Déclaration de M. Hervé de Charette, ministre des affaires étrangères, et interview à Radio France internationale, sur la situation au Proche-Orient, la désignation d'un émissaire européen dans le cadre du processus de paix et la condamnation de la loi Helms-Burton, Luxembourg le 28 octobre 1996.

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Circonstance : Conseil affaires générales à Luxembourg le 28 octobre 1996

Média : Radio France Internationale

Texte intégral

Conseil Affaires générales à Luxembourg le 28 octobre 1996. Conférence de presse  

À la lumière des observations et des considérations émises par le gouvernement égyptien, les Quinze ont évoqué la situation au Proche-Orient à l'occasion du Conseil d'association euro-égyptien. C'était la troisième fois dans la semaine que je voyais le ministre des Affaires étrangères égyptien, puisque je me suis rendu en Égypte au début de la semaine personnellement. J'y étais avec le président vendredi soir et je l'ai revu ce matin.

Cet entretien était évidemment très important. J'ai été frappé par le ton grave de M. Amr Moussa et aussi par l'atmosphère également grave de l'ensemble des ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne. Nous sommes tous extrêmement sensibles à la situation telle qu'elle se présente aujourd'hui dans cette région du Proche-Orient, préoccupés par les difficultés croissantes que connaît le processus de paix et inquiets de voir que les négociations sur Hebron n'aboutissent pas : ce matin, les travaux des négociateurs ont été suspendus. L'ensemble des discussions que nous avons eues a permis de mettre en évidence, une fois de plus, le souhait d'un certain nombre de pays de cette région que la France et l'Europe soient plus actifs et plus présents dans cette région. J'ai rendu compte à mes quatorze collègues du voyage du président de la République. Vous savez que le président de la République a adressé une lettre à l'ensemble des chefs d'État et de gouvernement de l'Union européenne. Moi-même, à Beyrouth, j'avais réuni, tard dans la nuit, les ambassadeurs des pays de l'Union européenne représentés à Beyrouth pour – leur rendre compte et leur rapporter toutes informations et commentaires utiles sur les conclusions que nous tirions de cette tournée. C'est ce que j'ai fait avec mes collègues, les ministres des Affaires étrangères de l'Union européenne.

Après quoi, nous avons abordé la question de savoir si oui ou non l'Europe devait désigner un envoyé spécial au Proche-Orient. Je me réjouis très vivement que l'Union européenne, que les quinze ministres des Affaires étrangères aient décidé de nommer un envoyé spécial, M. Moratinos, de nationalité espagnole, actuellement ambassadeur d'Espagne en Israël, comme envoyé spécial de l'Union européenne. Je me réjouis que nous ayons adopté ensemble un mandat pour cet envoyé spécial qui sera chargé, dans la région, de représenter l'Union européenne et d'entreprendre toutes démarches utiles pour faciliter le retour de la paix. Je crois que c'est une très grande décision. Comme vous le savez, l'Union européenne exprime un point de vue commun, qui est constant, depuis plus de quinze ans. C'est en effet au sommet de Venise, en 1980, à l'initiative du président Giscard d'Estaing, que la position de l'Europe a été exprimée pour la première fois avec force et clarté. Ce point de vue ne s'est jamais démenti, et, une fois encore, au Sommet informel de Dublin, les chefs d'État ont confirmé leur position. On reproche souvent à l'Europe de ne pas être d'accord en matière de politique étrangère. L'Europe, depuis plus de seize ans maintenant, a exprimé sur le Proche-Orient une politique, une doctrine, un point de vue qui ne se sont jamais démentis. Mais nous venons de faire un pas supplémentaire très important en désignant un envoyé spécial qui, sur le terrain, pourra agir dans le sens de la paix. Je crois que c'est une bonne nouvelle pour l'Europe, que c'est une bonne nouvelle aussi pour le Proche-Orient et, je l'espère, pour la paix.

