Texte intégral
Europe 1 - dimanche 9 février 1997
J.-Y. Chaperon : Demain la ville de Toulouse entre dans sa troisième semaine de grève des transports en commun.
D. Baudis : J'espère que l'on ne connaitra pas de troisième semaine, parce que deux semaines cela suffit.
J.-Y. Chaperon : Comment Toulouse vit cette épreuve ?
D. Baudis : Mal, très mal ! Vous avez 200 000 personnes qui sont très gênées dans leur vie quotidienne, souvent les personnes âgées, des chômeurs, des personnes en difficulté qui sont totalement privées de transport en commun. Par ailleurs, il y a des effets économiques et des conséquences sur l'emploi.
J.-Y. Chaperon : Quels sont les moyens d'un maire pour faire face à cette situation ?
D. Baudis : La seule ressource c'est de dire la vérité. Il s'agit de personnes qui ont un emploi stable, garanti, correctement payé, auxquelles on propose de payer 35 heures, avec parallèlement, la création de 100 à 150 emplois supplémentaires. Et il faut bien comprendre que ces personnes assument un service public, et que les usagers ont le droit à la continuité de ce service public. Un service de transport en commun est forcément déficitaire. C'est vrai de la RATP, de tous les réseaux transports publics partout. Donc, les contribuables font un très gros effort. En moyenne, à Toulouse, chaque année, chaque famille verse 450 francs pour le transport en commun, même si elle n'utilise pas les transports en commun. Ce qui est intolérable c'est que ceux qui font grève empêchent ceux qui voudraient travailler de pouvoir le faire. Je connais des chauffeurs, des employés qui ont honte parce qu'ils n'ont pas la possibilité de travailler ; et ils en sont empêchés par la force, par l'intersyndicale, les piquets de grève ; ils ont honte parce qu'ils ont un travail. On leur propose une réduction de la durée de travail sans diminution de salaire, avec créations d'emplois, et il n'y a aucun service. Service zéro ! Pas un bus depuis 15 jours, avec des conséquences économiques et sociales terribles. La seule chose que le maire puisse faire c'est de dire la vérité : c'est de dire que, là, il y a un abus ! On a pris en otage la population de l'agglomération toulousaine qui souffre beaucoup depuis deux semaines. L'appel que je lance c'est simplement le retour à la légalité : que ceux qui veulent faire grève le fassent ; c'est leur droit. Il y a une majorité d'employés qui veulent travailler, mais ils ne peuvent pas sortir leur autobus.
J.-Y. Chaperon : Vous n'avez aucun pouvoir pour tenter de débloquer vous-même la situation ?
D. Baudis : Le maire n'a aucun pouvoir en matière de rétablissement de l'ordre public. Cela appartient à la préfecture, à l'État. Maintenant, il faut que l'État prenne ses responsabilités. On ne peut pas laisser pendant plus de deux semaines l'agglomération toulousaine avec ses 600 000 habitants dans une situation complètement incohérente.
J.-Y. Chaperon : Il y a des négociations ?
D. Baudis : Cela fait quinze jours qu'il y a des négociations, mais ça n'avance pas ! Ce que je veux, c'est le droit : celui qui veut faire grève a le droit de le faire ; celui qui veut travailler a le droit de le faire. Et si le droit est respecté, tout va bien. À l'heure actuelle le droit n'est pas respecté, et ça c'est scandaleux !
