Interview de M. Christian Sautter, ministre de l'économie, des finances et de l'industrie, à RTL le 26 novembre 1999, sur le recouvrement de l'impôt en Corse, la politique budgétaire compte tenu des perspectives de croissance et la préparation de la négociation de l'OMC.

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Média : Emission L'Invité de RTL - RTL

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Q - La trésorerie principale et le centre des impôts d'Ajaccio étaient visés par les alertes à la bombe. Au-delà des polémiques de ces derniers jours, et surtout de l'indignation que suscite ce type d'attentats, peut-on dire qu'il y a un retour de l'Etat de droit en Corse pour tout ce qui concerne le domaine fiscal ?

– « Depuis l'assassinat du préfet Erignac, et même un peu avant, j'avais fait un effort pour que les Corses redeviennent des contribuables dans la moyenne du pays et je crois que ce résultat a été atteint. »

Q - On paye autant les impôts en Corse que dans le reste du territoire français ?

– « Les entreprises paient autant les impôts et les contribuables, les particuliers, ont rejoint à peu près la moyenne nationale. Donc lorsqu'on leur demande de payer des impôts, les Corses sont des contribuables comme les autres. »

Q - Il y avait aussi une polémique sur les questions d'héritage ?

– « Les droits de succession ont été rétablis par le Parlement l'an dernier. J'ai proposé mardi, à l'Assemblée territoriale de Corse, des modalités pour mettre en place ce rétablissement des droits de succession, qui tiennent compte des difficultés qui existent en Corse – par exemple, le fait que beaucoup de biens soient possédés en indivision. Je crois que j'ai proposé des modalités qui sont dans le droit national, et qui en même temps tiennent compte de la situation locale. »

Q - La concertation peut-elle continuer dans ce climat sinistre ?

– « Oui, je crois qu'il faut parler avec l'Assemblée territoriale. Par exemple, dans le domaine du développement économique, le Gouvernement a annoncé des sommes importantes pour le développement des infrastructures, des écoles, des routes, de chemins de fer. Ce sont les contrats de plan pour la période de 2000 à 2006. Et dans l'enveloppe de 120 milliards de francs, très importante, la Corse a une belle part parce que le Gouvernement fait le pari, avec la population corse, de la croissance et de l'emploi. »

Q - Vous arrivez au ministère de l'Economie et des Finances à un moment où l'Insee et la Commission européenne publient des chiffres mirifiques sur la croissance. Cela va-t-il vous inciter à revoir vos prévisions pour l'an 2000 – vous étiez modeste avec 2,3 % de croissance seulement – ?

– « Nous prévoyons effectivement 2,3 %. Je pense que, grâce au dynamisme des consommateurs – on le voit avant Noël –, grâce au dynamisme des entreprises – qui investissent beaucoup et qui rattrapent un retard accumulé entre 1990 et 1997 –, je pense donc qu'on va peut-être atteindre le chiffre primitivement prévu il y a un an, soit 2,7 %. La différence, ce sont des emplois de plus. »

Q - Justement, cette embellie va relancer encore, plus que jamais, le débat sur le partage des fruits de la croissance. Allez-vous continuer à mettre l'accent, comme vous l'aviez prévu pour l'an 2000, sur la réduction des impôts ou bien au contraire tenir compte aussi des dépenses supplémentaires que pourraient occasionner par exemple les 35 heures dans la fonction publique ?

– « Pour l'an prochain, nous avons fait le pari de la stabilité des dépenses de l'Etat compte tenu de la hausse des prix qui sera faible. »

Q - Cela ne change rien…

– « Cela ne change rien. J'étais hier soir, au début du débat avec le Sénat sur le budget de l'an prochain. Stabilité de la dépense publique, et ce qui vient de la croissance est consacré pour l'essentiel à des baisses d'impôts – 40 milliards de francs de baisse d'impôt l'an prochain. Les Français l'ont déjà constaté : la baisse de la TVA sur les travaux d'entretien du logement ; la baisse des frais de notaire ; la baisse de la taxe professionnelle pour les entreprises. Je crois que nous jouons la baisse d'impôts pour le pouvoir d'achat, pour l'emploi. »

Q - Mais sans accélération ? Ces chiffres-là ne modifient pas votre rythme ?

