Texte intégral
P. Lapousterle : Au douzième jour du conflit des routiers, A. Juppé a dit qu’il y avait urgence, hier soir. B. Pons appelle à la reprise du travail. Est-ce que le Gouvernement peut aujourd’hui imposer cette urgence aux partenaires sociaux réunis ?
D. Perben : Je vais peut-être faire une réflexion préalable. Au moment où l’on vilipende souvent l’État, j’ai observé que, dans un conflit privé entre employeurs et salariés, on se tourne depuis des semaines vers l’État pour lui demander arbitrage et décision, pour lui demander de trancher. Je souhaitais simplement le relever au passage. La question qui reste posée et qui, effectivement, n’a pas trouvé solution, c’est tout ce qui tourne autour de la définition du temps de travail dans ce métier bien particulier.
P. Lapousterle : Là, les salariés demandent des décrets.
D. Perben : Pourquoi est-ce difficile ? Parce qu’il y a une grande variété d’entreprises. Il y a de grosses entreprises dans le transport mais il y a aussi de petites entreprises qui sont très fragiles aujourd’hui, dans une ambiance de concurrence effrénée à la fois au niveau national et au niveau international. C’est la raison pour laquelle le Gouvernement préférait que la négociation permette d’aboutir à une solution parce que la négociation prend, par définition, mieux en compte les situations des uns et des autres. Mais B. Pons a indiqué qu’en dernier ressort, sur ce sujet délicat, il envisageait éventuellement de procéder par décret. Mais je crois que, ce matin, compte tenu des progrès considérables qui ont été obtenus et des résultats sur des choses qui n’avaient pas été tranchées depuis des années, il faut demander aux routiers d’être raisonnables et de faire en sorte que sans arrêter le processus de négociation qui, bien entendu, peut se poursuivre, ils laissent les Français vivre normalement et que l’économie ne soit plus ralentie. Une économie ralentie, ce sera très dur pour le transport routier en particulier.
P. Lapousterle : Les routiers demandent que les décrets soient pris ce matin. Est-ce que l’on peut accélérer la procédure, aller plus vite ?
D. Perben : Dans cette affaire, on est allé vite depuis le début et en particulier, je crois que le Gouvernement, que M. Cros, le médiateur qui avait été désigné, ont travaillé très vite et bien. Je crois qu’il faut aussi que chacun, et en particulier ceux qui ont participé aux négociations, fassent passer les messages auprès de la base. Je crois qu’il y a un problème de communication, probablement, entre les responsables et la base. C’est un exemple parmi d’autres, ce n’est pas le seul secteur.
P. Lapousterle : Le débat sur le franc a rebondi avec l’intervention de V. Giscard d’Estaing. Est-ce que M. Giscard d’Estaing était fondé à aborder ce problème et est-ce que, sur le fond, il n’a pas raison lorsqu’il dit qu’il préfère l’emploi et la croissance plutôt qu’un taux stable de monnaie ?
D. Perben : je crois que c’est comme lorsque l’on est favorable au beau temps par rapport à la pluie. Il est évident que nous sommes tous favorables à l’emploi par rapport à la monnaie. La question n’est pas là. Je voudrais faire deux observations. La première est que le débat monétaire est un débat national important. Il est légitime que chacun y participe. Je crois simplement que l’affaire a été, me semble-t-il, mal posée dans la mesure où la question qui se pose, sur un plan monétaire, n’est pas la parité franc-mark mais l’équilibre entre le dollar et les monnaies européennes. C’est un vrai débat, sur lequel d’ailleurs la France souhaite que nos voisins et amis allemands évoluent vers des positions comparables aux nôtres. Et c’est un sujet qui a déjà été évoqué entre les gouvernements français et allemand. Ça, c’est un vrai sujet pour l’avenir, pour le présent et beaucoup plus que la parité franc-mark qui, aujourd’hui, objectivement, ne paraît pas devoir être remise en cause.
