Texte intégral
Date : 5 février 1997
Source : Force ouvrière hebdo
Multimédias, Sécurité sociale, Terrorisme, Chômage furent quatre des dossiers de la semaine passée.
Multimédias d’abord.
J’ai, à la demande du conseil d’administration du Bureau international du travail, présidé un colloque de trois jours à Genève sur la convergence des multimédias. Nous aurons l’occasion d’y revenir prochainement plus longuement. Disons simplement pour le moment qu’il ne faut pas en rester aux gadgets du type : trouver un emploi de pâtissier au Japon par internet. On peut même penser que le développement multimédias, c’est-à-dire l’essor important des moyens de communication, conduira à pouvoir limiter des déplacements et la mobilité, y compris en termes de contacts physiques.
Les problèmes posés sont plus importants. Ils touchent notamment à trois questions :
- qui contrôlera les multimédias ? C'est la question politique par excellence sachant, comme l'expliquait Mac Luhan, que « Medium is message ». Il y a à n'en pas douter un risque considérable de captation par les forces du marché.
- cela conduira-t-il à accroître les inégalités ? Le risque est également grand. À la différence de l'extension en France du téléphone par le service public, le multimédia se diffusera de manière très différente dans les couches de la société. Au niveau international les écarts s'accroîtront également entre pays riches et pays pauvres.
- quelles conséquences sur les salariés ?
On rejoint ici les problèmes liés au télétravail, à la nature des contrats de travail, à celle des fonctions (polyvalence), à la séparation entre travail et non travail, aux entreprises virtuelles, c'est-à-dire aux problèmes d’empiétements sur la vie privée, y compris en termes de fichier et de surveillance.
Deuxième dossier : la Sécurité sociale.
Le gouvernement et le président de la CNAMTS se félicitent de l'accroissement des dépenses de médecine de ville en 1996 (2,3 % au lieu des 2, 1 % prévus). Ils en tirent comme conclusion que c'est là l'effet positif du plan Juppé alors qu'il n'est pas encore concrètement entré en application en la matière, comme le souligne à juste titre le président de la CSMF. Intoxication donc.
Plusieurs camarades ont par ailleurs souligné l'excellent reportage sur France 3 (émission « États d'urgence »), particulièrement sur l'état de la Sécurité sociale au Royaume-Uni, où l'on se rend concrètement compte de l'avenir réservé à la Sécurité sociale française après la contre-réforme qui s'inspire fortement, dans les objectifs et la méthode, du système anglais cassé par Mme Thatcher en 1990 : objectifs comptables, passage obligé par le généraliste, filières de soins, accroissement des inégalités, recours accru aux assurances privées, etc.
Troisième dossier : Le Terrorisme.
L'UGTA et nous avons surtout pensé aux millions de travailleurs algériens, femmes et hommes, qui sont toujours les premières victimes du terrorisme et des totalitarismes dans leur chair, leurs conditions de vie et de travail, leur aspiration à la paix, à la liberté et à la démocratie. C'est là le rôle d'un syndical indépendant, ce n'est pas de porter jugement sur les positions de l'UGTA, pas plus que de porter caution au régime algérien.
Dernier dossier : le Chômage.
Malgré une baisse en décembre - mais l'on sait qu'une statistique ponctuelle n'a guère de sens - le chômage a fortement augmenté sur l'année 1996 malgré les CIE*, les exonérations de cotisations, les aides diverses et variées aux entreprises et les modifications de calculs statistiques.
Dès lors, que penser du « Sommet » à Matignon le 10 février sur l'emploi des jeunes ? Que la montagne risque à nouveau d'accoucher d'une souris et que l'espoir ne sera pas au rendez-vous.
Dans ces conditions l'espoir ne peut naître que dans la détermination des salariés à se faire respecter. C'est là que notre rôle de syndicalistes indépendants est essentiel à court, moyen et long termes. Revendiquer, négocier, agir, dire ce que l'on pense et faire ce que l'on dit.
* Le ministère du Travail évalue à 1,6 % le nombre de CIE correspondant à des créations d’emplois.
Date : 15 février 1997
Source : Force ouvrière hebdo
Message syndical à Davos
Nous fûmes plusieurs syndicalistes* à être invités à nous exprimer à Davos à l’occasion du symposium annuel, prioritairement réservé aux représentants des 1 000 plus grandes entreprises industrielles et financières au monde.
