Texte intégral
O. Mazerolle : Vous n'avez, pas ce matin, d'autres informations sur l'enquête ?
Éric Raoult : Non, je suis un Français comme tout le monde, qui a été bouleversé par les images hier et puis qui sait qu'aujourd'hui, le président de la République réunira un Conseil de sécurité autour du Premier ministre et du ministre de l'Intérieur.
O. Mazerolle : Je voulais vous demander : quel est votre état d'esprit ? Car, à tort ou à raison, tous les regards, y compris ceux des enquêteurs, se tournent vers ces quartiers peuplés de musulmans dont vous avez la charge ?
Éric Raoult : Écoutez, si je voulais parler la langue de bois, je dirais qu'il ne faut pas faire d'amalgame, qu'on ne sait pas encore si cela vient de là. Mais je vous vous parler clairement, avec mon coeur : c'est vrai que les évènements passés ont montré qu'il y avait – en mélangeant pas, en ne nous trompant pas – un pays qui est guerre, un pays qui souffre et parfois un certain nombre de ressortissant de ce pays. Je crois qu'aujourd'hui, tous ceux qui, en France, seraient tentés de montrer du doigt ces quartiers, de montrer du doigt ces gens, se tromperaient car ils sont restés étonnamment calmes dans les évènements que nous avons connus l'an dernier ; et dans d'autres périodes, ils ont montré que même s'ils n'avaient pas les mêmes racines, ils avaient le même coeur et que même s'ils n'avaient pas la même origine, ils voulaient un destin commun avec notre pays. Donc, je crois qu'il ne faut pas nous tromper et que tous ceux qui seraient tentés de montrer du doigt, de semer la haine, ne répondraient pas à l'attente des Français qui est une attente aujourd'hui d'efficacité, de calme et de dignité.
O. Mazerolle : Ce sont des populations qui sont tout de même vulnérables, du fait de leurs conditions de vie, sociales ou bien leurs origines culturelles. L'intégration tout d'abord, c'est peut-être la sécurité. Est-ce que véritablement la police française est, à l'heure actuelle, en mesure de lutter avec efficacité contre ces réseaux des sergents recruteurs de l'islamisme ?
Éric Raoult : Je me rappelle de ce qu'on a dit sur la police il y a quelques jours. Et aujourd'hui, les Français se rendent bien compte que les critiques, les anathèmes qui sont portés contre ces policiers n'ont plus de signification aujourd'hui lorsque nous réclamons que les policiers, que toutes les forces de sécurité soient mise en protection de notre nation. Le président de la République s'est exprimé avec beaucoup de détermination, il a parlé de barbarie. Je crois que les policiers sont souvent, en matière de sécurité, les derniers vigiles, les derniers liens contre la barbarie, que ce soit la barbarie de l'attentat ou que ce soit la barbarie de la violence d'un certain nombre de jeunes qui sont des barbares à leur niveau.
O. Mazerolle : Ont-ils suffisamment de moyens pour lutter contre ces réseaux qui vont jusqu'à proposer, par exemple, à des jeunes musulmans d'aller vivre l'aventure en allant s'entraîner en Afghanistan pour ensuite pouvoir commettre des actes barbares ?
Éric Raoult : Je ne crois pas qu'il y ait beaucoup de Moudjahidins dans nos banlieues. Je crois qu'il y a un certain nombre de jeunes déracinés. A nous de leur redonner un certain nombre de valeurs, de repères, de limites et je crois que si la Nation peut, à des moments d'effroi et à des moments de peur, se rendre compte que vivre ensemble, cela veut dire se respecter et cela veut dire aussi donner une place à ceux qui ont l'impression d'être non pas rejetés mais d'être mis de côté…
O. Mazerolle : L'intégration précisément, c'est la sécurité mais c'est aussi l'appui à ces populations particulièrement vulnérables. Est-ce qu'à l'école, justement, ils reçoivent une assistance suffisante, ne serait-ce que pour apprendre le Français ? C'est l'objet de tous les rapports que l'on lit sur l'école : on n'apprend pas suffisamment la langue française à ceux qui viennent d'autres horizons. La langue française, c'est la porte d'entrée à la culture, à la société française.
