Texte intégral
Lutte ouvrière - 6 décembre 1996
L’attentat du RER : un acte criminel qui ne peut servir aucun peuple, ni aucune cause
Une bombe dans un wagon du RER à 18 heures, l’heure où de nombreux banlieusards empruntent celui-ci : l’attentat qui s’est produit le 3 décembre au métro Port-Royal, à Paris, était conçu pour frapper de façon aveugle, dans la foule, des travailleurs rentrant chez eux, et aussi pour tenter de semer la crainte auprès de millions d’autres.
Toutes les hypothèses sont possibles sur les auteurs de cet attentat, y compris qu’il soit l’œuvre d’un simple individu déséquilibré. Mais l’hypothèse d’un acte émanant de groupes islamistes algériens, dans la continuité des attentats de l’été 1995, est la plus couramment évoquée.
Si c’est le cas, si c’est bien un tel acte politique, alors il ne peut servir réellement aucun peuple, aucune cause, car il témoigne d’abord d’un profond mépris de la population.
Mépris pour la population travailleuse de France d’abord, celle qui rentre du travail à 6 heures du soir, qui comprend d’ailleurs de nombreux travailleurs d’origine algérienne, et que l’on frappe ainsi au hasard.
Les auteurs de l’attentat veulent peut-être combattre la politique de l’État français. Celui-ci porte en effet une lourde responsabilité dans la situation catastrophique de l’Algérie aujourd’hui, par sa politique coloniale passée comme par sa politique présente. Mais en quoi les voyageurs d’une rame de métro, que l’on frappe ainsi, en sont-ils responsables ? Et si on les frappe pour tenter d’exercer un chantage sanglant sur les gouvernements français, cela témoigne d’un mépris profond pour la population, celle de France comme celle d’Algérie, considérées comme des masses de manœuvre à qui on ne laisse le choix que de se soumettre, aux uns ou aux autres.
Cela montre un mépris profond pour la population algérienne elle-même, à commencer par celle qui vit en France. Les auteurs de l’attentat se moquent de savoir quelles conséquences peuvent avoir pour elle des attentats comme celui du 3 décembre. Cet attentat, et d’autres s’il y en a, peuvent entraîner une méfiance accrue dont les immigrés algériens en France seraient les premières victimes. Ils pourraient devenir les premières cibles de la suspicion et des contrôles des policiers, voire de la méfiance des simples voyageurs des trains ou du métro.
Et puis ces attentats, s’ils se multiplient, peuvent provoquer la montée d’un climat de haine dont le premier bénéficiaire serait, sur le plan politique, le Front national.
Tout cela, les auteurs de l’attentat, s’il s’agit bien de groupes islamistes liés à ceux d’Algérie, le savent très bien. Mais ils s’en moquent, et même cela les sert. Car plus la population algérienne en France sera entourée d’un climat de suspicion, et plus elle risque d’être rejetée dans les bras des groupes islamistes.
Et en définitive le calcul est le même vis-à-vis de la population d’Algérie elle-même car, plus elle se retrouvera isolée sur le plan international, entourée d’un climat de méfiance, et plus cela favorisera la dictature : celle des militaires en place ou celle des islamistes candidats à prendre leur relève.
Car les auteurs de tels actes, s’ils visent le pouvoir, ne peuvent y parvenir que sous forme d’une dictature. Agissant par le biais d’un appareil armé clandestin, hors de tout contrôle possible de la population qu’ils prétendent défendre, ils ne pourraient être, une fois au pouvoir, que tels qu’ils se montrent aujourd’hui alors qu’ils n’y sont pas encore et qu’ils cherchent à s’imposer à sa tête par la force, en se servant des bombes et de la peur qu’elles peuvent engendrer. Exactement semblables d’ailleurs à ceux qui, à l’extrême droite en France, pourraient tenter de se servir de ces attentats à leur profit politique.
Lutte ouvrière - 13 décembre 1996
Lutter contre Le Pen… et contre ses faux ennemis
Plusieurs milliers de manifestants ont défilé le 9 décembre dans les rues de Grenoble, 20 000 selon les organisateurs, dont une majorité de jeunes pour protester contre la présence de Le Pen, venu inaugurer les locaux du Front national dans la ville. Jamais, semble-t-il, en province, une manifestation contre Le Pen n’avait connu une telle participation. Et il faut se féliciter que dans la population laborieuse, et qu’en particulier dans la jeunesse, nombreux soient ceux qui ont voulu ainsi crier leur hostilité aux idées – si l’on ose dire – développées par Le Pen et ses partisans, et faire entendre leur rejet du racisme et de la xénophobie.