Lors de mon intervention, j'ai d'abord rappelé que nous vivons une crise, au sens de mutation, se caractérisant notamment par une révolution du temps et de l'espace.
Dans ces conditions, de deux choses l'une : ou cela se traduit par un accroissement de la division du monde, ou au contraire cette « révolution » permet de lutter contre les disparités, c'est-à-dire d'assurer l'intégration de tous les pays.
Ainsi, prenant appui sur le récent colloque-du BIT consacré aux convergences multimédia, j'ai souligné que l'ensemble des participants (employeurs - salariés - gouvernements) s'interrogeaient sur les risques de ce que nous avons fini par appeler les « infos riches » et, les « infos pauvres », c'est-à-dire les risques de distorsion entre les pays et au sein même des pays.
Deuxième constat : nous assistons à un transfert de la notion de pouvoir à celle de puissance, à savoir un transfert du politique élu vers l'économie, la finance et l'industrie.
La coexistence des deux phénomènes conduit de facto à s'interroger sur la dialectique entre le long terme et le court terme, entre la satisfaction individuelle des gens et leurs besoins collectifs, Les conséquences du ralliement constaté des pouvoirs publics au marché, qu’il soit temporaire ou définitif, donnent par définition et par conséquence directe des responsabilités accrues à l'économie et aux finances.
À la thèse du développement économique sur la seule base du marché, qui écrase les plus faibles, qui ignore les besoins collectifs, qui fait généralement preuve de myopie, Il nous faut opposer des contrepoids.
C'est ainsi, concernant les salariés, qu'il faut développer la pratique de la négociation collective ainsi que la définition et le respect de normes internationales du travail, qui constituent des éléments essentiels de loyauté de la concurrence.
Ce qui n'est pas admissible, c'est par exemple le cas d'Akaï à Honfleur, où les salariés ne savent plus qui est leur employeur.
Cela impose une nécessité de transparence qui est aujourd’hui inexistante, notamment sur le plan financier, tant au niveau national qu'international.
Ce qui n'est pas admissible, c'est que dans un secteur comme le transport routier, c'est le dumping sur le prix de transport de la tonne de fret au kilomètre qui conduit à détériorer les conditions de travail el de sécurité. En effet, puisqu'il ne peut être question de jouer sur l'amortissement du véhicule ou sur le coût du carburant, l'ajustement se fait par dumping social sur le dos du chauffeur.
C'est pourquoi une réglementation et des contrepoids sont indispensables.
D'une manière générale, pour répondre aux défis et faire en sorte qu'il n'y ait pas une réaction globalisée contre la mondialisation, il faut que l'accroissement du commerce mondial soit facteur de redistribution, y compris bien entendu de redistribution des richesses à tous les niveaux : entreprise, secteur d'activité, national, international.
Cela impose en particulier le respect des libertés d'association, la dynamisation du processus de négociation, la consolidation et le développement de normes et de conventions.
Le fait que dans un pays comme la France il y avait 400 000 chômeurs en 1975, 2 millions en 1982, 3,2 millions en 1996 et 1 million de Rmistes, signifie que nous assistons bien à une crise structurelle qui finit par remettre obligatoirement en cause les pratiques démocratiques et la structure, y compris économique, du pays.
C'est pourquoi la grande question qui se pose est celle de la justice sociale, celle de la réaffectation au social, quel que soit le mode de société dans lequel on vit.
Enfin, force est de souligner que justice sociale, liberté et démocratie sont trois nécessités pour éviter la misère, une misère qui conduit inévitablement à l'obscurantisme et aux conflits, non des conflits sociaux mais des guerres.
Aucune société ne peut vivre en oubliant que le développement impose « pain, paix, liberté ».
* CISL - FIET • AFL-CIO - DGB – COSATU.
Date : 19 février 1997
Source : Force ouvrière hebdo
Pour essayer de comprendre ce qui se passe
La « conférence nationale pour l’emploi des jeunes » ne réglera pas le problème du chômage des jeunes. Tel n’était pas l’objectif qui lui était assigné par les pouvoirs publics, qui ont d’ailleurs tenté de limiter les interventions à trois points : les « premières expériences professionnelles » (ex-stages diplômant), le nombre de contrats en alternance, un contrat d’expatriation pour les jeunes.
