Texte intégral
Entretien avec « Le journal du dimanche » (Paris, 27 octobre 1996)
La situation dans la région s'est beaucoup dégradée depuis le printemps. Jusque-là, le processus de paix semblait sur les rails. Le monde entier pensait que le conflit du Proche-Orient arrivait à sa fin. L'expérience démontre que notre optimisme n'était pas justifié. Depuis la crise du Liban et depuis les élections en Israël, de nouvelles difficultés sont apparues notamment dans les discussions israélo-palestiniennes. Celles-ci sont assez largement au point mort. Chez les dirigeants et les populations, l'inquiétude est de retour. Ce sentiment très fort m'a beaucoup impressionné.
Dans ce contexte, le président Chirac a réussi une percée formidable. D'une façon générale, il a été accueilli très chaleureusement dans les pays qu'il a visités, notamment dans les Territoires palestiniens. La France a retrouvé dans la région où nous étions assez absents un crédit fort. Aujourd'hui ces pays se tournent vers nous.
Le journal du dimanche : Fallait-il commencer ce voyage en Syrie ?
Hervé de Charette : Dans un tel voyage qui a conduit le président dans les pays concernés par le conflit, la succession des étapes a été examinée à la loupe par les diplomates. Il est tout à fait normal que le président Chirac commence par aller là où se trouve une des clés du processus de paix. Le président syrien sera, ou ne sera pas, un des artisans de la paix. Nous avons rétabli les liens avec un pays qui est un acteur influent dans la région. Il est donc légitime que le président de la République accorde une importance réelle à cette étape.
Le journal du dimanche : Ce qui a frappé l'opinion française, c'est le coup de colère du président lors de sa visite de Jérusalem. Exaspération ou coup politique ?
Hervé de Charette : C'est plus simple. Jacques Chirac a eu le sentiment – partagé par les journalistes qui l'accompagnaient – qu'une présence très excessive des forces de sécurité israélienne apportait un trouble sérieux à sa visite des lieux saints qui sont situés dans une zone de Jérusalem qui n'appartient pas en droit international à Israël. L'incident – car c'en était un – était clos à partir du moment où M. Netanyahou lui a présenté les excuses de son gouvernement. Cet incident inhabituel est donc clos ; inutile de revenir dessus indéfiniment.
Ce qui est vraiment important ce sont les relations franco-israéliennes. Au cours du temps, j'ai constaté que nous avons eu des difficultés à nous comprendre. Mais il est clair que la France est un ami d'Israël depuis sa création. Nous avons toujours marqué notre préoccupation prioritaire pour la sécurité de l'État et de la population d'Israël. Il n'y a aucun doute là-dessus. Il ne peut pas y avoir de désaccord entre des gouvernements amis. J'attache une très grande attention à ce que ce message d'amitié soit entendu en Israël.
Le journal du dimanche : À plusieurs reprises le président français a affirmé sa volonté de voir l'Europe participer au processus de paix. Mais nos partenaires, à commencer par votre homologue britannique, n'ont pas paru sur la même longueur d'ondes…
Hervé de Charette : Les déclarations de M. Rifkind m'ont paru particulièrement déplacées. Elles relèvent, sans doute, d'une vieille jalousie franco-britannique. Pour le reste, revenons au fond : quand, à Dublin, nous avons évoqué le Proche-Orient, les Quinze ont rappelé les principes sur lesquels se fonde la position de l'Union européenne, la même depuis près de vingt ans. L'Europe est le premier contributeur financier dans cette région, de très loin ; elle ne peut pas se désintéresser d'une situation et ne peut accepter de payer sans participer. C'est ce qu'a rappelé le président Chirac. Il souhaite que la France et l'Europe soient mieux reconnues comme partenaire à part entière. Lundi, nous aurons une réunion des ministres des Affaires étrangères à Luxembourg où je rendrais compte du voyage du président. Celui-ci d'ailleurs a déjà écrit à ses collègues. J'entends parfois râler derrière la porte. Personne pourtant ne conteste à la France un rôle particulier au Proche-Orient, où elle est présente depuis des siècles. D'autres pays méditerranéens comme nous-mêmes, l'Italie, l'Espagne et la Grèce, ont la même attitude. Il faut renouer le fil de la paix.
Le journal du dimanche : Au total, ce voyage a-t-il été profitable à la paix ?
Hervé de Charette : Il a donné un nouvel élan à la présence de la France et créé un nouveau mouvement en faveur de la paix. C'est un voyage dont la dimension historique apparaîtra de plus en plus nettement dans les semaines qui viennent.
Entretien avec France 2 lors de l'émission « Polémiques » – Extraits – (Paris, 27 octobre 1996)
France 2 : Monsieur le Ministre, merci de nous avoir réservé vos premiers commentaires, à votre retour du Moyen-Orient. Votre commentaire sur ce point. La France aurait adopté donc des propositions extrémistes, arabes extrémistes qui l'exclut du jeu ?
Hervé de Charette : Bien sûr que non. Simplement, deux questions ont été abordées : d'abord, l'incident de Jérusalem sur les territoires des lieux saints, c'est-à-dire Jérusalem Est.