Nous avons aujourd'hui évoqué d'autres questions. Nous sommes en train de nous mettre d'accord sur la question de la législation miroir, sur l'affaire Helms-Burton. Il y a eu des discussions juridiques d'experts dont je vous épargnerai les subtilités, dans lesquelles j'ai du mal moi même à me plonger. Enfin l'essentiel, c'est qu'avant la fin de la journée, je crois que l'on sera tombé d'accord pour que l'Union européenne prenne les décisions pratiques qui nous permettront de disposer des moyens de riposte en cas d'application de la loi Helms-Burton par un juge américain. Ces dispositions sont évidemment très importantes. Elles marquent un très large consensus de l'Union européenne. Ce n'est pas une démarche particulièrement française. La volonté de l'Union européenne est rie, ne pas accepter les initiatives prises par un État, quel qu'il soit, en violation des règles convenu à l’Organisation mondiale du commerce.

Nous avons évoqué la situation au Zaïre. Comme vous le savez, un certain nombre de décisions ou d'initiatives et d'actions sont en route : l'envoi de l'émissaire européen, M. Ajello sur place, l'envoi d'un expert européen pour voir comment l'aide humanitaire disponible sur le terrain et l'aide humanitaire de l'Union européenne pourraient être acheminées, malgré les difficultés, vers les personnes déplacées. Nous soutenons une nouvelle fois la réunion, aussi rapide que possible, des chefs d'État ou de gouvernement des différents pays dé la région, au sein de ce qu'il est convenu d'appeler désormais la Conférence des Grands lacs, dont l'urgence nous paraît plus nécessaire que jamais. Je m'en suis entretenu hier avec Warren Christopher et j'ai constaté que lui aussi souhaitait que les parties intéressées à cette crise se réunissent le plus vite possible. Il travaille dans la même direction.

Nous avons examiné la situation en ex-Yougoslavie, non seulement pour approuver l'approche régionale mais aussi pour examiner le plan de consolidation qui a été proposé par la France et qui fera l'objet des travaux de la Conférence ministérielle qui sera réunie à Paris le 14 novembre. Je ne voudrais pas trop entrer dans le détail. Je constate qu'il y a une très grande convergence des points de vue des uns et des autres.

Enfin, le dernier sujet important que nous aurons à notre ordre du jour c'est la Conférence intergouvernementale et, notamment, le dossier sur la PESC, puisque c'est celui-là dont on va parler. Je dirai que la bonne décision que l'on vient de prendre pour désigner un envoyé spécial européen au Proche-Orient est un signe positif pour la Politique étrangère et sécurité commune. J'aurais trouvé quelque peu dérisoire que nous débattions tout à l'heure de ce que nous pouvons faire dans la Conférence intergouvernementale en la matière si, quelques instants avant, nous n'avions pas été capables de prendre une décision sur le Proche-Orient. Mais l'un ouvre la porte à l'autre. C'est, en quelque sorte, un cas expérimental qui nous pousse à mettre en avant la Politique étrangère et de sécurité commune. Et je voudrais rappeler devant vous quelle est la doctrine française. Je ne peux pas vous donner les résultats de nos travaux puisque nous n'avons pas commencé. Nous pensons qu'il est souhaitable, qu'il est important que l'Europe soit capable, sur un certain nombre de sujets – pas sur tous, et probablement pas du jour au lendemain – de définir, de parler d'une même voix, d'avoir, par conséquent, une convergence des politiques étrangères des États membres. Voilà pourquoi nous avons fait des propositions pratiques. Ces propositions pratiques s'articulent autour de deux ou trois idées simples. Premièrement, c'est aux chefs d'État et de gouvernement de définir les sujets et les objectifs à un moment donné de cette Politique étrangère et de sécurité commune. C'est ensuite aux ministres des Affaires étrangères de la mettre en œuvre et donc au Conseil Affaires générales d'en approuver et d'en mettre en œuvre les modalités. Et pour que cela soit efficace, nous souhaitons qu'une personnalité, nous l'avons appelé M. PESC, c'est un nom assez barbare il faut bien le dire, soit chargée de contribuer à la mise en pratique de cette action. Voilà pourquoi nous pensons que cette personnalité doit être une personnalité d'un niveau élevé, qu'elle doit être placée sous la responsabilité du Conseil européen et du Conseil des ministres, qu'elle doit recevoir ses mandats du Conseil européen, le cas échéant par le Conseil des ministres, et que ces décisions doivent être prises, cela va de soi, à l'unanimité puisqu'il s'agit de questions intergouvernementales. Je pense que, si l'on agit ainsi, on verra, comme on vient de le voir aujourd'hui s'agissant du Proche-Orient, que sur des sujets importants, progressivement, l'Union européenne sera en mesure de parler d'une même voix sur un certain nombre de sujets que les chefs d'État et de gouvernement auront décidé de traiter au niveau européen.