Dans notre intervention préliminaire que nous avons « imposée », nous avons voulu restituer le problème dans son ensemble, c’est-à-dire en abordant des questions considérées taboues comme la politique économique, le rôle de l'Etat dans une relance de l’activité, le soutien de la demande. Nous avons également rappelé les effets pervers de la flexibilité et de la précarité.
Le problème de fond c'est l'insuffisance de créations d'emplois dans le contexte national et international, où le libéralisme économique impose l’allègement continuel du coût du travail et le recul des droits sociaux.
Dans ces conditions, on ne peut qu'être dubitatif sur l'effet des mesures annoncées de concert par le gouvernement et le CNPF, mesures qui ne touchent pas aux causes mais visent plutôt à donner l'impression qu'on est conscient du problème, cc qui n'est pas dénué d'intérêts préélectoraux, d'ailleurs compréhensibles.
Trois jours après celle réunion, l'OCDE* rend publique son étude sur la France.
On y trouve à nouveau le cadrage idéologique de la politique économique et sociale suivie dans les différents pays. De telles études, qu'en d'autres temps certains auraient taxées de pensée unique, ont le mérite - sous un aspect économique el technocratique - d'avoir ce que l'on pourrait appeler le détachement voire le cynisme de la froideur, c'est-à-dire de livrer les raisons et objectifs du libéralisme économique. Voici quelques morceaux choisis :
« Depuis 1993, la progression des dépenses publiques est mieux maîtrisée grâce aux réformes de la Sécurité sociale et à la plus grande rigueur budgétaire de l'Etat. »
« Le budget de l'Etat pour 1997 gèle les dépenses en termes nominaux, ce qui implique une sensible contraction en termes réels. »
« La restructuration des banques commerciales a été sérieusement entravée par une convention collective très restrictive. »
« Le plan (de Réforme de la Sécurité sociale) prévoyait des mesures structurelles essentiellement axées sur les dépenses de soins de santé comportant notamment l’institution d’un contrôle du Parlement sur les dépenses de Sécurité sociale, la mise en place de différents mécanismes visant à assurer le respect des objectifs de dépenses fixés par le Parlement (tant au niveau des professionnels de santé que dans le secteur hospitalier).
Le succès de la Réforme dépendra dans une large mesure de la restructuration effective du secteur hospitalier. »
Nous pourrions ainsi multiplier les exemples, le rapport préconisant par ailleurs un effort supplémentaire de réduction des dépenses publiques, une réforme des régimes spéciaux de retraite, une gestion plus flexible du secteur public avec la Réforme de l’Etat, la réduction « des importants obstacles structurels qui entravent le marché du travail », notamment en matière de durée du travail, de restriction au licenciement et de SMlC.
Et de regretter le nombre insuffisant d'accords autorisant une plus grande flexibilité compensée par une réduction globale de la durée du travail.
D'une manière générale déréglementation, libéralisation et privatisation sont les trois références de l'OCDE.
Ainsi, concernant le service public, il est souligné que « la libéralisation des secteurs abrités est en cours, en grande partie du fait de l'initiative européenne de marché unique ».
C'est le cas pour les télécoms avec l'ouverture du capital et le démantèlement des derniers obstacles à la concurrence. C'est insuffisamment le cas pour le gaz et l'électricité déclarent les experts de l'OCDE.
Pour ceux-ci - les chauffeurs routiers apprécieront - « la déréglementation des services privés de transport est très avancée et ce secteur s'est bien adapté à l'évolution de la situation », ce qui n'est pas le cas pour Air France et la SNCF.
Tel est décrit, brut de fonderie, le rouleau compresseur du libéralisme qui sert aujourd'hui de boussole aux gouvernants.
D'une certaine façon ce sont des études de ce type qui permettent de comprendre ce qui se passe en France.
C'est vrai pour la Sécurité sociale, le Code du travail, l'emploi.
Ainsi expliquée, la politique économique devient transparente, elle ne se cache plus derrière des formules du type : cette réforme est nécessaire pour sauver la Sécurité sociale. On comprend bien que l'objectif est ailleurs : réduire les dépenses affectées au social.
C’est aussi ce que vient d'annoncer le ministre du Budget quand il explique que l'objectif pour le déficit budgétaire n'est pas 3 % du PIB mais ... 2 % !
Dans un tel contexte, les salariés ont deux obligations :
- avoir en permanence à l'esprit que la dimension interprofessionnelle el internationale est de plus en plus indispensable ;
- savoir que résister est le premier acte du progrès.
