Interview de M. Bruno Mégret, délégué général du Front national, à Europe 1 le 23 février 1998, sur l'accord entre l'ONU et l'Irak sur l'inspection des "sites présidentiels", la condamnation de M. Le Pen par le tribunal correctionnel de Versailles et la proposition d'accords locaux avec la droite à l'occasion des élections régionales.

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Circonstance : Comparution, les 19 et 20 février, de M. Jean-Marie Le Pen devant le tribunal correctionnel de Versailles pour violences contre des militants PS, le 30 mai 1997, notamment contre Mme Annette Peulvast-Bergeal, maire de Mantes-la-jolie

Média : Europe 1

Texte intégral

Marc Tronchot : L'annonce d'un accord à Bagdad, même si les Etats-Unis se réservent la possibilité de le trouver insuffisant, vous inspire quels commentaires ?

Bruno Mégret : C'est plutôt la satisfaction, bien évidemment, car je considère qu'une attaque militaire américaine sur l'Irak aurait été un véritable scandale. Il ne faut quand même perdre de vue que cette crise a été montée de toutes pièces par les Américains et que parmi les causes de ce montage, il y a à n'en pas douter la volonté du Président américain de détourner l'attention de l'opinion à la suite de ses galipettes sexuelles - ce qui, soit dit en passant, est quand même le comble du cynisme, qu'on en vienne pour des raisons de ce type à envisager froidement de faire tuer des dizaines de milliers de personnes.
 
Marc Tronchot : Ce qui fait froid dans le dos aussi, c'est la possibilité de découvrir des armes qui pourraient provoquer des cataclysmes naturels, des cataclysmes biologiques.

Bruno Mégret : Tout à fait d'accord avec vous, sauf que je ne crois pas un seul instant que l'Irak soit plus que des dizaines d'autres pays dans le monde un danger pour la paix sur notre planète. Si l'Irak avait vraiment des armes de destruction massive, comme on le dit, cela se serait vu pendant la guerre du Golfe. Ce qu'on a vu pendant la guerre du Golfe, c'est que l'Irak a été écrasé totalement et dans l'incapacité de riposter. Les quelques Scud qui sont partis ont fait en tout et pour tout deux morts, ce qui, bien sûr, est déjà beaucoup, me direz-vous, mais qui est loin quand même d'une destruction massive !

Marc Tronchot : Compte tenu de l'espoir qui se dessine en Irak, en mettant de côté les considérations partisanes, est-ce que vous trouvez quelque crédit à l'action diplomatique de la France, à l'entêtement de J. Chirac à encourager une solution diplomatique ?

Bruno Mégret : Je trouve positif que M. Chirac ne soit pas, comme la France la dernière fois, placé en situation d'être le toutou des Américains. Mais tout cela est encore bien timide. Je crois qu'il y a un vrai problème aujourd'hui dans le monde : c'est celui de l'arrogance américaine qui entend imposer sa volonté à tout le monde à tout propos. Face à cet hégémonisme américain, l'Europe, la fameuse Europe dont on nous dit qu'elle va régler tous nos problèmes, est totalement incapable de s'imposer. Elle se comporte toujours en féale des Américains. Cela, je dois dire que c'est absolument insupportable. Il est temps que l'on retrouve notre indépendance.

Marc Tronchot : S. Hussein est perçu par l'opinion française comme un chef d'Etat qu'il serait purement et simplement bon d'éliminer, si j'en crois un sondage publié aujourd'hui par Le Figaro. Expliquez-moi pourquoi le parti que vous représentez a toujours eu beaucoup de compréhension vis-à-vis de ce régime. Que trouvez-vous à S. Hussein ?

Bruno Mégret : Nous ne sommes pas des soutiens inconditionnels à S. Hussein, pas du tout. Ce que nous considérons, c'est qu'il y a des dizaines - sans doute davantage - de régimes de ce type dans le monde contre lesquels personne ne s'acharne, à commencer d'ailleurs par le régime chinois qui est d'ailleurs autrement plus totalitaire que le régime irakien. Ce qui est tout à fait anormal, c'est cette espèce d'acharnement qui passe par un blocus qui dure depuis de très nombreuses années, qui provoque des centaines de milliers de morts dans le pays, c'est totalement injustifié.

Marc Tronchot : La personnalité de S. Hussein n'a rien pour inspirer la sympathie.

Bruno Mégret : Mais nous ne sommes pas favorables à des régimes autoritaires : nous sommes des démocrates ; nous sommes des républicains. Pour autant, s'il fallait assassiner tous les dictateurs du monde, où irions-nous ? Je vous signale que S. Hussein n'est pas le seul.

Marc Tronchot : Ça ferait du travail !

Bruno Mégret : Oui, et cela ne me parait pas non plus très démocratique et républicain que d'appeler la population au meurtre, même de dirigeants étrangers contestables.

Marc Tronchot : Les militants du Front national s'étaient mobilisés samedi pour soutenir J.-M. Le Pen poursuivi devant le tribunal correctionnel de Versailles. Hier soir, P. Séguin redoutait que tout ce qui se passe ne se traduise par des gains pour le Front national. Pour parler cyniquement, ce ne serait pas du pain béni pour vous à trois semaines des régionales si J.-M. Le Pen était condamné, même s'il y a un appel qui suivra ?