France Inter - mercredi 12 février 1997
A. Ardisson : La grève des traminots, est-ce un problème spécifiquement toulousain ou un problème national ?
D. Baudis : C'est d'abord une situation insupportable parce que, depuis maintenant deux semaines et demi, vous avez des personnes qui sont souvent les plus faibles, les jeunes qui se rendent dans un établissement scolaire, les personnes âgées qui vont visiter un conjoint à l'hôpital, les chômeurs en recherche d'emploi, les stagiaires, les personnes en difficulté qui n'ont plus aucun moyen de transport, car nous sommes dans une situation de totale illégalité. 100 à 150 personnes bloquent totalement l'entreprise, ont mis des bus en travers, ont crevé des pneus et il y a dans l'entreprise une majorité de gens qui veulent travailler et qui, chaque jour, disent : « Nous ne sommes pas grévistes. » Il y a un conducteur sur deux qui n'est pas gréviste. Donc, si on n'était pas dans l'illégalité, il y aurait un bus sur deux qui circulerait et les gens n'acceptent plus qu'une ville entière soit prise en otage par 100 à 150 personnes qui ont un travail, correctement payé, et auxquelles on vient de proposer 35 heures payées 38 et qui disent « ça ne suffit pas ».
A. Ardisson : C'est là où il y a quelque chose qu'on a du mal à comprendre. Même M. Blondel dit, grosso modo, qu'il faut arrêter les frais, puisqu'il y a des ouvertures sur le temps de travail et, malgré tout, le conflit n'est pas débloqué.
D. Baudis : Parce que vous avez un petit noyau de gens qui finissent par s'enivrer de leur propre action et qui ne savent plus qu'à un moment donné, trop c'est trop. Je crois que la République, l'État, les institutions doivent jouer leur rôle. Regardez par exemple ce qui s'est passé à Dijon, c'est exemplaire : à Dijon, aujourd'hui, il n'y a pas de piquet de grève, il y a des grévistes, et puis il y a 70 % des conducteurs qui ne sont pas grévistes et qui font leur travail. Cela, c'est le respect de la loi. Je respecte parfaitement celui qui fait grève, mais il doit respecter celui qui veut travailler. Moi, il m'est arrivé, quand j'étais journaliste, quand j'étais salarié, de faire grève, parfois pendant une journée, deux journées, cela ne me serait pas venu à l'idée de me planter à l'entrée de la salle de rédaction pour menacer d'un manche de pioche celui qui aurait voulu travailler ! C'est cela, la situation. Et ce n'est pas acceptable parce qu'encore une fois ce sont les plus faibles qui en sont victimes. Les faibles, ce ne sont pas les gens qui sont sur les piquets de grève : ils ont un emploi, ils ont un emploi garanti. Les faibles, ce sont ceux qui, à l'heure actuelle, ne sont plus transportés et qui estiment que l'État, la justice, doivent jouer leur rôle et qu'il faut rétablir la légalité.
A. Ardisson : Vous dîtes « l'État », mais on voit apparaître dans ces négociations, ou dans ces sanctions, la société d'économie mixte qui gère le réseau urbain. Vous faites appel à l'État, mais que fait la municipalité dans tout cela ? Vous semblez disparaître ?
D. Baudis : Non, je ne disparais pas. Mais la municipalité n'a pas les moyens de disposer en France de la force publique. La municipalité ne peut pas rendre des décisions de justice, donc la municipalité n'a aucun pouvoir pour rétablir la légalité quand on est hors de la légalité. Or, nous sommes hors de la légalité et il y a en France des institutions - l'État, la justice - pour faire respecter la légalité. Il faut respecter la légalité.
A. Ardisson : Vous pouvez saisir la justice.
D. Baudis : C'est ce que l'entreprise fait. C'est l'entreprise qui doit le faire. Elle a juridiquement le droit de le faire. Elle vient de le faire. Une centaine de pneus d'autobus ont été crevés ! Qui va payer les réparations ? Les contribuables ? Donc, il faut bien déterminer les responsabilités et demander des comptes. Donc, moi, ce que je demande, c'est le respect de la légalité parce que si on sort des règles de la République, il ne faut pas s'étonner de voir des votes comme celui de dimanche dernier à Vitrolles. Il faut respecter le droit. Parce que, quand on respecte le droit, on protège les plus faibles. A l'heure actuelle, les plus faibles ne sont pas protégés.
