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HEC Hommes et Commerce : Comment se prépare et se décide un changement important en politique étrangère ?
Hervé de Charette : Dans les institutions de la Ve République, le ministre n’est pas seul à en décider. Tout se fait en symbiose avec le Président de la République, mais aussi avec le Premier ministre. Dans la plupart des cas, c’est le président qui donne les instructions après m’avoir entretenu de ses intentions. C’est du dialogue entre nous que naît telle ou telle décision.
HEC Hommes et Commerce : Quel est l’aspect le plus intéressant de votre fonction actuelle ?
Hervé de Charette : La diversité. Vous n’avez pas idée de l’incroyable complexité des situations internationales ni de la vitesse de réaction qui doit être la nôtre. Il y a des positions de principe, des lignes stratégiques, et puis il y a tout ce qui n’était pas prévu. Pas de routine, ni de temps mort, chaque configuration nouvelle est un défi. A moi de le relever.
HEC Hommes et Commerce : Par quoi souhaiteriez-vous marquer votre passage dans ce ministère ?
Hervé de Charette : Je sais bien que ce langage peut faire sourire les sceptiques et les cyniques, mais ça m’est égal : mon souci, c’est le rayonnement de la France. Non pas au nom d’une grandeur mythique, mais au titre d’une nation qui place son action à la hauteur de ses convictions. Je crois tout dire en vous citant l’exemple du Liban. Face à une crise majeure, et confrontés aux ambitions du géant américain, nous avons tenu bon et fait valoir notre point de vue. C’est la preuve que la France existe sur la scène internationale et qu’elle représente une voix que beaucoup de pays souhaitent entendre beaucoup plus fort. Dans les mois qui viennent, on verra encore la France au service de la paix, de la justice et des Droits de l’Homme. Tel est mon objectif.
HEC Hommes et Commerce : Ambassades et consulats sont autant d’extensions de votre ministère à l’étranger. Comment maintient-on la cohérence d’un réseau aussi étendu ? Et quels changements la rigueur budgétaire exige-t-elle en la matière ?
Hervé de Charette : Pour ce qui est de nos ambassades et consulats, je n’ai aucune inquiétude. La France a mis sur pied, depuis des siècles, une excellente administration qui fonctionne particulièrement bien. Le ministre doit simplement donner des instructions claires et nettes, et savoir décider à temps : les diplomates sont des gens de qualité qui connaissent parfaitement leur métier. Quant à l’aspect budgétaire, il est bien connu, par les temps qui courent, qu’il faut défendre âprement son dossier. C’est ce que je fais. En dépit de quelques fermetures de consulats, le cap est maintenu. La France ne sacrifiera pas sa présence à l’étranger. Le Président de la République y tient tout particulièrement.
HEC Hommes et Commerce : Vous avez l’expérience d’autres ministères : le Plan, la fonction publique, le logement. Celui des affaires étrangères constitue-t-il un cas à part ? Et le fait de gérer une partie du domaine réservé du Président de la République implique-t-il un fonctionnement spécifique ?
Hervé de Charette : Par définition, le ministre des affaires étrangères doit faire preuve de diplomatie ! La grande différence entre ma fonction actuelle et les précédentes réside dans la multiplicité des facteurs et des acteurs. Ce n’est pas un portefeuille « technique », mais véritablement politique au sens noble du terme. Stratégique même. Au logement, je pouvais voir les différents protagonistes, patronaux ou syndicaux, quad bon me semblait, afin de prévenir les crises. Au quai d’Orsay, mes « partenaires » sont disséminés à travers le monde, et ils ne me préviennent guère lorsqu’ils décident, par exemple, d’entrer en guerre. Quant aux fameux « domaine réservé », j’ai la chance de m’entendre particulièrement bien avec Jacques Chirac. S’il en était autrement, me direz-vous, ma tâche serait de toute façon impossible. Ni lui ni moi ne concevons les affaires étrangères comme un « domaine réservé ». Pour ce qui me concerne, les prérogatives du président sont plus qu’une évidence. Or la grande qualité de Jacques Chirac est d’associer ceux qui travaillent avec lui. C’est un partenariat dont il est le patron mais dans lequel il me fait une vraie confiance. Une sorte de « joint-venture », dirait-on à HEC…
HEC Hommes et Commerce : Au retour de deux voyages récents en Asie, vous avez déclaré que ce continent serait la « nouvelle frontière » pour la diplomatie française. Comment la France doit-elle se préparer pour relever ce défi ?
Hervé de Charette : Avec Jacques Chirac, la France fait de l’Asie une priorité. La richesse de ce continent progresse à un rythme de 10 % l’an, contre 4 % pour les États-Unis, et 2 % pour l’Europe. Il ne faut pas craindre les Asiatiques et tenter d’ériger des barrières. Il faut, au contraire, aller au-devant d’eux. Eux aussi ont des besoins et des faiblesses. Chaque année, deux millions de Chinois accèdent à un niveau de consommation occidental. Nous pouvons répondre à leurs attentes, forts de notre savoir-faire et de notre technologie. A condition de faire preuve d’esprit d’adaptation, de volonté de réformes et d’une vraie capacité de mobilisation. Or soyons honnêtes, nous avons encore peur des marchés émergents, et nous éprouvons comme le sentiment d’être assiégés, voire agressés. C’est là, à mon avis, que l’Union européenne est une force irremplaçable. En unissant nos efforts à ceux de nos principaux partenaires, nous sommes sûrs de gagner. Voilà la bonne direction.
HEC Hommes et Commerce : Vous avez souhaité donner à votre ministère une plus forte coloration économique. Comment se traduit cette volonté ? Votre formation d’HEC a-t-elle influencé cette orientation ?
Hervé de Charette : Je crois avoir démontré, notamment à travers mes déplacements en Asie, en compagnie de nombreux chefs d’entreprise, que j’entendais bien donner à la diplomatie française un véritable but de conquête économique. Je dois sans doute à HEC cette culture et ce souci qui, avouons-le, nous ont plutôt fait défaut jusqu’ici.
HEC Hommes et Commerce : Dans ce domaine de la présence économique de la France à l’étranger, quelles sont les priorités ? Et où en sont vos projets d’intégration de la fonction économique extérieure de votre ministère ?
Hervé de Charette : La priorité, je le répète, c’est l’Asie. Pour le reste, faire bouger l’administration n’est pas chose facile, même pour un HEC. Mais je m’y emploie, et je vous annoncerai bientôt des mesures concrètes.
HEC Hommes et Commerce : Lors de vos déplacements, vous étiez accompagné d’une importante délégation patronale. Comment ce genre d’opération se décide-t-il ?
Hervé de Charette : Il y a déjà longtemps que les patrons accompagnent les ministres des affaires étrangères, mais tout dépend du but. Ce qui est nouveau, c’est que les affaires étrangères exercent désormais une véritable diplomatie économique de partenariat, dans laquelle le ministre discute de contrats avec les chefs d’entreprise concernés et tente de lever les différents obstacles existants. C’est toute une administration au service de la croissance et de l’emploi.
HEC Hommes et Commerce : Comment se déroulent, au quotidien, ces relations avec le monde des affaires. Le fait d’être HEC vous facilite-t-il les choses ?
Hervé de Charette : Indiscutablement, le fait d’être HEC ouvre bien des portes. Je vois de chefs d’entreprise de façon extrêmement régulière, autant que je vois des diplomates. Ils sont pour moi des partenaires à part entière, des acteurs du concert international. Ma qualité d’ancien HEC me permet de me sentir parfaitement en phase avec eux, si ce n’est d’en connaître personnellement certains depuis les bancs de l’école.