Dans cette affaire, il ne faut pas avoir d'idéal lointain, il faut avoir l'esprit pratique, l'esprit concret, reconnaître, qu'il s'agit d'affaires intergouvernementales, reconnaître aussi que ce n'est pas du jour au lendemain que l'on passera de quinze politiques étrangères à une seule politique étrangère, mais que sur des sujets importants, choisis sous la responsabilité des chefs d'État et de gouvernement, et pour un temps déterminé et en vue d'objectifs précis, il est possible de travailler la main dans la main. Voilà, l'idée est simple, elle est pratique et en même temps, si j'en juge par ce que j'ai vu depuis un an et demi, elle est ambitieuse. C'est donc ainsi que je vais parler dans quelques instants.


Q. : Pouvez-vous nous donner quelques informations supplémentaires sur le mandat qui a été donné à l'émissaire européen et, de manière pratique, comment voyez-vous son action, compte tenu du fait que ni Israël ni les États-Unis ne souhaitaient et ne souhaitent toujours que l'Europe soit associée au processus de paix ? Comment cet émissaire va-t-il pratiquement travailler ?

R. : C'est aux Européens de décider ce qu'ils doivent faire. Ensuite, notre idée n'est pas de s'asseoir à une table où on n'est pas attendu. Mais d'agir par des contacts, par le dialogue, par des propositions, par des initiatives, de façon à faciliter la recherche de la paix. Il faut que l'envoyé spécial européen soit à la fois modeste, ambitieux et actif. Contrairement à ce que peut laisser supposer votre question, je ne crois pas qu'il y ait, pour une telle démarche européenne, une attitude aussi bloquée. Je crois que l'expérience prouvera que, jour après jour, cette idée est la bonne. Pour autant, on n'est pas encore arrivé au bout de la route. Par exemple, je crois que l'Union européenne devait être un co-parrain du processus de paix. Je n'étais pas chargé de ces affaires quand ces questions ont été décidées, mais je ne peux pas manquer de trouver surprenant que l'Union européenne ne soit pas co-parrain de ce processus de paix. De toute évidence, en dehors des pays de la région, l'Union européenne est la plus directement concernée par ce qui se passe au Proche-Orient. Ne doutez pas que s'il y avait un retour de la violence, un retour du terrorisme dans cette région, cela concernerait directement l'Europe, et, la France se sent directement concernée. Voilà pourquoi, parce qu'il s'agit d'intérêts essentiels de notre pays, je serais tenté de dire d'intérêts vitaux, nous n'avons pas l'intention de nous désintéresser de cette région. Certes, la paix concerne par priorité les pays de la région. Mais cela concerne aussi un certain nombre de partenaires de la communauté internationale et en tout premier lieu l'Union européenne. Donc, il ne serait pas anormal que nous soyons aussi co-parrain du processus de paix. Ce n'est pas encore fait, mais vous verrez, cela finira par venir. A force de répéter des choses pourtant évidentes, on finira bien par trouver que cette idée est juste.

