Texte intégral
LUTTE OUVRIÈRE, 6 février 1998
Le grand capital profite de la crise pour créer des emplois
Il faut s’attaquer à ses profits
En ce début février, les états-majors des grands partis politiques, et même de ceux des petits qui ont accès à la mangeoire gouvernementale, ont déjà les yeux rivés sur les élections régionales qui auront lieu dans six semaines, le 15 mars prochain.
Les élections régionales ne peuvent changer ni le Gouvernement ni la majorité à l’Assemblée nationale. Mais les présidents d’assemblées régionales gèrent des sommes considérables qui les intéressent beaucoup, comme elles intéressent les sociétés qui feront des travaux pour les régions ou les départements.
C’est dire que tout ce qui compte comme personnalités politiques locales dans les départements se bouscule pour figurer sur les listes des grands partis qui peuvent emporter les présidences de régions. Et cela grenouille dans ce monde politique car, pour les états-majors, mettre tout ce monde d’accord n’est pas chose commode.
Jusqu’à présent, la majorité des régions est détenue par la droite. Le Parti socialiste espère donc récupérer bon nombre de présidences de ces assemblées régionales. Cela intéresse au premier chef Jospin qui pourra prétendre, dans ce cas, que c’est une caution de sa politique.
Mais les travailleurs, les salariés, les chômeurs, les jeunes qui vont se retrouver demain sur le marché de l’emploi, sont-ils vraiment concernés par le résultat de ces élections ?
On a déjà vu que le changement de majorité et le changement de gouvernement n’avaient rien changé d’important à la situation sociale. C’est par des grèves et des manifestations que les travailleurs menacés de licenciements collectifs doivent toujours protester. C’est par des occupations d’agences ASSEDIC et ANPE que les chômeurs ont dû essayer de se faire entendre. Dans les deux cas, le Gouvernement est resté aussi sourd que ses prédécesseurs.
Dimanche 1er février, ce sont les instituteurs qui défilaient à Paris pour protester contre la situation où pour un même travail ils sont payés à deux vitesses, situation décidée par un gouvernement socialiste du temps de Mitterrand où Jospin était ministre de l’éducation nationale et Allègre son conseiller. C’était, paraît-il, une mesure provisoire. Les socialistes sont revenus au pouvoir, mais il n’est même pas envisagé, après l’an 2000 comme pour les 35 heures, de supprimer cette injustice.
Alors, ce ne sont pas les élections régionales qui résoudront le problème crucial qui se pose aux travailleurs, c’est-à-dire le chômage. Trois millions de chômeurs, plus de deux millions d’emplois précaires ou à temps partiel imposé, c’est non seulement insupportable, mais cela fait pression sur tous les salaires.
Aujourd’hui 11 % des salariés ne gagnent que le SMIC, c’est-à-dire 5 240 F net mensuels et un certain nombre d’autres gagnent moins que le SMIC du fait du temps partiel imposé. En 1992, près d’un salarié du privé sur deux gagnait moins d’une fois et demie le SMIC. Cela ferait aujourd’hui moins de 7 900 F par mois. Mais la proportion de tels salaires a considérablement augmenté par rapport à 1992 et représente, à l’heure actuelle, bien plus de la moitié des travailleurs du privé.
Alors, qui va gérer les budgets régionaux importe peu aux travailleurs. Ce qui importe, c’est le chômage.
Pour créer des emplois et pour empêcher le patronat d’aggraver le chômage et de baisser les salaires, il faut des mesures de salut public. Il faut faire payer ceux qui ont profité de la crise, ceux qui font des plus-values boursières énormes. C’est le seul moyen de renflouer les caisses de l’État sans s’en prendre aux plus démunis et aux salariés.
Il faut interdire les licenciements collectifs, réquisitionner les grands entreprises qui font des bénéfices énormes et qui osent licencier quand même. Il faut supprimer les secrets bancaire et commercial qui permettent de cacher ces bénéfices et surtout où va l’argent et à qui.
Le Gouvernement ne le fait pas et ce ne sont pas les présidents de conseils régionaux qui le feront. Si cela doit être fait, c’est l’ensemble du monde du travail qui l’imposera !
Lutte ouvrière, 13 février 1998
Vers la semaine des 35 heures… ou vers la « flexibilité » ?
On connaît maintenant l’état du projet de loi sur les 35 heures. Après l’Assemblée nationale, il sera discuté en mars par le Sénat, et ce n’est certainement pas cette assemblée réactionnaire qui le rendra plus favorable à la classe ouvrière. Mais tel qu’il vient d’être voté à l’assemblée, par une majorité qui se dit « de gauche », ce projet comporte déjà bien des menaces pour les travailleurs. En revanche, il n’inquiète pas du tous les capitalistes, à en juger par les cours de la bourse de Paris qui continuent d’aller de records en records.
