Express" le 21 novembre 1996 ("l'euro à 7 francs")

Média : Emission Forum RMC Le Figaro - Le Figaro

Texte intégral

Il est exact que le mark et le franc sont surévalués par rapport au dollar, de l’ordre de 10 %, sinon davantage. Sur le plan de la croissance, des exportations et du chômage, c’est là une situation dramatique.

Mais bien que Valéry Giscard d’Estaing mette en lumière un problème essentiel, je ne suis pas en plein accord avec les solutions qu’il propose.

Certes, il a raison d’affirmer que lorsqu’une monnaie a toutes les raisons d’être stable – ce qui est le cas du franc, puisque notre balance extérieure est excédentaire, l’inflation inexistante, et que nous sommes en pleine restauration des équilibres financiers publics – une « rectification » n’est pas une dévaluation : c’est une reconnaissance de surévaluation.

Mais l’opération du passage à la monnaie unique a un intérêt qui dépasse largement la seule question économique et monétaire. C’est avant tout une condition d’affirmation de l’existence de l’Europe, avec l’espoir que cette existence finira par se traduire sur le plan diplomatique et militaire.

Se doter d’une monnaie unique, c’est mettre en commun ses destins. Le destin d’un pays ne s’arrête pas aux limites de la politique étrangère. Il faut donc réussir « l’opération euro » à tout prix. De ce point de vue, la « surévaluation » que notre monnaie subit depuis trois ou quatre années crée une situation difficile qui pourrait rendre plus complexe la mise en place de l’euro.

C’est pourquoi, pour réussir, il convient avant tout de ne pas rompre le lien politique – et la traduction monétaire de ce lien – avec l’Allemagne. Toute décision qui serait prise de manière unilatérale créerait une défiance au moment précis où il faut franchir le pas : c’est la chose à ne pas faire. Cela étant, il convient aussi de s’assurer de la fiabilité future de l’euro. Par conséquent, il faut impérativement faire comprendre à l’Allemagne que tout le monde se porterait mieux si le franc était moins surévalué, au moment précis où l’on s’apprête à fixer sa parité avec le mark.

Mais n’oublions pas que le véritable ennemi de l’euro sont les marchés financiers. La naissance de l’euro réduit les possibilités de spéculation sur les monnaies européennes et les bases de commission de change. Enfin, le poids que pèsera l’euro sur les marchés – dès lors que l’Allemagne, le Benelux et la France y participent – réduit la volatilité internationale des monnaies. Il faut donc s’attendre à une vaste opération de sabotage spéculatif sur l’euro.

C’est une des raisons pour lesquelles l’un des opérateurs financiers les plus importants, l’un des seuls qui aborde la planète avec un sens civique, George Soros, souhaite que l’euro se fasse aussi vite que possible. Il faut donc anticiper et fixer les parités franc-mark sans tarder.

Pour conclure, et bien que je partage les préoccupations de Valéry Giscard d’Estaing, j’estime que seule une initiative commune de Jacques Chirac et Helmut Kohl peut éviter d’ouvrir un boulevard à la spéculation internationale. C’est à cette seule condition que nous réussirons l’euro.