Q. : Est-ce que, dans ce mandat, cet envoyé spécial pourra se rendre à la Maison d'Orient ?

R. : Madame, ne compliquez pas les choses, elles sont déjà assez compliquées. Sur la Maison d'Orient, il y a une jurisprudence élaborée par les quinze ministres des Affaires étrangères en juillet dernier. Cette jurisprudence, jusqu'à présent, a été respectée strictement. Elle concerne les ministres des Affaires étrangères en visite officielle. Restons-en là.

Q. : Monsieur le Ministre, une question sur les mesures riposte à la loi Helms-Burton. Comment a-t-on dépassé le problème danois ?

R. : Je ne sais pas. Franchement, je n'en sais rien. Heureusement, il y a d'excellents experts juridiques, mais que ce soit sur la base de l'article A, de l'article B, de l'article C ou tout ce que vous voudrez, c'est le cadet de mes soucis. L'essentiel, c'est que l'on parvienne à une décision, car il s'agit maintenant d'une affaire politique.

Q. : Je crois qu'ils avaient un sérieux problème constitutionnel à dépasser…

R. : Ils avaient un problème juridique. On va bien finir par le résoudre. Je répète, la question est peut-être juridique, mais elle est d'abord politique. Les experts travaillent, c'est leur métier. Et ils finiront bien, avant la fin de la journée, par trouver une solution. Sinon, ce serait assez fâcheux.

Q. : Dans les discussions sur Hebron, qu'est-ce que votre envoyé spécial peut faire d'un point de vue pratique et immédiatement ?

R. : Madame, laissez-lui le temps de s'installer, peut-être d'apprendre la nouvelle, de quitter ses fonctions d'ambassadeur espagnol en Israël et puis de se fixer un programme de travail en liaison avec les ministres des Affaires étrangères auxquels il devra rendre compte de ses travaux. Mais il aura certainement des initiatives à prendre, mais, je le répète, nous continuerons à en prendre nous aussi.

Q. : Toujours sur le même sujet. À Dublin et auparavant, l’unanimité des Quinze Comportait des nuances. Plusieurs d’entre eux n’étaient pas emballés par l’idée de l’émissaire spécial. Est-ce que ces nuances se sont encore exprimées aujourd’hui ?

R. : Écoutez Monsieur, les ministres des Affaires étrangères sont des gens nuancés. Mais l’essentiel, c’est la décision. Et je crois que cette décision est une grande victoire de l’Union européenne et, si vous me permettez, c’est aussi du point de vue de la Diplomatie française un certain succès, puisque, je le rappelle, le président de la République dans tout son périple au Proche-Orient n’a cessé de dire qu’il fallait que l’Union européenne soit plus active dans cette région. Nous ne pouvons que nous en réjouir, et être enthousiastes.


Interview avec Radio France Internationale, au Luxembourg le 28 octobre 1996

Radio France Internationale : Monsieur le Ministre, pour beaucoup d'observateurs, la tournée proche-orientale de Jacques Chirac présentait d'énormes risques et vous estimez, vous, qu'il s'agit quand même d'un véritable succès pour le président français ?

Hervé de Charrette : Je crois qu'il s'agit d'un franc succès et que le président de la République française a fait une formidable percée au Proche-Orient pour lui-même, naturellement : il est devenu, je pense, l'homme le plus populaire du Proche-Orient, et pour la France. C'est une région avec laquelle la France a des relations depuis neuf siècles, ce qui est tout de même beaucoup.

Radio France Internationale : Alors, au-delà du rôle que la France peut jouer dans la région, vous insistez sur la nécessité d'une démarche européenne commune en rappelant notamment que l'Union européenne peut légitimement revendiquer à côté des États-Unis et de la Russie la position de co-parrain dans ce processus de paix ?