Ne travailler que 35 heures par semaine, contre 40 en 1936, ce devrait être tout simplement normal. Mais ce n’est pas cela qu’ont voté les députés. La loi prévoit seulement qu’à partir de l’an 2000 (ou 2002 pour les entreprises de moins de 20 salariés), la durée légale de la semaine de travail passera à 35 heures… les patrons restant libres de faire effectuer des heures supplémentaires. Cela signifie que pour un certain nombre de travailleurs, la nouvelle législation ne se traduira que par une augmentation d’à peine plus de 2 % des salaires (qui sera même peut-être annulée par des « compensations », telle gel des salaires ou des primes d’ancienneté).
Mais là où il y aura réellement diminution du temps de travail, le projet de loi prévoit que celle-ci pourra se faire « en tout ou partie sous forme de jours de repos ». Mais si c’est le patron qui décide des dates auxquelles ces jours de repos pourront être pris, cela signifie que les divers ponts payés de l’année, les périodes de chômage technique, seront transformés d’un coup de baguette magique en « congés », pour des travailleurs à qui leur employeur pourra imposer à d’autres périodes des heures supplémentaires.
C’est un pas important de plus vers l’annualisation du temps de travail que réclament les patrons, vers cette « flexibilité » de la main-d’œuvre qui leur permettrait d’augmenter encore leurs bénéfices, aux dépens des travailleurs dont la vie personnelle et familiale ne dépendrait que du bon plaisir de leur employeur.
Martine Aubry, le ministre du Travail, qui n’est pas à une hypocrisie près, se déclare contre la « flexibilité », qui reconnaît-elle « porte atteinte au droit du travail », mais pour la « souplesse », qui « permet aux entreprises de s’adapter au marché ». Mais pour les patrons, ce n’est pas le mot qui est important, c’est le contenu. Et la majorité gouvernementale vient de leur faire un cadeau appréciable même s’ils ne disent pas merci !
Dans sa manière de présenter son projet de loi, le gouvernement Jospin essaie de séduire à la fois l’électorat ouvrier et le patronat. Seulement, les gestes ne sont pas les mêmes d’un côté et de l’autre. Les travailleurs n’ont droit qu’aux bonnes paroles, alors que les patrons encaissent les largesses gouvernementales.
Car le projet de loi Aubry est accompagné d’incitations financières pour encourager les entreprises à réduire la durée du travail avant l’an 2000, et d’une promesse d’une réduction des charges sociales de 5 000 F par an et par salarié dans tous les cas, après l’an 2000, au nom comme d’habitude de la lutte contre le chômage.
Pourtant cela fait 25 ans que le chômage est un problème, 25 ans aussi que tous les gouvernements qui se sont succédé ont multiplié sous des formes diverses les cadeaux aux entreprises, les dégrèvements de charges sociales, sans que cela ait d’autre résultat que d’accroître le déficit de la Sécurité sociale. Et il en sera de cette loi comme des précédentes.
Mais voilà, prendre les mesures de salut public qu’impose la situation, pour empêcher des centaines de milliers de familles de glisser chaque jour un peu plus vers la pauvreté, voire la misère, cela impliquerait de prendre l’argent où il est : sur les comptes en banque des grandes sociétés capitalistes qui ont amassé des profits considérables en licenciant et en supprimant des emplois pendant des années, pour créer avec cela les innombrables emplois utiles à la collectivité qui manque dans les services publics, ou ailleurs.
Mais pour cela, il ne faut évidemment pas compter sur un gouvernement dont le ministre du Travail, Martine Aubry, a siégé à la haute direction de Péchiney, aux côtés de Gandois, l’ex-président du CNPF.
Lutte ouvrière, 20 février 1998
Ne tolérons plus les licenciements, le chômage et la misère !
Il y aura, aux élections régionales du 15 mars prochain, des listes de Lutte ouvrière.
Les travailleurs subissent toujours les licenciements et le chômage. Il n’y a pas une famille de travailleurs qui ne soit directement, ou indirectement par l’un de ses proches, touchée par le chômage, voir par la misère, y compris même en travaillant.
Subir cette situation n’est pourtant pas une fatalité !
L’État fait des économies sur le dos des travailleurs et tous les gouvernements successifs, de droite et de gauche, ont fait ces économies sur les budgets sociaux ou ceux concernant la collectivité, en entraînant la régression des services publics, l’augmentation des cotisations sociales et la diminution des prestations correspondantes. Pour ne pas augmenter les impôts sur le revenu des riches et tenir ainsi la promesse que la droite leur avait faite, on impose toujours plus d’une façon ou d’une autre les travailleurs et les retraités, alors que, pour les plus riches, il y a de multiples dégrèvements fiscaux, même pour payer leurs domestiques.