C'est vrai que c'est un incident regrettable mais, comme vous le savez, le Premier ministre israélien a fait part de ses excuses au président de la République. Cette affaire est donc derrière nous. Jacques Chirac, lui-même, a dit que l'incident était clos. Je pense que ce n'est pas utile de ressasser, pendant des jours et des jours, ce qui est derrière nous. Alors, oublions tout cela.
France 2 : Bien, au-delà de l'incident, est-ce que vous pensez, comme celui que nous venons d'entendre, Léon Rozenbaum, que la France, au fond, a choisi son camp, celui des Arabes ?
Hervé de Charette : Non, je crois que la France, en effet, a choisi son camp, c'est certain. Mais son camp, c'est celui de la paix. C'est donc une attitude qui est constamment guidée par le souci d'être attentif aux préoccupations des Israéliens : préoccupations de sécurité qui sont justifiées et auxquelles il faut prêter une très grande attention. Deuxièmement, il faut aussi attacher une très grande écoute aux préoccupations des Palestiniens, des Syriens, des Libanais, sur la base des principes et des règles qui ont été fixés dans les résolutions du Conseil de sécurité, dans les Accords d'Oslo, de Madrid, de Taba, qui prévoient, je le rappelle : le principe de l'échange de la terre contre la paix et le droit à l'autodétermination des Palestiniens. Je voudrais insister sur ce point : la France choisit le camp de la paix. Elle est attentive aux uns, elle est attentive aux autres. Elle aime les uns et elle aime les autres.
France 2 : Je voudrais simplement vous demander si vous avez vraiment le sentiment que l'opinion israélienne, et aussi bien la gauche que la droite, n'a pas été un petit peu choqué par les conditions dans lesquelles l'ensemble du voyage s'est déroulé.
Lorsque nous regardons ce que dit la presse israélienne depuis quelques jours, on s'aperçoit qu'il y a une sorte de déception et encore une fois quelle que soit la couleur politique du journal en question ?
Hervé de Charette : C'est vrai que dans la presse israélienne il y a toujours eu, ce n'est pas propre à ces jours-ci, une certaine réserve à l'égard de la politique française – je l'ai vécue moi-même au printemps dernier lors de la crise libanaise. C'est bien pourquoi, le président de la République voulait aller en Israël, parler avec les dirigeants israéliens. Et vous avez pu voir qu'il a eu des conversations très chaleureuses, très amicales – aussi bien avec le Premier ministre, Benjamin Netanyahou qu'avec le président et nous espérons, nous souhaitons, nous avons l'ambition d'être bien compris par le peuple israélien.
France 2 : Ceci étant, apparemment, ce n'est pas le cas aujourd'hui ?
Hervé de Charette : Non, il y a des progrès à faire, c'est bien pour ça que je viens vous voir, pour avoir une occasion de plus d'être mieux entendu.
France 2 : Hervé de Charette, je crois que sans problème, vous vous rangez du côté de Jean--Marie de La Gorce et peut-être pas du côté de Michel Gurfinkiel...
Hervé de Charette : J'écoute les commentaires. Je vois bien que chacun est tenté de tirer, vers ses thèses et vers son camp, les événements qui ont marqué la visite du président de la République au Proche-Orient.
Mais la question que vous avez posée concerne le rôle de la France et le rôle de l'Europe dans le processus de paix. Moi j'ai observé les choses ! D'abord j'ai constaté qu'en effet, les pays arabes sont demandeurs d'un rôle de la France. J'ai constaté que s'il y avait eu des déclarations avant l'arrivée du président de la République, en Israël contre un rôle européen ou un rôle français, dans leurs conversations, je peux vous le dire, aussi bien M. Netanyahou que M. Weismann ont été beaucoup plus ouverts et beaucoup plus disponibles. Ceci dit, l'Europe, qui est de très loin le premier fournisseur d'aide dans cette région, et qui par ailleurs est directement concernée pour ses intérêts et pour sa sécurité par la paix au Proche-Orient, l'Europe a toutes les raisons de se trouver concernée et de vouloir s'impliquer dans ce qui se passe au Proche-Orient.
C'est ce que nous avons dit et nous continuerons à le dire.
France 2 : Sauf que la position française est minoritaire à l'intérieur de l'Europe. On a l'impression quand même que les Allemands et les Anglais ne sont pas tout à fait d'accord avec nous ?
Hervé de Charette : Non, je ne crois pas que la France soit minoritaire en Europe sur cette affaire. Depuis vingt ans, les positions européennes, depuis le Sommet de Venise, du temps de Valéry Giscard d'Estaing en 1980, depuis 20 ans, les positions européennes sont les mêmes en ce qui concerne le Proche-Orient. Alors ensuite, il y a des mots, des circonstances du moment. Les quinze ministres des Affaires étrangères seront, demain, réunis à Luxembourg. Je vais rendre compte du voyage du président de la République et nous allons avoir un débat sur la désignation ou non d'un envoyé spécial européen, idée que je trouve excellente.