Texte intégral
TF1 le 1er mars 1998
Claire Chazal : On a vu l'inquiétude des éleveurs au travers du Salon de l'Agriculture. Vous n'êtes pas toujours tendre avec les éleveurs intensifs ?
Dominique Voynet : Disons que, depuis la deuxième guerre mondiale, il y avait une sorte de contrat moral entre les agriculteurs et les pouvoirs publics. Les aides publiques importantes dont bénéficiaient les agriculteurs devaient servir à produire des aliments de qualité, à nourrir la population. Ce contrat-là est rempli. Mais cela s'est fait au détriment, d'une part, de conséquences très lourdes pour l'environnement ; et d'autre part, au détriment du nombre de paysans qui a diminué, année après année, de façon dramatique. Aujourd'hui, dans bien des régions, le nombre de jeunes qui s'installent est d'un tiers, d'un quart peut-être, de celui des paysans qui s'en vont à l'issue de leur carrière. C'est dramatique pour l'aménagement du territoire, pour l'environnement, pour la vie dans les campagnes.
Claire Chazal : Vous vous en prenez surtout aux éleveurs bretons - on connaît le problème de la pollution au lisier. Vous souhaiteriez que leurs activités soient réduites. C'est pour cela qu'ils protestaient ces jours derniers.
Dominique Voynet : On doit être conscient d'une chose : l'impact des activités humaines sur l'environnement quel qu'il soit, doit être maîtrisé ; et les pollueurs doivent être les payeurs. Les pollueurs doivent assumer les conséquences de leurs choix pour la collectivité, pas les usagers, pas les consommateurs - ce qui est aujourd'hui le cas en Bretagne. Donc, je souhaite que des pratiques moins polluantes se généralisent. La plupart des éleveurs sont très conscients de cet état de choses. Ils sont très satisfaits aussi que nos propositions permettent à nouveau d'installer des jeunes et d'utiliser les marges dont nous disposons pour permettre à de petits élevages qui n'ont pas atteint le seuil de rentabilité de s'étendre de façon modeste. Je ne souhaite pas laisser les plus gros s'étendre de façon inconsidérée au détriment de tous les autres.
Claire Chazal : Les élections régionales : les Verts ont, pour le moment, une présidence de région dans le Nord-Pas-de-Calais. Qu'est-ce vous souhaitez pour ces élections régionales : conserver cette présidence, en obtenir d'autres ? Est-ce que, si les socialistes décident de vous remplacer à la tête du Nord, est-ce que vous en ferez un casus belli ?
Dominique Voynet : Tout d'abord j'aimerais, pour ces régionales, que les gens aillent voter. Je ne suis pas encore convaincue qu'ils le feront, parce que bien des citoyens n'ont pas encore pris conscience du fait qu'il y aurait, dans deux semaines, les élections régionales. Beaucoup d'entre eux ne savent pas non plus exactement ce que fait la région : le fait que la région soit un niveau où l'on discute en priorité de l'aménagement du territoire régional, des transports régionaux, des lycées régionaux, de la formation dans la région. C'est quelque chose d'important, peut-être, un petit peu trop loin des préoccupations quotidiennes des gens pour qu'ils aient envie de s'y intéresser de plus près, et d'aller voter pour un projet régional particulier. On a encore 15 jours pour remédier à cet état de choses, pour lire les documents qui vont nous arriver dans la boîte aux lettres. Je crois qu'il faut le faire vraiment. Je crois que le jeu en vaut la chandelle.
La deuxième chose que j'aurais aimée, évidemment, c'est que la majorité plurielle soit représentée dans sa diversité et dans sa capacité à voir la complexité de notre monde avec des solutions neuves. Les Verts ont beaucoup contribué à cette rénovation de la gauche ; ils enrichissent les vieux partis de gauche d'idées nouvelles, d'arguments nouveaux, d'expériences nouvelles. C'est ce que fait M.-C. Blandin dans le Nord-Pas-de-Calais. Je ne vois aucun argument valable pour qu'elle ne continue pas l'excellent travail qu'elle a engagé il y a maintenant six ans.
Claire Chazal : Et si la gauche remporte un certain nombre de régions, est-ce que vous pensez que les Verts devraient en avoir plus qu'une ?