Les gouvernements de droite l’ont fait car ils sont ouvertement au service du grand patronat, des financiers et de la bourgeoisie en général.
Mais le gouvernement de la gauche dite plurielle ne fait pas mieux. Il continue les dégrèvements d’impôts pour les riches et sur les bénéfices des entreprises qui pourtant, depuis des années, n’ont cessé d’augmenter. En deux ans les cours de la Bourse, reflet de ces bénéfices, ont augmenté de plus de 60 %.
Pendant ce temps, ces grandes entreprises continuent à licencier et à embaucher que sous contrats à durée déterminée. Elles sont pourtant loin d’être en faillite et leur santé est florissante. Mais le patronat veut toujours gagner plus, même s’il doit pour cela réduire à la misère l’immense majorité de la société.
Le gouvernement Jospin, qui se dit au service des travailleurs et de la population, n’est pas capable, car il ne le veut pas de s’en prendre aux profits du grand patronat pour équilibrer le budget de l’État et pour cesser d’écraser les revenus les plus bas sous le poids des charges sociales et des impôts indirects ou nouveaux, type CSG et RDS. Dans le même temps les remboursements de la Sécurité sociale diminuent et les chômeurs sont rapidement réduits à la misère par la diminution des aides, leur récente lutte l’a d’ailleurs mis en lumière.
Sous prétexte que ce que reçoit un chômeur sans travailler ne doit pas se rapprocher de ce que touche un smicard qui travaille, le Gouvernement se dit incapable de relever les minima sociaux. Pourtant ces « minima » ne permettent pas de vivre et au moins trois millions de chômeurs y sont condamnés.
Mais n’est-ce pas plutôt le SMIC lui-même qui se rapproche trop des minima sociaux ? Et pourquoi la proportion de travailleurs payés au SMIC ne cesse-telle d’augmenter ? Sans compter que de plus en plus de salariés gagnent moins que le SMIC car ils n’ont que des emplois à temps partiel ou vont de petits boulots en petits boulots, et qu’on ne peut déjà pas vivre avec le SMIC.
Alors, il faut que le monde du travail, que les chômeurs, que les jeunes à l’avenir bouché, que les retraités dont les ressources s’amenuisent, fassent éclater leur colère.
En mai dernier, la majorité des députés et le Gouvernement ont changé. Et qu’est-ce que cela a changé pour les travailleurs et les chômeurs ? Le Gouvernement ne s’est pas engagé sur un programme de mesures radicales suffisantes pour réduire vraiment le chômage.
Il n’a su proposer que deux emplâtres : 35 heures pour dans deux ou quatre ans et 700 000 emplois « jeunes », dont 350 000 par l’État et 350 000 par le privé pour résoudre le problème des trois millions de chômeurs. Alors qu’en sept mois, moins de 50 000 emplois ont été créés, et uniquement par l’État. Mais pendant ce temps, rien que les grandes entreprises ont fabriqué bien plus de chômeurs que cela !
Le chômage total ou partiel, des revenus au-dessous du seuil de la misère pour cinq voire sept millions de travailleurs, c’est plus qu’une catastrophe sociale.
Pour faire face à cette catastrophe, il faut des mesures de salut public !
Des mesures devant lesquelles les intérêts particuliers de la bourgeoisie doivent s’effacer. C’est eux ou c’est nous ; et nous, les travailleurs, nous payons déjà depuis des années.
Des mesures de salut public, c’est :
- interdire les licenciements collectifs et réquisitionner les entreprises qui font des bénéfices et qui suppriment quand même des emplois ;
- supprimer toutes les exonérations de charges sociales et les subventions au patronat qui ne font que creuser le « trou » de la Sécurité sociale, sans créer un seul emploi ;
- relever le taux de l’impôt sur les sociétés au moins au taux de 50 % qui était son niveau jusqu’en 1981, sous Giscard (qui n’avait pourtant rien d’un ennemi des patrons !) ;
- rétablir les tranches supérieures des impôts sur le revenu ;
- imposer tous les profits boursiers ;
- créer avec l’argent ainsi récupéré les centaines de milliers d’emplois utiles qui font aujourd’hui cruellement défaut dans les services publics : éducation nationale, transports en commun, hôpitaux y compris de proximité, et construire des logements à loyer abordable et des installations collectives dans les quartiers populaires ;
- supprimer les secrets bancaire et commercial afin d’imposer la transparence sur les comptes des entreprises publiques comme privées ;
- rendre publics les comptes en banque des dirigeants des grandes sociétés et de leurs principaux actionnaires. On verrait alors d’où vient et où va l’argent et que les licenciements ne sont jamais justifiés par des raisons économiques. Ce serait en plus le seul moyen de mettre fin des scandales politico-financiers.