Deuxième observation : il y a le dit et le non-dit. Je ne parle pas pour V. Giscard d’Estaing mais pour, par exemple, ceux que j’ai entendu applaudir à certaines parties de son discours. Le dit, c’est le débat technique sur la monnaie. Et puis, il y a le non-dit ! Le non-dit, c’est au fond la résurgence, dans les partis de la majorité comme dans une partie de l’opposition, d’une opposition assez fondamentale entre d’une part la vraie construction européenne et d’autre part, une espèce de refus implicite ou explicite à ce qu’est l’évolution économique depuis un certain nombre d’année, c’est-à-dire la mondialisation de l’économie, l’ouverture de l’économie française, le fait que le quart de notre produit national soit exporté et donc aussi importé.
Eh bien, tout cela est une évolution qui, au fond, est refusée par une partie de l’opinion et une partie de la classe politique. C’est un vrai débat car je crois que c’est une erreur. Nous sommes dans un mouvement qui est irréversible, qui est le résultat de choix qui ont été faits pendant une vingtaine d’années mais à partir du moment où on y est, cela implique une politique financière rigoureuse comme le font tous les grands pays du monde occidental et d’autre part, nous avons un choix politique à faire. C’est ce qu’a rappelé A. Juppé, l’autre soir. L’affaire de l’euro, ce n’est pas une affaire technique mais politique. La question est de savoir si, oui ou non, on veut faire définitivement l’Europe dans ce contexte international. Et c’est cela, le vrai débat, et c’est ce que j’appelle le non-dit. »
P. Lapousterle : Quel a été votre sentiment, vous qui êtes un responsable éminent du RPR, quand vous avez vu que l’immense majorité des députés du RPR ont applaudi M. Giscard d’Estaing qui venait d’attaquer vivement le président du RPR et le Premier ministre, A. Juppé ?
D. Perben : L’immense majorité, je ne sais pas ? C’est ce que je viens de dire. Cette affaire européenne, même si le débat apparent est un débat monétaire, a en réalité fait ressortir ce fond d’hostilité. Ce qui m’étonne, c’est la distribution des rôles : je me souviens des grands discours de Giscard sur l’Europe, l’amitié avec Schmidt, et puis finalement, un discours qui, volontairement ou involontairement, je ne sais, fait ressortir tout un fond très anti-européen.
P. Lapousterle : Est-ce qu’avec les perturbations actuelles, M. Perben, il vous semble que le Président de la République devrait intervenir ?
D. Perben : Je crois que, sur les affaires monétaires qui sont au cœur du choix politique, il est bien évident qu’à l’occasion, le Président de la République interviendra.
P. Lapousterle : Mais « à l’occasion » : vous ne pensez pas que cela devient urgent ?
D. Perben : Je crois qu’il y a un contact dans les prochaines heures avec le Chancelier allemand. Il y a un sommet franco-allemand, la semaine prochaine. Je crois que ce sont des occasions où l’on peut parler des questions monétaires.
P. Lapousterle : C’est le vingtième anniversaire du RPR, dimanche. Est-ce que ce n’est pas un peu morose comme anniversaire avec des sondages en vrille, avec la majorité divisée ?
D. Perben : Ne présentons pas une situation aussi catastrophique ! Les sondages ne sont pas bons mais ils ne sont pas bons mais ils ne sont pas quand même en vrille. Vous savez, au RPR, c’est un peu une des caractéristiques, nous savons faire face. Nous avons connu des moments difficiles et nous avons aussi réagir. Je crois que ce sera l’occasion, dimanche, de se rassembler. Je crois qu’il y a nécessité. Le faire dans des manifestations régionales, c’est une bonne chose. Je vais prendre ma part à cette affaire à Dijon avec R. Poujade. Et puis, ce sera l’occasion, bien sûr, de faire le point sur le passé, le chemin qui a été parcouru en vingt ans et ce n’est pas si mal. Le Président de la République est RPR, Matignon, les positions du RPR sont renforcées sur l’ensemble du territoire français à travers l’Assemblée nationale mais aussi les collectivités territoriales. Et ce sera aussi l’occasion de faire le point sur l’avenir et de parler du grand rendez-vous de 1998 que nous devons maintenant préparer activement au niveau politique.
P. Lapousterle : Pensez-vous que le RPR marchera d’un même pas dans les semaines à venir ?
D. Perben : Il faut que l’on en débatte. Dans les moments difficiles, en général, les gens du RPR se rassemblent.