Dominique Voynet : Je n'aime pas spéculer, j'aime bien décider en sachant qu'elle est exactement la règle du jeu. La règle générale elle est la répartition juste des postes de responsabilité - les présidences de région, bien sûr, mais aussi les vice-présidences - ; et puis, l'établissement d'une règle du jeu qui nous permette de fonctionner pendant six ans. Ce n'est pas au président de la région de dire le bien et le mal pendant six ans ; c'est à une équipe collégiale, unie, qui travaille, qui débat, qui discute, et qui ose des solutions nouvelles pour ne pas reproduire les erreurs du passé. C'est ce qu'a fait M.-C. Blandin dans le Nord-Pas-de-Calais. S'intéresser au problème du chômage c'est bien ! Convoquer des assises pour l'emploi, avec les chefs d'entreprise, les syndicalistes, le chômeur, les administrations et les élus, c'était quelque chose de nouveau. Je suis contente qu'elle l'ait fait.
Claire Chazal : Vous êtes dans le Gouvernement de L. Jospin depuis plusieurs mois. Est-ce vous êtes heureuse ? Est-ce que vous avez le sentiment d'être libre, de pouvoir vous exprimer ? Certains autres leaders de courants écologistes considèrent, peut-être, que vous faites un peu de collaboration, en disant que vous mettez des idées dans votre poche.
Dominique Voynet : Les choses sont claires. On peut rester complètement pur en se donnant comme facilité de ne jamais prendre de responsabilités pour pouvoir critiquer librement, et on peut choisir de prendre des responsabilités pour que les choses changent, un peu, beaucoup, ou passionnément, selon les cas. J'essaye de faire que, chaque fois, nos arguments soient entendus. Et je crois que je me suis donnée, et que j'ai gagné une certaine part de liberté dans ce Gouvernement. Ce qui n'exclut pas la solidarité gouvernementale.
France 2 le 15 mars 1998
Béatrice Schönberg : Revenons sur cette journée des femmes. Si j'en crois la circulaire de L. Jospin, et au-delà de la querelle des académiciens, je dois vous appeler Madame le ministre ou Madame la ministre ?
Dominique Voynet : Madame "la", évidemment. Ça me paraît tellement simple, tellement naturel que tout le monde s'y est mis, en quelques semaines. Comme on dit maintenant : Madame la députée, et aussi Madame la préfète qui, décidément, ne va (plus) être durablement la femme du préfet, cela n'existe plus. Les femmes de préfet, elles sont avocates, elles sont médecins, elles sont professeurs, elles sont mères au foyer pour certaines d'entre elles. Mais elles ne sont certainement pas préfètes.
Béatrice Schönberg : D'un mot : cette circulaire signée aujourd'hui de la main du Premier ministre, c'est un symbole, c'est un cadeau ou c'est un gadget ?
Dominique Voynet : Ça ne peut pas être l'un ou l'autre. Ça doit être une marche de plus vers une parfaite représentation des femmes dans la vie publique, dans la vie économique, dans la vie de la cité. J'espère beaucoup la parité, très vite. Je crois que nous avons besoin d'avoir des femmes à tous les niveaux de responsabilité. Dans les élections régionales, on a vu que les choses n'étaient pas tout à fait aussi roses qu'on l'espérait. La plupart des femmes sur bien des listes sont encore vers la cinquième ou sixième place - vous savez, cette place qui n'est gagnable que si vraiment il y a une heureuse surprise lors de l'élection.
Béatrice Schönberg : Ça veut dire donc que la parité n'existe pas vraiment, puisqu'elles sont là, mais elles ne sont pas dérangeantes, elles ne seront pas en tout cas présidentes de région. Je comptais qu'il y avait quinze femmes tête de liste sur 99 départements.
Dominique Voynet : Vous savez aussi qu'il y a une seule femme qui est présidente de région : c'est M.-C. Blandin dans le Nord-Pas-de-Calais. Ça me semblerait tout à fait dommage qu'elle reste seule à la tête d'une région. Pourquoi pas une deuxième femme dans une présidence ?
Béatrice Schönberg : On ne sait même pas si elle va rester à la tête de cette région, puisqu'apparemment, elle a un concurrent socialiste qui est M. Delebarre. Vous comptez, vous, toujours faire la bataille contre M. Delebarre ?
Dominique Voynet : Bien sûr, bien sûr. Je ne vois aucun argument valable pour que M.-C. Blandin ne continue pas l'excellent travail qu'elle a fait, et en ce jour des femmes, je pense que je viens de trouver un argument supplémentaire.
Béatrice Schönberg : Dites-moi, ce ne doit pas toujours être facile de jouer entre la solidarité du Gouvernement et puis finalement vos propres aspirations. Par exemple, le mouvement des chômeurs : ils vous disaient à Besançon, vendredi : "Dominique, ne nous lâche pas".
Dominique Voynet : Je n'ai pas l'intention de les lâcher. L. Jospin nous a donné comme mission et comme priorité au Gouvernement la lutte contre le chômage et l'exclusion. J'ai bien l'intention de l'écouter, ce Premier ministre avec lequel je travaille tous les jours.