Faute de quoi, le seul avenir possible, c’est l’aggravation du chômage, une fraction toujours plus grande de la population réduite à la misère et au désespoir, le retour assuré de la droite aux affaires dans quelques années… on quelques mois, voire de l’extrême droite car ne pas s’en prendre aux racines du chômage serait ouvrir la porte à Le Pen.
Voter pour les listes une présente Lutte ouvrière est le seul moyen de dire cela en faisant entendre l’exigence d’une autre politique.
Lutte ouvrière, 27 février 1998
Laisser les mains libres au patronat, c’est ne rien faire contre le chômage
La campagne pour les élections régionales du 15 mars voit déjà les grands partis politiques faire assaut de mensonges.
La droite va essayer de faire croire que, si elle était au gouvernement, elle aurait pu faire… ce qu’elle n’a pas fait lorsqu’elle était a pouvoir, l’année dernière encore. Surtout lutter efficacement contre le chômage ! Elle n’a pourtant rien d’autre à proposer que baisser le coût du travail, c’est-à-dire les salaires réels, à multiplier les dégrèvements, les subventions, les commandes aux grandes entreprises, toutes choses que le patronat encaisse avec plaisir, mais qui n’ont jamais créé un seul emploi. Mais la clientèle électorale de ces gens-là est la bourgeoisie grande et petite.
Les partis du gouvernement de la « gauche plurielle », comme ils s’appellent eux-mêmes, vont essayer de convaincre les travailleurs, les chômeurs, les salariés, qu’ils vont - même si c’est à tout petits pas - dans le bon sens. Les emplois jeunes, les 35 heures sont une grande avancée sociale selon les uns et mieux que rien, pour ceux qui veulent moins mentir.
Mais les emplois jeunes, Jospin en avait promis 700 000, dont la moitié dans le privé, ce qui n’était rien par rapport aux trois millions d’emplois au moins qui manquent. Mais en neuf mois de gouvernement, on n’en a créé moins de 50 000, dont aucun dans le privé. Et pendant ce temps-là, les patrons en supprimant des emplois ont été responsables de bien plus de chômeurs que les quelques milliers de petits boulots que Jospin a créés.
Quant aux 35 heures, pour l’an 2000, voire 2002, cela permettra aux patrons d’imposer la flexibilité du travail, plus qu’à en diminuer la durée réelle.
Alors, le problème n’est pas de se demander si la politique du Gouvernement est un peu meilleure que celle de ses prédécesseurs. Le vrai problème, c’est de savoir s’il mène la politique que réclame le drame social que constitue l’existence de sept millions de travailleurs réduits au chômage total ou partiel.
Face à cette situation, il faudrait des mesures draconiennes, de véritables mesures de salut public qui fassent passer les intérêts de la société avant les intérêts particuliers de la bourgeoisie, c’est-à-dire les intérêts de la majorité de la population avant ceux d’une petite minorité de privilégiés. Il faut prendre sur les énormes bénéfices des grandes entreprises afin de créer les innombrables emplois utiles à la collectivité qui permettraient de donner un emploi à chacun.
Le gouvernement Jospin ne fait rien de tout cela, car il ne veut pas s’opposer au patronat. Il veut le consentement des patrons, et, pour cela, Jospin leur fait des cadeaux, comme ses prédécesseurs de droite.
Nous n’aurons même pas le choix, dans ces élections régionales, de voter pour le PCF qui se dit le plus à gauche de la coalition gouvernementale, puisque ses dirigeants ont choisi de ne pas présenter de listes propres dans l’immense majorité des départements, mais de se fondre dans les listes du gouvernement Jospin.
Voter pour ces listes-là, cela reviendrait à dire à Jospin, à Martin Aubry, à Strauss-Khan, qu’on approuve leur politique et qu’on leur demande de la continuer.
Alors, le seul moyen de dire qu’on est contre la politique actuelle, de se prononcer pour des mesures réellement capables de réduire le chômage, telles qu’interdire les licenciements collectifs et les suppressions d’emplois et réquisitionner les entreprises qui font des bénéfices et qui licencient quand même, c’est de voter pour les listes de Lutte ouvrière.
C’est le seul moyen de faire entendre la voix du monde du travail, de faire entendre l’exigence d’une autre politique et de censurer la politique actuelle du Gouvernement. Et contre l’extrême droite lepéniste, le vote qui comptera le plus, c’est celui pour l’extrême gauche. Plus vous serez nombreux à voter pour nos listes, plus on verra que les travailleuses et travailleurs, en activité ou au chômage, exigent que ce soient les profiteurs de la crise qui la payent.