Hervé de Charette : Oui, je vais d'abord vous donner une bonne nouvelle. Je sors de la réunion des ministres des Affaires étrangères et nous venons de décider ensemble de désigner un envoyé spécial de l'Union européenne au Proche-Orient. Cet envoyé spécial est un diplomate espagnol de très grand talent que la France et la diplomatie française connaissent bien et apprécient. C'est une personnalité tout à fait qualifiée, en raison à la fois du fait que c'est un diplomate de la Méditerranée, donc issu de ces pays qui sont directement concernés et que c'est aussi un diplomate qui a une longue expérience des problèmes du Proche-Orient. De plus, il parle couramment français et nous avons toujours eu avec lui un dialogue excellent. Maintenant, si vous le voulez bien, revenons à la question que vous me posiez. La France et l'Europe sont directement concernées par ce qui se passe au Proche-Orient : d'abord, c'est une région que nous connaissons, flans laquelle nous avons beaucoup d'amis, que nous comprenons bien, je crois mieux que tout autre et sans doute mieux que les Américains, mais aussi parce que c'est une région vitale pour nous. Chacun comprend bien que si la violence et le terrorisme devaient revenir au Proche-Orient, personne ne serait à l'abri et certainement pas les pays de l'Union européenne et certainement pas, malheureusement, la France. Il faut donc que nous mesurions bien que là-bas, il s'agit évidemment d'un processus de paix qui intéresse les parties en présence, la Palestine et Israël d'un côté, la Syrie et le Liban et les Israéliens de l'autre, mais qui nous concerne aussi directement. Il s'agit bien des intérêts essentiels de la France et de l'Europe. Donc nous avons toutes les raisons de nous y intéresser.

Radio France Internationale : Précisément, Hervé de Charette, compte tenu de l'opposition qu'ont pu formuler les Américains et les Israéliens à une participation des Européens au processus de paix au Proche-Orient, est-ce qu'il y a une autre façon d'être présent ?

Hervé de Charette : Oui, je crois qu'il faut peut-être prendre les choses de façon moins passionnelle et moins tendue. J'ai observé, avant que le président de la République n'arrive en Israël, qu'il y a eu quelques déclarations israéliennes, notamment de la part du ministre des Affaires étrangères qui étaient assez brutales. Et en réalité, lors des conversations très directes et très franches qu'ont pu avoir ensemble le président Chirac et M. Netanyahou, par exemple, la disponibilité israélienne était plus grande qu'on ne croit. Autrement dit, il y a sans doute un peu d'inquiétude de la part des Israéliens de ce que nous pourrions faire. Mais nous voulons simplement apporter notre aide. Nous sommes les amis des uns et des autres, nous ne sommes pas les amis privilégiés d'un camp et par conséquent, les adversaires de l'autre camp. Nous sommes au milieu de la route, attentifs aux préoccupations de sécurité d'Israël, en même temps que nous sommes attentifs aux légitimes préoccupations de développement et de paix de ses voisins. Dès lors, je crois que notre contribution peut être utile. Sous quelle forme ? On verra. Je crois que là aussi, les choses évoluent pas à pas. Laissons faire au temps son œuvre. Dans cette période où l'on voit que le processus de paix va très mal, que les discussions sur Hébron ont été suspendues, je crois qu'un représentant européen, comme d'ailleurs la diplomatie française, peuvent être extrêmement utiles pour soutenir les actions et les efforts des uns et des autres, pour apporter des idées, pour faciliter le dialogue, bref, sans paraître rouler les épaules, je crois que les Européens sont très utiles.

Radio France Internationale : Au-delà du Proche-Orient, Monsieur le Ministre, il y a aussi la loi Helms-Burton, la loi D'Amato-Kennedy, la récente tournée en Afrique de votre homologue américain, autant de frictions entre l'Europe et les Etats-Unis et même de bras de fer. Est-ce que tout cela est lié uniquement à la période électorale que vivent les Américains ou est-ce que ça va plus loin ?

