Article de M. Jacques Barrot, ministre du travail et des affaires sociales, dans "Education économie" de décembre 1996, intitulé "La formation tout au long de la vie", sur le renouveau des dispositifs d'alternance et de formation continue et le projet de système national de validation des compétences.

Prononcé le 1er décembre 1996

Intervenant(s) : 

Média : Education Economie

Texte intégral

Face à la mondialisation, aux défis économiques et technologiques, aux turbulences du paysage, les hommes ont besoin d’être rassurés et fortifiés.

Ces hommes et ces femmes aujourd’hui comme hier et comme demain, sont par leur initiative et leur énergie créatrice, la force motrice du développement. C’est pourquoi la formation est au cœur de notre projet de société. Mais de quelle formation s’agit-il à l’aube du 21e siècle et quels moyens devons-nous mettre en œuvre ?

Quelle formation ?

Le niveau général de formation augmente régulièrement : 68 % d’une tranche d’âge obtiennent actuellement le baccalauréat contre 35 % il y a quinze ans. Mais la qualification d’un individu n’est pas forcément fondée sur la durée de études BAC + 2, + 3, + 4 etc. chacun essaie de mettre toutes les chances de son côté. Si bien qu’aujourd’hui les Français battent des records de scolarité : 47 % d’entre eux sont encore scolarisés à 21 ans alors qu’ils ne sont que 30 % dans les nations comparables. Or la formation générale n’entraîne pas automatiquement l’adaptation à l’emploi.

Il y a plus de deux siècles, lorsqu’en avril 1792. CONDORCET soumettait à l’Assemblée législative son rapport sur « l’instruction publique », c’est-à-dire la future éducation nationale, il insistait sur la nécessité de prolonger la formation initiale de l’homme et du citoyen, de l’individu « éclairé », par une application pratique de ces connaissances, par leur entretien et leur développement, à l’âge adulte, autrement dit par la permanence de la formation. Il écrivait : « l’instruction ne doit pas abandonner les individus au moment où ils sortent des écoles, elle doit embrasser tous les âges (…) la possibilité d’une première formation manque moins que celle d’en conserver les avantages ».

Dans les faits, la formation professionnelle et continue est longtemps restée dans l’ombre du système éducatif, avec la tradition de l’apprentissage. Puis l’accord interprofessionnel du 9 juillet 1970 et la loi du 16 juillet 1971 ont consacré l’existence pleine et entière de la « formation professionnelle continue ».

Vingt-cinq ans plus tard, cette formation continue est pleinement reconnue. Elle a trouvé sa place tant sur le plan pédagogique, c’est-à-dire dans l’acquisition de savoirs et de compétences, que sur le plan social, en tant que champ de négociation collective et outil approprié par les entreprises et les partenaires sociaux. Le processus de décentralisation opéré, pour l’essentiel au profit des régions, a renforcé encore le développement de la formation professionnelle.

Les signes tangibles de cette maturité du système sont bien connus :
    - dans leur majorité, les entreprises considèrent aujourd’hui que l’effort de formation est une condition de leur performance ;
    - près d’un salarié sur trois bénéficie chaque année d’une formation : les dépenses du plan de formation s’élèvent à 40 milliards de francs et représente environ trois fois le montant de l’obligation légale ;
    - les demandeurs d’emploi ont eux aussi un large accès à la formation : plus de 600 000 d’entre eux suivent une action d’insertion ou de conversion financée par l’État.

Globalement, 28 milliards de francs sont sacrés à la formation des chômeurs, presque autant qu’à celle des actifs dans l’emploi.

Après une longue période de stagnation, le volume des formations des jeunes en apprentissage et en alternance a connu une croissance marquée. Il concerne 450 000 jeunes.

L’évolution semble irréversible : les dépenses totales de formation professionnelle correspondant à 15 % du PIB contre 0,4 % il y a vingt ans.

Mais aujourd’hui où le monde change, le travail change. La formation professionnelle a besoin d’un nouvel élan et d’une anticipation sur le futur. Il s’agit de répondre à de nouveaux défis, à des transformations durables.

C’est pourquoi nous avons entrepris une véritable refonte du système.

Beaucoup plus qu’une réforme ou qu’une rénovation, c’est une refondation de notre formation professionnelle dans un double objectif : mieux accueillir les jeunes et plus vite sur le marché du travail. Et donner à chacun toutes ses chances d’adaptation en ouvrant la formation tout au long de la vie.

Le chantier est immense. Il a été ouvert par la mission confiée il y a un an à Michel de Virville. Secrétaire général du groupe Renault qui a réfléchi avec les meilleurs experts et dans une large concertation. Le dialogue se poursuit aujourd’hui avec tous les acteurs de la formation, les formateurs bien sûr, publics et privés, les partenaires sociaux, les chambres consulaires et les régions. Début 1997, un projet de loi sera mis au point et soumis au conseil des ministres. Il ne s’agit pas de bâtir un nouvel édifice dans la précipitation, mais dans la concertation. Une part capitale doit revenir à la négociation interprofessionnelle entre les partenaires sociaux.