La République n'est pas le marché : le libéralisme économique impose le dirigisme social, c'est-à-dire une forme d'autoritarisme peu compatible avec un vrai dialogue social.
D'où la nécessité cruciale de se faire entendre et respecter.
* Organisation de coopération et de développement économiques.
Date : 26 février 1997
Source : Force ouvrière hebdo
En route vers les prud’hommes
A une époque où le vent de la flexibilité et de la déréglementation souffle en tempête, avec comme objectif avoué une normalisation à la baisse des droits des salariés, il convient à la fois de savoir résister mais aussi d’obtenir de nouvelles garanties pour les salariés.
Rien n'oblige en effet à prôner partout le même modèle, qui plus est à minima. En quelque sorte et peur prendre une image, ce n'est pas parce qu'il y a moins de soleil aux Pays-Bas qu'il faut mettre des parasols au-dessus des champs de tomates espagnols !*
Tout le monde comprend que dans une telle situation la reconnaissance des droits des salariés passe, de manière complémentaire, par l'action syndicale à tous les niveaux (de l’atelier au bureau jusqu'au plan international) sous tous ses aspects (revendiquer, négocier, agir) et dans toutes ses fonctions de représentation des intérêts des salariés : délégué du personnel – délégué syndical - comité d’entreprise - GHSCT - ASSEDIC - Sécurité sociale et prud'hommes notamment.
La spécificité des prud'hommes est qu'ils interviennent, quand il y a contentieux entre un salarié et son employeur, pour essayer, d'obtenir satisfaction et réparation.
Cela signifie que l'efficacité des conseillers prud’hommes représentant les salariés dépend de plusieurs facteurs essentiels :
1. Connaître les droits des salariés tant au plan du Code du travail que des conventions collectives.
Les candidats FO, qui depuis des décennies négocient et concluent le plus de conventions et d'accords collectifs, sont ainsi les mieux placés.
2. Savoir négocier.
Négocier efficacement nécessite des convictions, un sens du dialogue et des responsabilités, une réelle conception et pratique de l’indépendance syndicale.
Les candidats FO appartiennent à une organisation qui s’appuie et fonctionne sur le principe de l’indépendance vis-à-vis des pouvoirs publics comme des partis politiques et du patronat.
3. Connaître les procédures juridiques.
Tous les conseillers FO se perfectionnent régulièrement au travers de stages de formation et par une documentation précise, élaborée par le service juridique confédéral et les services juridiques des unions départementales et des fédérations d’industrie.
4. Savoir se faire respecter.
Les militants FO sont connus pour être des négociateurs coriaces, fondamentalement attachés à trouver un accord, mais pas n’importe quel accord et pas dans n’importe quelles conditions.
5. Une présence large dans tous les secteurs d’activités.
Force Ouvrière présentera des listes complètes dans tous les conseils de prud’hommes.
6. L’appartenance à une confédération interprofessionnelle, condition effective d’une solidarité entre tous les salariés actifs ou chômeurs, par ailleurs active au plan européen et international dans les structures syndicales (Confédération européenne des syndicats et Confédération internationale des syndicats libres) dont elle est membre fondateur ;
7. Savoir prendre en charge l’ensemble des droits collectifs et individuels, globaux et particuliers, des hommes et des femmes salariés ou au chômage, quels que soient leur âge, leur fonction, leur contrat de travail. C’est cela la solidarité.
Force Ouvrière est l’organisation syndicale la plus ouverte. La seule condition pour être adhérent est d’être salarié, en activité, en retraite ou au chômage, quelles que soient d’ailleurs les opinions politiques, philosophiques ou religieuses.
C'est le résultat de notre attachement indéfectible à l'indépendance syndicale, une indépendance qui implique par définition la tolérance au vrai sens laïque du terme.
Etre ouvert ne signifie pas pour autant être permissif.
C'est une deuxième caractéristique essentielle de FO, elle aussi liée à l'indépendance : nous sommes des voltairiens, c'est-à-dire des femmes et des hommes profondément épris de liberté, de démocratie et toujours rebelles face aux tentations d'endoctrinement.
Autant de conditions qui font de Force Ouvrière une force réelle et efficace pour tous ceux qui vivent, voudraient vivre ou ont vécu d'un travail salarié.
* Je « vole », sans scrupule, cette image à Monsieur le commissaire au plan.