A. Ardisson : La situation est la même dans différentes villes. Le patronat était prêt à appliquer la loi Robien, mais l'État refuse, disant que cela ne s'applique pas au secteur public. Il n’y a pas une négociation nationale qui doit s'ouvrir sur ce plan-là ?
D. Baudis : Il va y avoir une négociation nationale et l'État a indiqué que la loi Robien ne pourrait pas être applicable aux transports publics mais que des dispositifs comparables en volume seront applicables. Donc, un dispositif spécial pour les transports publics. Et la situation de Toulouse est tout de même très exemplaire : la direction propose 35 heures payées 38, si on amalgame ces réductions du temps de travail sur une année c'est comme s'il y avait, sur une année, 25 jours de congés supplémentaires, création de 150 emplois. C'est tout de même des propositions qui méritent d'être étudiées ! La réponse, c'est la grève et une grève très dure, avec des piquets de grève, et d'ailleurs les piquets de grève sont d'autant plus durs et violents que la grève n'est pas vraiment suivie dans l'entreprise. Si la grève était très suivie dans l'entreprise, il n'y aurait pas de piquet de grève, les gens ne travailleraient pas, ils seraient tous en grève. Mais, parce que vous avez une majorité de gens qui veulent travailler, il y a des piquets de grève violents pour empêcher ceux qui veulent travailler de pouvoir sortir des dépôts. Et c'est la population qui en souffre. On a fait, encore une fois, des propositions très fortes : 35 heures payées 38 à des gens qui ont un emploi garanti. Et ils nous disent : cela ne nous suffit pas, on veut aller encore plus loin, on veut davantage. Et cela, ce n'est pas possible ou alors, il faut augmenter les tarifs des transports en commun de 20 %. Est-ce que c'est une mesure sociale de demander 20 % de plus aux jeunes, aux chômeurs, aux précaires ? Ou bien alors, il faut augmenter considérablement les impôts locaux parce que n'oublions pas que les transports en commun vivent pour moitié des sommes qui sont payées par les usagers, par les clients, par les voyageurs ; et pour moitié - parce que toutes ces entreprises font du déficit - par les impôts locaux. Et donc, si l'on augmente considérablement les charges financières, ou bien on va faire payer davantage celui qui monte dans le bus - 20 % d'augmentation des tarifs, ce n'est pas acceptable - ou bien on aura une forte répercussion sur les contribuables locaux qui n'en peuvent plus.
A. Ardisson : Vous faisiez allusion tout à l'heure à Vitrolles. Est-ce que vous tirez de cette élection un enseignement national, est-ce que vous êtes inquiet, par exemple, dans votre région ?
D. Baudis : Il faut que dans notre région, on n'observe pas les mêmes phénomènes. Mais, hier, plusieurs personnes nous parlaient bien sûr de la situation des bus et commentaient aussi les événements politiques de la veille, ils m'ont dit que quand les lois de la République ne sont plus respectées, on n'a plus de respect pour la République. Donc il faut que les lois de la République soient respectées. Les syndicats s'appuient - c'est tout à fait leur droit - sur les textes, sur les lois ; ils demandent l'application des lois, ils demandent l'application des textes. Mais il faut aussi que les piquets de grève disparaissent parce que cela, c'est l'illégalité tous les jours. Et on ne peut pas accepter l'illégalité pendant deux semaines et demi avec plusieurs centaines de milliers de personnes qui en sont victimes.
A. Ardisson : Il va se passer quelque chose aujourd'hui ?
D. Baudis : Tout appartient au préfet maintenant. Il y a un médiateur nommé par le préfet. Le préfet dispose des moyens en saisissant la justice, en faisant appel aux forces de l'ordre. Il a différents moyens pour rétablir la légalité, il faut rétablir la liberté du travail. Que ceux qui veulent continuer à faire grève le fassent mais que ceux qui veulent travailler aient le droit de le faire.