Oui, il faut se réjouir de cette réaction. Mais à la condition de bien comprendre que se limiter à cela, c’est-à-dire à des démonstrations de rue, c’est loin d’être suffisant pour entraver le développement du Front national et pour enrayer la contagion de sa propagande dans la population, et à plus forte raison pour l’éradiquer.
Car si le Front national a vu croître, depuis 1983, son influence électorale et son audience dans la population, ce n’est pas par la simple vertu des discours démagogiques de son porte-parole, ce n’est pas dû à ses effets de tribune dans les meetings. Le personnage existait bien avant ces années-là, développant les mêmes propos infâmes, sans recueillir d’écho. Et si depuis des années maintenant ces propos en recueillent de plus en plus, c’est qu’avec la crise, le chômage et la misère qu’elle engendre, le terrain existe pour que cette démagogie puisse prendre racine. Ce constat, quasiment tout le monde le fait.
Mais ensuite ? Toutes ces bonnes âmes font… des discours, qui sont parfois pertinents pour diagnostiquer la maladie et en indiquer les causes. C’est ainsi que tout récemment on a entendu Chirac, avant même son intervention télévisée à grand spectacle du jeudi 12 décembre, mettre en garde contre la « dureté des temps, les difficultés de chacun… qui, comme hier » peuvent « conduire au pire ». Mais peut-on sérieusement compter sur ces gens-là pour combattre le mal, eux qui ont créé les conditions de sa propagation ?
Car si les idées de l’extrême droite ont proliféré grâce à la crise, c’est bien parce que les politiciens qui se sont succédé au pouvoir depuis 1981 ont non seulement laissé faire, mais permis voire encouragé le patronat à supprimer des emplois par centaines de milliers chaque année, transformant un sixième de la population active en chômeurs, et une partie de ceux-ci en miséreux. Ce sont eux qui, systématiquement, ont démantelé les protections sociales qui limitaient, tant bien que mal, les mauvais coups des patrons. Ce sont eux qui ont, pierre à pierre, démoli les quelques garanties qui permettaient aux chômeurs de ne pas sombrer dans le dénuement, qui ont réduit les droits à la retraite, les droits aux soins des travailleurs. Le Pen peut leur dire merci.
Se préparer à lutter contre Le Pen et le développement de l’extrême droite, c’est bien évidemment commencer par montrer que ceux qui ont pris conscience du danger que cela représente peuvent être nombreux à se rassembler. Et à Grenoble, ceux qui ont manifesté, et en particulier la jeunesse, ont fait une telle démonstration. Mais c’est aussi apprendre à distinguer ceux qui sont réellement à nos côtés dans ce combat, ceux qui sont des alliés de circonstances, les faux amis qui seront les ennemis de demain, et la plupart du temps les ennemis d’hier.
À l’issue de la manifestation grenobloise, la presse relate que les responsables locaux de la CGT et de la CFDT se sont félicités de « l’élan unitaire exceptionnel » qui s’est exprimé à cette occasion. Il faut dire que la quasi-totalité des maires de droite de l’agglomération avait signé un appel en faveur de cette manifestation, et que nombre d’élus de tous bords y participaient. L’unité réalisée avec ces gens-là, dont la présence ou la signature étaient avant tout motivées par des préoccupations électorales, n’est pas un renfort dans la lutte contre Le Pen. Au contraire. Car comment combattre l’extrême droite avec ces élus qui, dans leurs partis, côtoient des politiciens qui développent des propos xénophobes et racistes qui ressemblent à ceux du FN ? Comment croire que des politiciens qui applaudissent aux mesures anti-ouvrières, quand ce ne sont pas eux qui les ont prises, qu’ils soient de droite ou de gauche, sont dans le même camp que ceux qui dénoncent et combattent ces mesures ?
Oui, il faut se préparer à combattre l’extrême droite. Car elle représente un danger mortel pour le monde du travail. Même si pour le moment elle se limite à des discours de haine, à une propagande raciste inacceptable et semble borner ses ambitions à des objectifs électoraux, il se peut fort bien qu’elle n’en reste pas là. Les discours récents de ses dirigeants, évoquant la possibilité que le FN s’engage dans des activités antiparlementaires, ne sont encore que des discours. Ils ne sont peut-être qu’une menace, comme d’autres, destinée à engranger un peu plus de suffrages. Mais ils expriment des intentions qui, demain, pourraient se préciser sur le terrain. Nous n’en sommes pas encore là, heureusement. Mais, la crise se prolongeant et s’approfondissant encore, cela peut changer.