– « Non, nous avons pris pour l'an prochain une perspective de croissance de 2,8 %. Les organismes internationaux, la Commission nous donnent 3 - 2,8, 3 %. Je pense qu'il faut rester raisonnable, prudent. La France aura l'an prochain la médaille d'or de la croissance parmi les grands pays du G7. Nous devons en être fiers, c'est une oeuvre collective. Chaque consommateur, chaque entreprise y a sa part. »

Q - Médaille d'or, d'accord, mais on constate aussi, d'après les prévisions de la Commission européenne, que le chômage en France diminue mais ne régresse pas plus vite que dans les pays voisins, malgré une croissance plus forte, et, à hauteur de 2001, ce chômage pourrait être encore de près de 10 % en France.

–« Le chômage diminue. Il part de très haut, et nous sommes actuellement au niveau du chômage de 91-92. Avec cette croissance qui est forte, qui est durable, parce qu'elle est assise sur les dynamisme de notre économie de consommation et d'investissement, nous allons réduire de façon continue le chômage. Il y a la croissance et il y a des dispositifs, comme la réduction du temps de travail. »

Q - On ne peut pas aller plus vite ?

– « Je pense que par rapport à la progression inexorable que nous avons connue entre 1974 et 1997, avec des tous petits paliers, c'est un changement considérable. La réduction du temps de travail : le Sénat, hier, a fait faire une étude indépendante — et Dieu sait que le Sénat n'est pas a priori favorable au Gouvernement : 400 000 emplois de plus d'ici 2005 dus à la réduction du temps de travail. Donc, nous jouons tout pour que le chômage diminue. »

Q - Vous allez partir pour Seattle pour suivre les négociations de l'OMC. Avec quelle idée en tête ? Que la mondialisation est une chance pour la France ?

– « La mondialisation est une chance pour la France, puisqu'un Français sur quatre travaille pour l'exportation. Cette mondialisation ne doit pas être anarchique, elle ne doit pas être faite au profit des plus forts, ou, je dirais d'un pays plus fort que les autres. Elle doit être maîtrisée, elle doit être encadrée de règles. C'est comme, si vous voulez, le rugby : c'est un sport rugueux mais qui a besoin de règles, et d'ailleurs le rugby, les Européens y vont unis. »

Q - Il y a souvent du hors-jeu au rugby ? Les pénalités coûtent cher.

– « Oui, il y a des pénalités mais le pack européen de quinze pays a défini un objectif commun, et nous avons un très bon négociateur, P. Lamy, que les quinze pays vont épauler dans ce match qui va être assez rude. »

Q - Est-ce cela qui, justement, constitue la force pour la France, que de se trouver dans un ensemble européen qui, cette fois-ci, est vraiment uni par rapport à ce qui se produisait lors des négociations précédentes ?

– « Oui, je crois que si nous voulons, par rapport à nos partenaires américains, défendre le principe de la précaution alimentaire, c'est-à-dire lorsque les scientifiques disent “attention ! Il y a peut-être un problème“, que nous ayons la capacité de restreindre les importations ; lorsque nous voulons défendre l'environnement, lorsque nous voulons défendre le fait qu'il y ait un minimum de règles sociales, par exemple en matière de travail des enfants, de travail des prisonniers, il vaut mieux être à plusieurs qu'être seul. Lorsque nous voulons que les pays du Tiers-Monde soient non pas sur les gradins à regarder la croissance des pays développés, mais soient vraiment dans le partage de la croissance mondiale, je pense que l'Europe a une masse, l'Europe joue en première division. »

Q - La régulation c'est important mais regardez la décision que vous avez prise : refus du rachat d'Orangina par Coca-Cola au nom du refus des monopoles. Cela a une conséquence, c'est qu'Orangina reste seul et c'est une entreprise menacée dans son existence.

– « Si nous voulons que l'économie mondiale soit régie par des règles, nous devons appliquer les règles que nous avons chez nous. Et une règle que nous avons, c'est de protéger les consommateurs et de dire que si une entreprise, quelle qu'elle soit, contrôle plus de 60 ou 70 % d'un marché, elle peut en abuser, elle peut monter les prix. C'est le cas. Le Conseil de la concurrence, organisme indépendant, dit : “Coca-Cola plus Orangina, c'est une position dominante sur le marché français“. Mais pour Orangina, je ne suis pas inquiet. Le président de la société a dit que 1999 était une très bonne année. Orangina pourra se développer en France, à l'étranger, avec d'autres alliances, même avec Coca-Cola à l'internationale. La bouteille ronde fera le tour de la Terre, j'en suis persuadé. »