Article de M. Valéry Giscard d'Estaing, membre du bureau politique de l'UDF, dans "L'Express" du 16 janvier 1997 et interview dans "Le Figaro" du 21 janvier, sur le débat sur la politique monétaire et la parité entre le franc et le dollar, suite à la hausse du dollar depuis 2 mois.

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Texte intégral

L’Express - 16 janvier 1997

Banque de France : c’est le moment d’agir

Le débat sur la politique monétaire de la France, lancé dans les colonnes de L’Express, il y a deux mois, a crevé l’abcès de la pensée unique en permettant d’ouvrir enfin la discussion sur la manière la plus avantageuse pour notre pays de se préparer à l’Union monétaire européenne. L’onde de choc poursuit son chemin.

À cet égard, la fin de l’année 1996 nous a apporté deux nouvelles, une bonne et une mauvaise, et une affirmation inquiétante.

Commençons par la bonne nouvelle : la prévision économique de l’OCDE pour les années 1997 et 1998 indique que nous ne sommes pas menacés par l’inflation. Les perspectives de hausse des prix en France sont de 1,3 % et de 1,4 % pour 1997 et 1998, inférieures au chiffre de 1,7 %, atteint en 1996. À condition de poursuivre une politique raisonnable, nous sommes à l’abri du risque d’inflation.

La mauvaise nouvelle concerne le chômage. Au mois de novembre, en dépit des rumeurs répandues sur la reprise économique, le nombre des chômeurs a augmenté, après le répit du mois d’octobre. Le taux de chômage publié par le ministère du travail s’élève à 12,7 % de la population active. L’OCDE prévoit qu’il augmentera encore légèrement jusqu’à la mi-1997.

Quant à l’affirmation inquiétante, c’est celle qui figure dans le communiqué de la Banque de France sur les objectifs de la politique monétaire pour 1997. On y lit que « l’objectif final du Conseil de la politique monétaire est, comme le veut la loi, la stabilité des prix ». En présentant ce communiqué, le gouverneur de la Banque de France résume la politique suivie, en 1996 : « L’objectif final de la politique monétaire, c’est-à-dire la stabilité des prix, a été respecté. »

Ainsi, au terme d’une année marquée par la montée du chômage et par la stagnation économique, le communiqué relatif aux perspectives de la politique monétaire ne fait aucune allusion – pas un seul mot ! – à la situation de l’emploi.

Ce sera, pour les observateurs du futur, une bizarrerie incompréhensible de penser qu’à un moment où notre population active était décimée par le chômage, nous avons continué à surcharger de lourdes cotisations le salaire des travailleurs peu qualifiés – cotisations que le Gouvernement commence heureusement à alléger –  et à fixer comme « objectif final » à notre politique monétaire une stabilité des prix qui n’était nullement menacée !

Oui, il était grand temps d’ouvrir le débat sur la politique monétaire de la France !

Ce débat a eu un premier effet positif : contrairement aux prévisions alarmistes, les marchés des changes ont réagi dans le bon sens. On n’a assisté à aucune tension sur les taux d’intérêt du franc, qui sont restés largement inférieurs aux taux sur le dollar et sur la livre. En revanche, le dollar s’est sensiblement apprécié par rapport au groupe des monnaies européennes, puisqu’il est passé de 5,07 à 5,32 francs, le 10 janvier, franchissant la moitié de la distance qui nous séparait de l’objectif que je proposais : un dollar dans la zone de 5,50 francs.

Ce résultat n’est pas surprenant. Les opérateurs, estimant que la croissance, trop faible en Allemagne comme en France, conduirait tôt ou tard les banques centrales à baisser leurs taux d’intervention, ont anticipé ces futures décisions. Il est satisfaisant de penser que, cette fois, c’est de France qu’est venu le signal !

Où en sommes-nous en ce début d’année ?

On peut espérer, pour 1997, une légère amélioration de la croissance, qui se situerait entre 2 %, selon les instituts spécialisés, et 2,3 %, selon le Gouvernement. Ce sera mieux que le 1,3 % de 1996. Nous entendrons les commentaires habituels sur les « frémissements » et sur les « embellies », mais, malheureusement, nous resterons encore loin du compte. Quant à notre « potentiel de croissance », l’écart se creusera par rapport à 1996. Et cette croissance ne permettra pas d’amorcer vigoureusement la réduction du chômage. Il faut viser plus haut et atteindre les 3 %.

C’est pour la Banque de France le moment d’agir. Elle dispose d’une marge de réduction importante des taux d’intérêt, située entre ses taux d’intervention actuels et le taux d’inflation, Elle a donné un premier signal, timide mais bénéfique, en décembre. Le marché l’a bien reçu ! Elle doit aller plus loin pour encourager la reprise sur deux plans : la réduction des charges financières pour les emprunteurs – particuliers ou entreprises – et la poursuite de la hausse du dollar par rapport aux monnaies européennes, qui est indispensable pour donner plus de tonus à notre économie.