On ne peut combattre la montée de l’extrême droite si on ne met pas fin, par des mesures radicales, à la situation qui permet à ses idées de prospérer. Et pour cela, il faut que les travailleurs agissent pour inverser le sort de la population laborieuse. Oui, il est nécessaire de faire en sorte que le chômage régresse rapidement. Et pour commencer, qu’il cesse de s’accroître, en imposant l’interdiction des licenciements dans les entreprises qui se préparent à le faire. Dans le même temps il faut imposer que l’État consacre l’argent qu’il distribue au patronat à fonds perdus, à créer des emplois utiles à la collectivité. Oui, il est nécessaire que le monde du travail puisse accéder à des moyens d’existence décents, qu’il puisse se soigner et se loger dans des conditions correctes. La lutte pour ces objectifs est indissociable de la lutte contre le développement de l’extrême droite.
C’est en s’associant à une telle perspective que la jeunesse peut construire un rapport de force qui fera reculer Le Pen et ses idées.
Lutte ouvrière - 20 décembre 1996
De Chirac à Jospin
Des mots, rien que des mots
Lionel Jospin vient de faire approuver le programme économique et social du Parti socialiste pour les élections de 1998 par la conférence nationale de ce parti.
Du côté de la droite, les critiques en sont nombreuses et, sans doute par manque d’imagination, brodent toutes sur « croire Jospin, c’est croire au Père Noël ».
Pour ces gens-là, la moindre promesse, même vague, envers les classes populaires est ridicule. « Ça clignote comme une guirlande d’arbre de Noël » et « devant ces monts et merveilles, le peuple frappe dans ses mains », écrit même l’éditorialiste du « Figaro » par mépris du « peuple ».
Pourtant, dans le programme du Parti socialiste, il n’y a ni de quoi inquiéter le patronat ni laisser penser qu’une éventuelle victoire socialiste en 1998 changerait la vie des travailleurs.
Jospin promet de fournir du travail à 700 000 jeunes en deux ans… si l’État et les collectivités trouvent les sous… et si les patrons veulent bien signer un accord les engageant. C’est-à-dire si, une fois de plus, ils n’empocheront pas les subventions avec, au bout de deux ans, plus de jeunes au chômage qu’il n’y en avait avant.
Que deviendront les quatre millions trois cent mille autres personnes qui sont actuellement soit en emploi précaire, soit au chômage total ? Jospin ne le dit pas !
Une « loi-cadre » ramènerait l’horaire hebdomadaire de travail à 35 heures sans diminution de salaire. Mais cette loi-cadre ne ferait qu’encadrer, comme son nom l’indique, des négociations par branche et par industrie entre patronat et syndicats. Si le patronat ne veut pas, on ne sait pas trop ce que la loi deviendra.
Et puis, tout comme la semaine de 39 heures n’a pas diminué le nombre de chômeurs, celle des 35, même si elle était appliquée, ne le diminuerait pas plus.
Si le chômage ne diminue pas et si on ne les contraint à rien, les patrons continueront à faire ce qu’ils veulent avec les horaires, les conditions de travail et les emplois à temps partiel.
Le programme du PS prévoit un allégement de la TVA. Mais nous ne saurons de combien qu’après avoir bien voté. Chirac promet la même chose : cela ne coûte rien au patronat !
Il y a aussi un abaissement de deux points des cotisations salariales, remplacés par une CSG élargie mais avec un abattement à la base. Saine mesure, mais aurait-ce été si difficile à Jospin de dire à partir de quel salaire on paiera ? Est-ce que, pour la majorité des salariés, on ne leur reprendra pas d’une main ce qu’on leur aura donné de l’autre ? Tout cela sont des engagements sur les mots, pas sur les chiffres.
On dit qu’il promettrait aussi une hausse générale des salaires. Non ! Ce qu’il promet, c’est d’organiser une « conférence salariale » patronat-syndicat pour discuter d’une telle augmentation.
Les journalistes et les hommes politiques de droite qui ont parlé de croire au « Père Noël » ont peut-être raison.
Mais eux sont vraiment mal placés pour le dire, après le discours de Chirac qui, lui, ne promet que de continuer la politique actuelle sans même promettre de ne pas l’aggraver. Si l’un est le Père Noël, l’autre est le Père Fouettard.
Lionel Jospin, dans son discours, a déclaré « le choix sera entre la droite et nous. Il n’y a pas d’autre voie ». Autrement dit, aux élections de 1998, le seul choix sera entre un Père Noël marchand d’illusions et un Père Fouettard jouant les affreux.