Éric Raoult : Notre pays fait beaucoup pour l'école mais il est nécessaire, dans les années qui viennent, de faire encore plus dans ces quartiers parfois difficiles pour ces populations les plus fragilisées. Des dispositifs d'éducation prioritaire ont été mis en oeuvre. Qu'il faille, dans les années qui viennent, avec le ministère de l'Éducation nationale, aller encore plus loin pour renforcer non pas les langues et la culture d'origine mais pour renforcer le français ou bien que l'on soit amené à donner des vitamines d'expression, des vitamines d'utilisation du français et de poursuite des études, c'est une nécessité.
O. Mazerolle : Il y a même des sociologues spécialistes des banlieues qui disent : « il faut arrêter d'enseigner les langues d'origine à l'école primaire ». Vous seriez favorable à une mesure de cette sorte ?
Éric Raoult : Écoutez, ces langues et cultures d'origine sont la conclusion d'un certain nombre d'accords bilatéraux. Qu'il soit nécessaire de les adapter pour faire en sorte qu'il y ait les langues et cultures d'abord d'ici avant qu'elles soient d'origine, me font penser qu'en effet, il faudra s'adapter dans les années qui viennent.
O. Mazerolle : Ensuite, il y a le chômage qui frappe durement ces quartiers, en particulier ces populations d'origine étrangère qui sont devenues françaises et qui ont parfois du mal à trouver des emplois soit parce qu'on ne veut pas de quelqu'un qui est d'origine étrangère, soit tout simplement parce que, dans les quartiers, il n'y a pas de travail.
Éric Raoult : Le chômage touche, c'est vrai, beaucoup plus ces jeunes parce qu'ils sont issus de quartiers, mais que l'on s'appelle François ou Mouloud on peut être concerné par le chômage. Ce n'est pas simplement une question de couleur de peau mais d'absence de formation. Ce que nous avons souhaité, avec le Gouvernement, c'est de renforcer les dispositions qui permettent d'accrocher l'activité, de se ré-amarrer à l'emploi. Ce sont les emplois de ville, c'est le pacte de relance pour la ville. Demain, je crois que tout ce qui pourra être fait pour améliorer l'entrée de ces jeunes, par l'emploi, dans la vie quotidienne de nos compatriotes méritera, je crois, un intérêt tout particulier.
O. Mazerolle : Il y a des zones franches que vous avez créées. Mais est-ce que tout ce qui est fait à l'heure actuelle est vraiment à la hauteur du défi ? Peut-être vous souvenez-vous de ce que disait K. Kelkal dans un entretien avec un sociologue allemand, trois avant qu'il ne pose les bombes, il racontait son histoire et il disait : « Au collège, c'est sûr que les Français n'avaient pas les mêmes principes mais quand même, ils s'adaptaient et nous aussi on s'adaptait ». Est-ce que vraiment la société française, à partir du moment où l'on choisit l'intégration – c'est votre cas puisque vous êtes ministre de l'Intégration -, est vraiment mobilisée et invitée à combler cette différence qui fait que, quand on se regarde, on dit : « celui-là c'est un Arabe, celui-ci c'est un Français ? »
Éric Raoult : On entend une bombe qui éclate, on n'entend pas une réussite à un examen. On voit tout ce qui ne fonctionne pas, on ne voit pas toutes les réussites, tous les succès qui mènent à ce que, justement, l'intégration ait une signification. Je crois malheureusement que, un peu comme le rocher de Sisyphe qui toujours revient, tout peut être remis en cause, tout peut être remis en question sur un drame. Je crois que, dans notre pays nous avons toujours joué l'intégration. La France est un grand creuset d'intégration : elle a intégré l'Europe, elle a intégré parfois au-delà de la Méditerranée. Nous ne pouvons pas, je crois, mélanger les images, nous ne pouvons pas jouer l'amalgame et faire en sorte qu'un drame de barbarie, comme l'a souligné le président de la République, remettre en cause le fait que la France est un pays d'accueil. Ce n'est pas un pays d'abus, c'est un pays de respect. Ce n'est pas un pays de laxisme. Je crois qu'aujourd'hui, c'est dans le courage et dans le calme que l'on doit traiter cet attentat mais en ne mélangeant pas les images et en ne nous trompant pas parce que je crois que, loin de montrer du doigt, il faut aujourd'hui donner un coup de pouce pour ceux qui n'ont pas encore de foyer puissent le trouver et que, dans ce pays, ils puissent le trouver.