Hervé de Charette : Je crois qu'il ne faut pas présenter les choses comme cela si vous me le permettez. Moi, je ne ressens pas du tout que les relations entre la France et les Etats-Unis relèveraient, comme vous l'avez dit, d'un bras de fer. Pas du tout. Nous avons, avec les Américains, une relation amicale exceptionnelle. Elle est fondée sur l'histoire. Sans évoquer les mânes de Lafayette, je peux quand même rappeler que depuis un siècle, Français et Américains ont partagé les mêmes combats, pendant les deux dernières guerres, durant lesquelles nous avons eu beaucoup recours aux Etats-Unis. Depuis lors, nous avons eu beaucoup recours aux Etats-Unis. Nous avons partagé ensemble un certain nombre de valeurs, une certaine idée. Que de temps en temps, c'est vrai, sur un dossier particulier, nous ne soyons pas tout à fait en accord, c'est la vie quotidienne. Ce n'est pas parce que deux personnes ont des relations très amicales ensemble qu'elles sont d'accord sur tout. Il arrive que nous ayons des désaccords. Mais je crois que l'œuvre des diplomates et ce à quoi personnellement je m'emploie, ce n'est pas de valoriser ce qui nous sépare mais, au contraire, de valoriser ce qui nous rassemble, ce qui nous unit et puis de faire en sorte d'éviter les maladresses de langages et de faire en sorte que les conflits, les débats ou les discussions soient résolus un à un avec application, avec discrétion et avec détermination.

Radio France Internationale : Vous évoquiez, Monsieur le Ministre, il y a quelques instants, la désignation d'un envoyé spécial de l'Union européenne dans le cadre de ce processus de paix au Proche-Orient. Sans peut-être parler d'un calendrier qui n'a peut-être pas encore été arrêté, quelles seront les prochaines étapes, justement, dans le processus de paix, pour cet envoyé spécial ? Est-ce que des déplacements sont d'ores et déjà envisagés, des rencontres ?

Hervé de Charette : Je trouve déjà tout à fait remarquable que les quinze ministres des Affaires étrangères, en une heure de discussions, soient tombés d'accord sur l'idée qu'il fallait que l'Europe désigne quelqu'un, choisisse le nom de cette personnalité et lui donne son mandat. Le mandat de M. Moratinos, puisque c'est son nom, ça n'est pas d'aller s'asseoir à la table à laquelle on ne lui demande pas de venir. C'est d'être en dialogue et en contact avec les uns et les autres, avec l'ensemble des parties sur le terrain et d'apporter son concours et sa contribution. Mais la France continuera d'apporter son concours et sa contribution au processus de paix. Mais je crois que c'est bien qu'il y ait un envoyé européen : c'est une idée des chefs d'État et de gouvernement à Dublin. M. Moratinos pourra renforcer l'effort que nous menons. Franchement, à l'issue du voyage du président Chirac où celui-ci a plaidé pour un rôle accru de la France et de l'Europe dans cette région, c'est un vrai succès auquel la France a une très grande part, que de voir l'Europe s'engager dans cette voie.

Radio France Internationale : Vous évoquiez, justement, il y a quelques instants, ce voyage du président Chirac au Proche-Orient la semaine dernière. On pourrait peut-être revenir sur l'émotion également que ce déplacement a suscité au sein de la communauté juive française