Mais dans la hotte de l’un ou le sac de l’autre, il y aura la même chose pour ceux qui auront cru au changement électoral. Aucun homme politique, aucune élection ne changera notre vie.
Si nous ne voulons pas nous laisser réduire à la misère par ces hommes qui, chacun à leur façon, sont au service du patronat, rappelons-nous que les chauffeurs routiers et les cheminots ont plus obtenu par leurs grèves que par les élections. Ni en 1998, ni plus tard, nous ne ferons l’économie de nos luttes pour changer notre vie. Alors, autant nous y préparer maintenant.
Lutte ouvrière - 27 décembre 1996
PCF
On refait la vitrine, mais pas le magasin
Robert Hue a présenté le dernier congrès du PCF comme celui de la « mutation » de son parti. Mais en fait, ce qui caractérise la politique du PCF, c’est la continuité par rapport à la politique qui l’a amené à participer de 1981 à1984 au gouvernement, et à y cautionner la politique anti-ouvrière alors menée par Mauroy sous l’autorité de Mitterrand.
Robert Hue réaffirme régulièrement qu’il ne faut pas renouveler les erreurs du passé. Mais au fur et à mesure qu’on se rapproche des élections législatives de 1998, ses précautions oratoires sont de plus en plus discrètes et son envie de voir le PCF retourner au gouvernement de plus en plus évidente.
Il a ainsi rappelé au nom du PC sa « volonté de participer au gouvernement de la France », en souhaitant que se dégage « d’ici à l’échéance électorale prochaine » une « base d’engagements communs » à gauche, c’est-à-dire un accord avec le Parti socialiste. Les mots ont un peu changé, on ne dit plus « union de la gauche » et « programme commun » qui ont laissé un mauvais souvenir aux travailleurs qui ont vécu cette période. Mais le contenu reste le même.
Bien sûr, Robert Hue dit qu’il refuse « une gauche qui commence par des promesses pour finir par des déceptions », une « gauche engoncée dans le respect des puissants ». Mais, si la gauche remporte les élections de 1998 et si le Parti socialiste accepte d’associer le Parti communiste français au gouvernement (ce qui est loin d’être assuré d’avance), pour quelles raisons les dirigeants du PCF auraient-ils plus de moyens de peser sur la politique gouvernementale qu’en 1981 ?
Le PCF qui recueillait alors 15 % des voix aux élections n’a su qu’être complice, par sa présence, par son appui politique, de la politique d’austérité menée par le gouvernement socialiste – engagée deux ans avant que les ministres communistes quittent le gouvernement. Alors, comment pourrait-on croire que, même s’il le voulait, il pourrait demain contraindre le Parti socialiste à mener une politique favorable aux intérêts des travailleurs ?
En fait, les dirigeants du PCF ne sont pas très différents de ceux du Parti socialiste. Comme ces derniers, ils ont abandonné depuis longtemps toute volonté de transformer la société, de remplacer le système capitaliste par une économie qui serait au service des travailleurs, des producteurs, de l’ensemble de la population. Ils ne cherchent qu’à être admis par la bourgeoisie à gérer ses affaires au gouvernement. Et le crédit qu’ils doivent au dévouement, à la combativité des centaines de milliers de militants qui ont fait leur parti, ils sont prêts à le brader contre des maroquins ministériels.
En fait, la seule différence entre les dirigeants du PCF et ceux du PS, c’est que les premiers sont partis un peu trop tard dans la course à la participation gouvernementale. Un parti ayant la confiance de nombre de travailleurs, mais docile aux volonté des possédants, la bourgeoisie française en avait déjà un à sa disposition avec le Parti socialiste. Et Hue a beau continuer, comme Marchais l’avait fait avant lui, à parler un langage qui ressemble de moins en moins à celui du communisme, il a beau faire disparaître la faucille et le marteau des salles de congrès, il n’est pas sûr que la bourgeoisie est envie de faire appel à ses services.
La direction du PCF le sait. Mais elle n’a pas d’autre perspective politique. Et elle va une nouvelle fois expliquer aux militants qu’il n’y a pas d’autre politique possible, parce qu’il n’y a pas de victoire électorale possible sans accord avec le PS.
Pas de victoire électorale possible ? Sans doute ! Mais il pourrait y avoir en revanche des victoires pour la classe ouvrière, car ce n’est pas dans les urnes que peut se manifester la force des travailleurs. C’est dans les entreprises, dans la rue, par la lutte des classes. C’est comme cela qu’ils pourraient imposer une autre politique.
Et c’est cette perspective-là, et pas celle d’illusoires succès électoraux, que doivent préparer tous les militants qui veulent défendre les intérêts de la population laborieuse.