Quels sont les moyens de la réforme ?

Le renouveau de la formation professionnelle représente un triple chantier.

Un dispositif puissant de formation en alternance.

À côté de l’enseignement général et de l’enseignement technique et professionnel, il faut développer l’enseignement d’alternance, avec l’entreprise.

Cet enseignement spécifique existe déjà sous la forme de l’apprentissage, complétée depuis une décennie par les contrats d’alternance, gérés par les partenaires sociaux.

Ces deux systèmes doivent se développer vigoureusement et en complémentarité, chacun gardant sa spécificité.

Si l’on veut éviter la dérive d’une insatiable « soif d’études » et offrir aux jeunes une véritable chance d’insertion.

Il faut en effet que l’alternance et l’apprentissage atteignent une masse critique et une crédibilité suffisante.

Il s’agit de confirmer le renouveau de l’alternance observé ces derniers mois, tout en stabilisant le dispositif : le système doit engranger les effets positifs de la réforme de la collecte des fonds de l’alternance et des nouvelles modalités de financement de l’apprentissage, sans engager les nouvelles réformes sur la collecte de l’apprentissage elle-même.

Ce nouvel élan suppose d’explorer quelques pistes nouvelles : l’ouverture possible des contrats de qualification à certains adultes, demandeurs d’emplois en particulier, une utilisation plus efficace des fonds de l’alternance, avec un objectif de 80 000 contrats supplémentaires en 1997 : une étude enfin sur la simplification des statuts des deux contrats.

Tout cela demande un engagement fort de tous les partenaires de la formation.

La formation tout au long de la vie.

La loi de 1971 a créé une obligation pour l’entreprise de consacrer un effort financier à la formation. Aujourd’hui, cet effort financier doit être mis au service du droit personnalisé de chacun à entretenir et développer le savoir-faire tout au long de la vie. C’est un droit qui doit bien sûr rencontrer l’intérêt de l’entreprise mais qui ne s’y réduit pas.

Cela signifie qu’il faudra permettre aux salariés, même quand ils changent d’entreprise, de capitaliser année par année des droits à la formation. C’est le compte épargne-temps-formation.

Chaque salarié bénéficierait d’une sorte de réserve de temps, d’une durée annuelle à négocier et cumulable sur plusieurs années : cette réserve serait mobilisable après entente avec employer pour toute action de promotion, de conversion ou d’approfondissement de son parcours professionnel. Les modalités de mise en place de ce compte épargne temps-formation sont à discuter avec les partenaires sociaux mais il s’agit là d’une avancée importante pour le développement d’un accès individuel à la formation qualifiante. Il y a déjà des expériences dans un certain nombre d’entreprises.

La formation continue n’a été jusqu’à présent ni valorisée, ni valorisante. Elle deviendrait ainsi un levier de promotion ou d’adaptation pour une deuxième carrière ou une deuxième chance.

Un système national de validation des compétences.

Il n’y a pas de formation professionnelle efficace sans une méthode souple et adaptable de reconnaissance des compétences.

Un système de validation des acquis, quel que soit son mode d’acquisition, formation initiale et continu, expérience professionnelle et même personnelle, doit constituer une sorte de portefeuille des acquis reconnu, un passeport de compétences. C’est à première vue, une œuvre de longue haleine. Cependant, elle doit s’appuyer sur ce qui existe déjà : certaines branches professionnelles ont engagé la construction de dispositifs de reconnaissance des qualifications : de longue date, l’éducation nationale a développé des outils techniques reliant les diplômes aux acquis en cours de vie et elle s’oriente vers des diplômes « en pièces détachées » : enfin, des répertoires structurés des métiers, des spécialités, des aptitudes requises par type d’emploi, sont disponibles.

Il s’agit de mettre en place des indicateurs simples et capitalisables, correspondant aux compétences professionnelles identifiables, qu’elles soient ou non spécifiques à un domaine professionnel.

Toutes les formes d’acquisition y seraient intégrées, de la formation initialement reçue à l’expérience professionnelle, en passant par les formations continues.

C’est bien cela, la formation tout au long de la vie : la reconnaissance du savoir-faire toujours perfectible de l’individu.

C’est une idée qui nous est familière mais dont la mise en œuvre bouscule nos habitudes et nos cheminements. Mais c’est ce prix que nous rendrons aux hommes de confiance dans le travail. Au 21e siècle la sécurité de l’emploi ne sera plus statique, mais dynamique. Elle sera dans l’adaptation à l’emploi. C’est pourquoi la formation est d’une certaine manière la clé du futur.