Hervé de Charette : J'étais, avant de partir en Israël, à un dîner de soirée organisé par la Chambre de Commerce France-Israël présidé par notre ami Lionel Stoleru. J'ai dit à tous ceux qui étaient naturellement des membres de la communauté juive française ou des amis de celle-ci, avec insistance, combien la France est l'amie d'Israël. Elle l'est depuis toujours. Il y a eu des périodes sans doute difficiles mais je voudrais que chacun soit bien convaincu que la France est l'amie d'Israël. Nous comprenons très bien les préoccupations de sécurité d'Israël. Vous savez, je connais bien cette région et quand on la connaît bien, on sent les choses. Je me rends bien compte qu'Israël est un petit pays qui a vécu pendant de longues années avec l'impression d'être entouré, pas seulement l'impression d'ailleurs, d'adversaires qui voulaient sa perte. Maintenant, il y a le processus de paix. Alors, depuis les élections législatives en Israël, il y a un débat là-bas, je crois qu'il y a aussi un débat dans la communauté juive mondiale, et notamment dans la communauté juive française sur la question de savoir quelle doit être la bonne attitude d'Israël. Dans ce débat naturellement, je ne veux pas interférer mais je peux dire ce qu'est l'idée française. Je crois que la France est dans son rôle lorsqu'elle dit à ses amis israéliens avec la sincérité, si il le faut avec la franchise qu'autorise une réelle et profonde amitié, qu'il faut que le processus de paix se poursuive sur les bases de ce qui a été convenu entre Israéliens et Palestiniens ou entre Israéliens et Syriens au cours des mois et des années passés. La sécurité que réclame justement et à juste raison le peuple israélien, ne lui sera pas donnée par la force, mais par une paix juste et durable.

Radio France Internationale : On a l'impression, justement, que cette position française est mal perçue des Israéliens, en tout cas de l'équipe au pouvoir du Premier ministre Benyamin Netanyahou ?

Hervé de Charette : Il y a un certain écart entre telle ou telle déclaration publique que j'avais entendue avant le départ du président de la République et les conversations que le président a eues avec M. Netanyahou. Nous avons trouvé que les déclarations publiques étaient assez dures, assez difficiles d'ailleurs à entendre pour nous, alors qu'au contraire, dans le dialogue direct entre le Premier ministre israélien et le président de la République, il y avait beaucoup plus de proximité et de chaleur. Est-ce la personnalité du président Chirac, dont vous connaissez l'aptitude au dialogue et au contact et cette espèce de chaleur humaine qui est la sienne ? Sans doute. En tout cas, je ne crois pas qu'on puisse dire aujourd'hui qu'il y a un froid entre la. France et Israël. Nous avons continué à parler avec ceux que je considère comme des amis, avec lesquels le dialogue est très utile. Je vais d'ailleurs dans les heures qui viennent appeler mon collègue David Levy pour poursuivre ce dialogue et ces échanges de vues et ce travail en commun que nous faisons pour les raisons que je vous ai indiquées et aussi parce que nous avons envie d'aider les uns et les autres à retrouver le plus vite possible le chemin de la paix.

Radio France Internationale : La désignation d'un envoyé spécial de l'Union européenne peut rendre plus cohérente la diplomatie qui sera développée par la France aujourd'hui ?

Hervé de Charette : Je crois que ça contribue. Il est bien que les Européens aient marqué leurs convergences, non seulement convergences de vues mais aussi convergences pour l'action. La désignation de l'envoyé spécial européen, M. Moratinos, va renforcer l'efficacité de notre action, laquelle, bien entendu, se poursuivra avec la même détermination.

Radio France Internationale : Monsieur le Ministre des Affaires étrangères, nous vous remercierons d'avoir répondu à nos questions. Vous semblez en tout cas plus optimiste maintenant quant à la poursuite des négociations qui entourent ce processus de paix au Proche-Orient ?

Hervé de Charette : Je ne crois pas qu'on puisse dire ça, malheureusement. Je crois qu'il y a, hélas, une très grande tension dans cette région et que les dangers sont plus élevés qu'ils ne l'ont jamais été, depuis longtemps. Par contre, c'est vrai que je suis heureux de constater aujourd'hui que l'Union européenne, une fois n'est pas coutume, a fait preuve d'une capacité à décider rapidement et à prendre ses responsabilités dans une région où elle a des intérêts absolument essentiels.