Interview de M. Bernard Pons, ministre de l'équipement du logement des transports et du tourisme, dans "Le Journal du dimanche" du 17 novembre 1996, sur la "morosité" de l'opinion publique et de la majorité face à la politique gouvernementale.

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Média : Le Journal du Dimanche

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Pascale Amaudric : Pourquoi tout va-t-il si mal en France ?

Bernard Pons : N’exagérons rien, tout ne va pas si mal ! Les analyses objectives le montrent, mais personne, dans la morosité ambiante, n’en perçoit les bons éléments. Par exemple, la croissance qui commence à être plus forte que dans les prévisions, ou le dynamisme de nos exportations.

Pascale Amaudric : Pourquoi les « bons éléments » ne sont-ils pas perçus ?

Bernard Pons : La sinistrose ! Mais personne ne peut reprocher aux Français qui voient le chômage augmenter d’être inquiets et c’est notre souci principal. Et puis nous avons sans doute, au gouvernement, des difficultés à faire comprendre notre politique.

Pascale Amaudric : Les trente ministres ont-ils soudain perdu le don d’explication ?

Bernard Pons : Non, mais après l’euphorie de mai 1995, l’examen de la situation a montré que même les prévisions les plus pessimistes n’étaient pas à la hauteur de la réalité. La thérapeutique a été drastique, elle reste mal comprise, même dans notre propre majorité.

Pascale Amaudric : A ce niveau d’impopularité du gouvernement, peut-on encore faire des réformes.

Bernard Pons : L’impopularité n’est pas une fatalité, même quand on fait des réformes. Il faut tenir compte de tout ce qui a été fait par le gouvernement dans des domaines très différents. Ce qui accentue l’inquiétude, c’est que les réformes engagées sont des réformes de fond qui mettront longtemps à produire leurs effets. Il faut prendre le temps de les expliquer, d’écouter, de les mettre progressivement en place.

Pascale Amaudric : Le gouvernement garde-t-il assez de légitimité pour poursuivre jusqu’au bout les réformes ?

Bernard Pons : Mais de quoi parlez-vous ? Le Premier ministre a obtenu encore le mois dernier la confiance de sa majorité. Ce ne sont jamais les sondages qui créent la légitimité. Pour un gaulliste encore moins. La légitimité provient du peuple.

Pascale Amaudric : Et la rue ?

Bernard Pons : L’opinion publique joue bien sûr un rôle sur l’action du gouvernement. Mais, dans une démocratie, ce ne sont pas les mouvements de rue qui donnent ou suppriment la légitimité.

Pascale Amaudric : Le Président vous téléphone souvent. Vous lui dites que ça peut durer, ou pas durer, comme cela ?

Bernard Pons : Le Président appelle, et il appelle beaucoup de monde quand il a des questions à poser. En ce qui me concerne je réponds avec franchise mais je me garde de lui donner des conseils.

Pascale Amaudric : Durer ou ne pas durer : c’est une bonne ou une mauvaise question ?

Bernard Pons : Oui, c’est une bonne question. Si comme je le crois les signes objectifs d’amélioration se confirment, la tendance devrait s’inverser et un changement se produire dans l’opinion publique. Le premier semestre sera déterminant.

Pascale Amaudric : S’agira-t-il alors d’une question d’homme ou de ligne politique ?

Bernard Pons : Un changement d’homme ne peut jamais modifier les données de fond d’une situation. La ligne politique, c’est l’affaire du Président.

Pascale Amaudric : Vendredi la RATP était en grève. Sentez-vous une menace d’extension des conflits ?

Bernard Pons : Le gouvernement est d’une extrême vigilance et fera tout pour éviter l’engrenage stérile d’un conflit. Sur la sécurité dans les transports, les organisations syndicales ont raison de se mobiliser. Je les comprends et l’on peut faire plus.

Pascales Amaudric : Depuis quand connaissez-vous Alain Juppé ?

Bernard Pons : 1978. J’ai rencontré alors un homme cultivé, gros travailleur, une remarquable mécanique intellectuelle, une grande rigueur intellectuelle et morale, à l’époque une apparence un peu raide. Il faut bien le connaître, car il est très pudique. Son côté direct a le mérite de la franchise.

Pascale Amaudric : Cette qualité sert-elle un Premier ministre ?

Bernard Pons : Prenez la liste de tous les Premiers ministres. Matignon impose un travail colossal et complexe. Y a-t-il un profil idéal ? Je n’en sais rien. Je crois en tout cas que dans la durée la franchise paie toujours.

Pascale Amaudric : Lui conseilleriez-vous une nouvelle forme de communication ?

Bernard Pons : Les conseillers ne sont pas les payeurs… Gouverner, c’est travailler en équipe. Nous devrions tous le faire davantage et faire participer plus encore les parlementaires. Ils ne demandent qu’à être associés.

Pascale Amaudric : Même Pasqua, Léotard, Balladur ?

Bernard Pons : Mais bien sûr, et il y a mille façons de les associer. Je les connais, ils ne sont pas là à trépigner en attendant un portefeuille. Aujourd’hui, il est indispensable pour le gouvernement de ressouder sa majorité. Comme il est indispensable de rassurer les Français, de les éclairer et de les aider à retrouver de l’espérance. On ne peut leur parler seulement rigueur budgétaire, équilibre financier, etc. Le mal français est psychologique.

Pascale Amaudric : Dans la chiraquie, quel est votre rôle ? Nounou, pompier…

Bernard Pons : Plutôt, je l’espère, celui d’un sage. J’écoute, j’ai la confiance d’un grand nombre de parlementaires. Pour le Président, je crois être un fidèle parmi les fidèles et je lui parle franchement.

Pascale Armaudric : « Déconfiture » a dit Pasqua, n’y a-t-il pas du vrai quand même ?

Bernard Pons : Le mot est excessif. De la part d’un ami, cela fait mal. Mais on sait que Pasqua aime être provocateur et d’un mal peut sortir un bien.

Pascale Armaudric : Lequel ?

Bernard Pons : Eh bien précisément la nécessité d’expliquer régulièrement, calmement la situation, de montrer où sont les raisons d’espérer. Les 120 commandes fermes d’Airbus et ses effets sur l’emploi, qui en parle ? En 1997, je vais inaugurer 220 km d’autoroute et en lancer 400 nouveaux. J’ai aussi refusé l’informatisation des péages pour maintenir les emplois.

Pascale Armaudric : Allez-vous remettre des poinçonneurs dans le métro ?

Bernard Pons : Vous ne croyez pas si bien dire ! A la station République, nous venons de créer 30 emplois visant à informer, aider, sécuriser les gens (et aussi pour nettoyer). Le choix de République pour cette station pilote est tout un symbole.