Elle n’a pas besoin d’attendre le feu vert de la Bundesbank. Aussi longtemps qu’il n’existe pas de politique monétaire européenne commune, c’est-à-dire d’ici au 1er janvier 1999, il est légitime pour la France, comme pour l’Allemagne, de poursuivre une politique monétaire adaptée aux besoins de son économie nationale, tout en respectant les limites du SME. Les Allemands l’ont compris. Le président de la Bundesbank, Hans Tietmeyer, analysant la situation de l’économie allemande, concluait, sans faire référence à celle de la France : « Il n’y a pas besoin de changer actuellement notre politique de taux d’intérêt. » Nous sommes, de notre côté, fondés à dire : « Notre situation économique appelle une réduction nouvelle de nos taux d’intérêt. »

En décidant cette réduction, et en passant même, au besoin, au-dessous des taux d’intervention allemands, la Banque de France n’affaiblira pas sa crédibilité. Au contraire ! Elle montrera qu’elle est capable de donner un signal aux marchés, en s’engageant dans la direction d’une politique monétaire qui, en l’absence de toute menace sur la stabilité des prix, met en œuvre les moyens qui visent à dynamiser la croissance. Fait nouveau, ce signal sera bien perçu par bon nombre de nos partenaires allemands, qui commencent à s’interroger sur la compétitivité de leur économie et sur le danger de délocalisations massives.

Substituons à la notion ambiguë de franc fort, synonyme de monnaie condamnée à la réévaluation à perpétuité, celle de franc stable, vis-à-vis des grandes monnaies marchandes du monde.

Cela améliorera notre compétitivité.

Alors la monnaie viendra au secours de l’emploi.

 

Le Figaro - 21 janvier 1997

Le Figaro économie : En novembre dernier, vous appeliez de vos vœux une hausse du dollar. Êtes-vous satisfait par ce qui se passe actuellement sur les marchés des changes ?

Valéry Giscard d’Estaing : C’est un élément heureux, qui va apporter un soutien à notre conjoncture et permettre d’améliorer notre situation de l’emploi. Le dollar est maintenant arrivé dans la zone des 5,50 francs. Lors de mon intervention publique, le 21 novembre dernier, c’est le chiffre que j’avais proposé, considérant cette parité de 5,50 francs pour 1 dollar comme durablement souhaitable et équilibrée.

Le Figaro économie : Comment expliquez-vous que le dollar se soit réapprécié de près de 10 % en moins de deux mois ? Que s’est-il passé ?

Valéry Giscard d’Estaing : Les marchés considèrent aujourd’hui qu’ils peuvent s’attendre à un comportement plus rationnel de la part des autorités monétaires européennes. Quand ils ont vu que les discussions sur la politique monétaire prenaient de l’ampleur et que le dogme dominant dans ce domaine pouvait être réexaminé, les marchés ont commencé à reconsidérer leurs positions sur la valeur des monnaies européennes vis-à-vis du dollar.

Chacun a pu voir que le ton des responsables monétaires était en train de changer. La première fois que j’ai lancé mes propositions, il y a eu une réaction de protestation pratiquement générale de la part de toutes les autorités concernées. Puis, un mois plus tard, il a bien fallu admettre que les protestations s’étaient étouffées. Du côté de l’Allemagne, il semble qu’un changement d’état d’esprit soit intervenu. Les difficultés du marché de l’emploi sont apparues au grand jour, la conjoncture rencontre de nombreuses difficultés. La situation économique allemande a eu tendance à se détériorer ces derniers mois.

Les marchés ont donc compris alors que, tôt ou tard, les taux allemands devraient être abaissés.

Le Figaro économie : Est-il encore possible de diminuer les taux d’intérêt en France et en Allemagne ? Quelle devrait être la réaction des autorités monétaires face à la nouvelle situation qui prévaut sur les marchés des changes ?

Valéry Giscard d’Estaing : En France, nous pouvons continuer de réduire nos taux dans une marge raisonnable. Dans ces conditions, on s’apercevra que la baisse des taux d’intérêt n’entraine aucun effet déstabilisant, et que les marchés réagissent favorablement. Je crois que, à partir de là, les Allemands, voyant que tout se passe dans le calme, pourront à leur tour faire quelque chose.

Nous nous trouvions dans une situation bloquée. Nous sommes maintenant entrés dans une zone objective plus satisfaisante et conforme à nos intérêts. Il faut désormais savoir gérer celle situation.