Bruno Mégret : D'abord, on n'aura pas la décision avant les élections. Donc, la question ne se pose pas. En plus, c'est une question que nous ne nous posons pas : cela ne dépend pas de nous. Nous sommes en effet persécutés par une classe politique qui est prête maintenant à utiliser tous les moyens contre nous, y compris naturellement de plus en plus des moyens non-démocratiques. Utiliser la justice à des fins partisanes, c'est affaiblir la justice, la rendre inique. Je crois que c'est totalement anti-républicain, anti-démocratique. Il est possible que les Français, s'ils sont lucides, soient choqués de voir à quel point nos adversaires sont prêts aux pires extrémités pour nous combattre autrement qu'à la loyale devant les urnes et en s'en remettant au jugement des Français. Il est vrai que d'être ainsi victime de mesures totalitaires, ça inspire la sympathie de beaucoup de Français.

Marc Tronchot : Vous êtes complètement derrière J.-M. Le Pen dans cette affaire ?

Bruno Mégret : Au Front national, nous sommes tous solidaires : nous sommes un mouvement très uni parce que nous avons des convictions communes.

Marc Tronchot : La nuance n'est pas interdite, tout de même ?

Bruno Mégret : Bien sûr que non.

Marc Tronchot : On peut aussi trouver que le comportement d'un chef est critiquable.

Bruno Mégret : En l'occurrence, il ne faut pas transformer les choses : J.-M. Le Pen était l'agressé. Il s'est rendu sur un marché visiter des commerçants ; il s'est retrouvé face à une contre-manifestation qui avait été ameutée pour s'opposer à lui, pour l'empêcher de faire campagne. Si maintenant les candidats du Front national ne peuvent plus se déplacer librement pour faire campagne, s'ils ne peuvent plus tenir réunion librement, c'est une entrave non seulement aux principes fondamentaux de la liberté dans notre pays, mais aussi à la démocratie, bon sang !

Marc Tronchot : A trois semaines des régionales, un peu à la différence de J.-M. Le Pen, vous tendez toujours la main au RPR et à l'UDF, vous proposez des négociations. Si vous appelez à des négociations, c'est que vous considérez qu'il y a un dénominateur commun entre vous, le RPR et l'UDF, ne serait-ce qu'un tout petit dénominateur. Il y a quelques années, M. Pasqua parlait de valeurs communes, diriez-vous aujourd'hui qu'il y a des valeurs communes ?

Bruno Mégret : Je pense qu'au fond d'eux-mêmes - certainement pas au niveau des états-majors parisiens - au niveau local, au niveau régional, avec les sympathisants, les électeurs, les adhérents, voire les élus locaux du RER et de l'UDF, il y a beaucoup de points communs, parce que ces gens-là sont restés des patriotes. Il y a donc matière à s'entendre sur un certain nombre de sujets. Ce que j'ai dit d'ailleurs, c'est qu'il ne s'agit pas de tomber d'accord sur tout : s'ils veulent notre soutien, il faut qu'ils prennent en compte une partie de notre programme. Je pense que c'est faisable. Même sur une question comme celle de la préférence nationale, qui est aujourd'hui une question à polémiques, je rappelle qu'en 1984, les élus locaux de Paris avaient voté une mesure de préférence nationale. Ce qu'on leur demande simplement, c'est de se ressourcer un peu...

Marc Tronchot : Cette mesure avait été cassée.

Bruno Mégret : Oui, mais peu importe. Ce qu'on leur demande, c'est de se ressourcer dans ces convictions qui étaient les leurs il y a encore 20 ou 10 ans.

Marc Tronchot : Pourquoi y a-t-il une différence avec J.-M. Le Pen sur ce point ?

Bruno Mégret : Il n'y a pas de différence avec J.-M. Le Pen. J.-M. Le Pen rappelle par ailleurs, ce qui était aussi ma position, qu'il ne peut pas y avoir d'alliance de gouvernement avec le RPR et l'UDF en l'état actuel des choses pour une raison très simple : ces gens-là sont opposés aux grands principes qui sont les nôtres de défense de la nation. Ils sont pour la réforme constitutionnelle préalable au traité d'Amsterdam ; ils veulent que soit adopté le Traité d'Amsterdam. Mais le Traité d'Amsterdam, c'est le transfert de la politique de l'immigration à l'Europe, aux technocrates de Bruxelles, ce qui veut dire que ce ne seront plus les Français qui décideront qui est maître chez eux, qui peut rentrer ou résider en France. Les Français, avec ce Traité, ne sont plus maitres chez eux. Si le RPR et l'UDF sont d'accord avec cela, cela veut dire que le RPR et I'UDF rallient en quelque sorte le parti de l'étranger.

Marc Tronchot : Vous êtes plus fort au Front national que vous ne l'étiez il y a quelques années. Est-ce qu'aujourd'hui vous diriez que vous avez toute la confiance de J.-M. Le Pen ?

Bruno Mégret : Il faudrait lui poser la question, mais moi j'ai le sentiment d'avoir sa confiance car je n'ai pas vu de changements d'attitude de sa part. Je suis très fidèle dans notre mouvement. Je mène l'action que je crois devoir mener avec beaucoup d'ardeur et de conviction. Je pense avoir la confiance de J.-M. Le Pen. J'ai confiance en lui.