Texte intégral
L’Express : Pourquoi les Irakiens vivent-ils, à vos yeux, sous tutelle américaine ?
Jean-Pierre Chevènement : Leurs pays est encagé, enclavé. Avec la résolution « Pétrole contre nourriture », les Américains ne laissent passer que l’équivalent de 6 dollars – 33 francs – par tête et par mois. Eux voient avant tout l’enjeu pétrolier. L’Irak selon Washington ? Une réserve d’or noir – la deuxième du monde – et une réserve d’indiens : on leur tape dessus quand les sondages baissent.
L’Express : Quel est l’intérêt de la France ?
Jean-Pierre Chevènement : Entretenir, comme hier, avec l’Irak, pays potentiellement riche, un niveau élevé de relations. On ne peut maltraiter ainsi une nation de 20 millions d’hommes sans encourir de terribles catastrophes. Si on voulait faire de l’Irak une république islamique, on ne s’y prendrait pas autrement. Bagdad a été payé et armé pour offrir une autre voie d’avenir aux peuples arabo-musulmans. L’écraser, c’est aussi favoriser l’essor de l’intégrisme en Algérie, en Égypte, en Afghanistan. La France, gardons-nous de l’oublier, n’est qu’à 800 kilomètres du monde arabe.
L’Express : Que vous inspire l’activisme pro-irakien du Front national ?
Jean-Pierre Chevènement : Si la gauche est assez lamentable pour laisser l’extrême droite la mettre en contradiction avec ses principes, je le regrette profondément. On offre ainsi un boulevard à des gens comme Le Pen. Sa motivation ? Il demeure plus antijuif qu’anti-arabe…
J’agis, quant à moi, en fonction d’autres critères. Le traitement injuste et criminel de l’Irak – 1 million de morts en six ans, victimes d’un embargo décrété par le Conseil de sécurité des Nations unies : voilà qui doit interpeller tout citoyen, de gauche ou pas.
L’Express : À quoi a servi votre démission ?
Jean-Pierre Chevènement : Peut-être se souviendra-t-on que, parmi les dirigeants de l’époque, il en est un qui a refusé de s’associer à une erreur grave. J’espère avoir promu ainsi, dans l’intérêt de mon pays, une conception plus équitable des rapports entre l’Europe et le monde arabe.