Béatrice Schönberg : Ils ont eu raison de descendre dans la rue, les chômeurs, de demander les fruits de la croissance tout de suite ?
Dominique Voynet : Je pense qu'ils ont raison de maintenir la pression pour que personne ne les oublie. Je pense aussi que leurs aspirations à une revalorisation des minima sociaux est légitime. Je crois effectivement que la croissance, une fois consolidée, tous les bénéfices de cette croissance doivent être investis d'une part pour désendetter notre pays qui souffre du poids de sa dette, mais aussi pour redistribuer une partie des richesses à ceux qui souffrent cruellement dans leur vie quotidienne.
Béatrice Schönberg : J.-P. Chevènement disait avant-hier : la campagne se traîne. A qui la faute ? Vous n'avez pas su intéresser les gens ? D'ailleurs, c'est un peu ce que disent les sondages ?
Dominique Voynet : La campagne se traîne. Je crois que c'est lié en partie au fait qu'il y a deux élections le même jour, deux élections pour des assemblées qui sont mal connues. Nous avons vraiment intérêt à faire campagne sur les contenus et donner des arguments positifs à nos électeurs. J'ai envie de leur dire deux choses : la première, c'est qu'il est vraiment important de donner à ce Gouvernement les moyens d'aller plus loin, plus vite, plus fort avec eux ; le deuxième argument que je voudrais leur donner, c'est que décidément, ces assemblées, le conseil régional, le conseil général, depuis la décentralisation, ont acquis énormément de pouvoirs. Il est fondamental pour la rénovation des lycées, pour des structures de formation, pour la vie des quartiers, pour l'emploi, pour les transports collectifs, d'avoir des majorités associant la gauche et les Verts.
Béatrice Schönberg : Une question essentielle que l'on sent surtout à ces quelques jours des élections : le vote Front national semble embarrasser la plupart des états-majors politiques. P. Séguin disait d'ailleurs qu'à l'Assemblée, il y aurait au moins 70 députés socialistes qui devraient démissionner, parce qu'ils auraient été soutenus ?
Dominique Voynet : Moi je suis absolument scandalisée par la façon dont ce thème. - qui est un thème très sérieux, très grave - est instrumentalisé par les partis. Rien ne justifie on fasse du Front national, des idées du Front national, des voix du Front national un des thèmes essentiels de la campagne. Je crois que les partis politiques et singulièrement les partis de la majorité plurielle doivent conquérir leurs électeurs en positif, sur leur programme, sur leurs projets, et pas en accusant forcément l'autre camp des pires avanies. Moi je fais le pari que la vitalité de la démocratie est à ce prix. Il faut qu'on convainque nos électeurs, pas qu'on leur montre les autres du doigt en agitant les chiffons rouges qui ne trompent plus personne.
Béatrice Schönberg : Apparemment, il y a encore du travail à faire. A travers ces élections, est-ce que les Verts comptent toucher les dividendes de leur participation au Gouvernement ?
Dominique Voynet : Les Verts ont choisi de s'engager sur les listes de la majorité plurielle. Nous aurons un certain nombre d'élus en situation de prendre des responsabilités dans les régions. Nous aurons aussi, avec nos 700 à 800 candidats aux élections cantonales, des élus dans des conseils généraux. C'est bien la preuve que la stratégie des Verts d'être actifs, créatifs et moteurs du changement au sein de la majorité plurielle était le bon choix.
A l'heure où je m'exprime, il est difficile de savoir combien de régions sont sur le point de basculer dans le camp de la majorité plurielle. Ce qui est certain, c'est qu'elles sont plusieurs, et que ça permet donc de montrer que les Français comprennent ce que fait le gouvernement de L. Jospin, et qu'ils apprécient la méthode qui prévaut à l'animation de cette majorité plurielle. Les Verts qui ont fait leur part de travail, qui participent à ces listes de la majorité plurielle auront sans doute plus de 80 élus. Ça leur permettra de peser de tout leur poids dans les politiques qui vont être menées par les régions. Dans le Nord-Pas-de-Calais, où ce travail a été encore plus intense et sans doute plus fécond qu'ailleurs, j'espère qu'il sera possible de tout faire pour que l'équipe qui a permis de tirer cette région depuis six ans continue son travail. Je continue ce soir à plaider pour que M.-C. Blandin et son équipe, avec ses partenaires de la majorité plurielle, continuent à diriger cette région. Je me réjouis en tout cas de savoir que nombreuses sont les régions qui, ce soir, basculent dans le camp du progrès humain, de l'écologie et de la solidarité.