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En matière d’aménagement du territoire, la France n’est-elle pas en passe de se tromper de débat ? Depuis quelques temps, Dominique Voynet affiche son ambition de revoir rapidement la loi d’orientation sur le développement du territoire de 1995 pour y insuffler, dit-elle, la notion de « développement durable ».
Cette initiative est sans doute très utile, si elle en fait une de ses priorités. Pourtant, la ministre le sait certainement, la vraie bataille pour l’avenir de nos territoires se joue en ce moment moins à Paris, avec les textes qu’elle prépare, qu’à Bruxelles ou à Luxembourg.
Là se discutent le recadrage des interventions communautaires et la redistribution des fonds européens pour la période 2000-2006. Avec une question clairement posée : comment la réforme de la politique régionale européenne et celle de la politique agricole commune (les deux principales interventions de Bruxelles) doivent-elles évoluer dans la perspective de l’élargissement des frontières de l’Union à quelques-unes des jeunes démocraties de l’Europe centrale et orientale, dans le courant de la prochaine décennie ?
C’est à ce défi que doivent répondre aujourd’hui les États européens. Pour la France, l’enjeu des discussions est beaucoup plus important que le silence du gouvernement actuel ne pourrait le laisser penser. D’un côté, il est de notre devoir d’accueillir les nouveaux entrants dans l’Union comme nous avons recueilli, en d’autres temps, l’Espagne et le Portugal, c’est-à-dire en aidant à surmonter des retards de développement qui étaient bien supérieurs aux nôtres. Mais, d’un autre côté, à l’heure où les contraintes budgétaires de l’État le poussent à se désengager de plus en plus de l’action territoriale, les fonds européens sont essentiels pour nos régions.
Sait-on que les fonds structurels, qui permettent, entre autres, d’aider les territoires les plus en retard et ceux qui rencontrent des difficultés de reconversion, ont apporté à eux seuls près de 100 milliards de francs à notre pays depuis 1993 ? Peut-on rester silencieux face à une réforme qui engage sur l’ensemble du territoire européen plus de 1 800 milliards de francs ? Pour une région française de taille moyenne comme Poitou-Charentes, l’apport de Bruxelles représente tous les cinq ans l’équivalent d’un sixième budget régional.
On ne compte plus, dans la plupart de nos régions, les projets locaux de développement qui n’ont été menés que grâce à l’Europe : infrastructures de développement, instituts de formation ou programmes d’aide aux entreprises. Tous les élus des régions d’industries en déclin savent parfaitement que sans l’aide européenne, souvent supérieure à ce que peut apporter l’État, beaucoup de projets de reconversion seraient restés lettre morte.
Face à ces enjeux, où est le débat ? Les échéances sont pourtant proches. La Commission européenne a rendu publiques, en juillet dernier, ses propositions de réforme. Les quatre principales sont : la simplification des procédures actuelles, leur décentralisation à l’échelon régional, l’ajustement des fonds structurels sur 35 à 40 % de la population de l’Union (contre 51 % aujourd’hui) et le financement d’une part importante du développement rural par l’intermédiaire de la PAC.
C’est sur cette base qu’ont eu lieu les discussions entre États, avant le Conseil européen de Luxembourg. Mais, qui, aujourd’hui, connaît la position de la France dans ce débat ? Personne, en dehors de quelques cénacles gouvernementaux.
Comment, au niveau national, surmonter la dispersion du dossier entre plusieurs ministères et plusieurs administrations (Europe, décentralisation, aménagement du territoire, agriculture…) ? La France est-elle prête à soutenir le projet de l’Arc atlantique pour la nouvelle initiative communautaire ?
Sur le terrain, ce sont les élus locaux qui portent le développement local, montent les projets et les mènent à bien. Mais existe-t-il ne serait-ce qu’une commission de travail qui les associerait à une réflexion sur l’avenir de la politique régionale européenne ? Aucune.
Ce réflexe, jacobin par excellence, m’étonne dans une France largement décentralisée. Il serait sain et normal que le Parlement soit saisi de cette question. Le gouvernement doit rapidement prendre l’initiative d’organiser un débat devant la représentation nationale pour exposer, dans la transparence, le point de vue qu’il défend dans les instances européennes. Qu’a-t-il à craindre d’une telle initiative ? Il ne peut qu’enrichir ses idées en les confrontant à celles des praticiens de l’aménagement du territoire qui composent l’écrasante majorité des parlementaires.
Au moment où l’élargissement va déplacer le centre de gravité de l’Union européenne vers l’Est, la France doit obtenir de ses partenaires que le critère de la « périphéricité » soit retenu dans l’attribution des aides européennes. Pour les régions littorales, qu’elles soient atlantiques ou méditerranéennes, en France, il est vital de poursuivre l’effort financier pour tenter de compenser l’éloignement et les difficultés de liaison avec le centre de l’Europe, c’est-à-dire le cœur économique du continent. La France ne peut accepter que les régions excentrées, si on ne vient pas les aider à combler le handicap, deviennent les nouveaux pauvres de l’Europe. Dans ce débat, notre pays a des alliés, en Grande-Bretagne, en Irlande, dans les pays du Sud ou dans les régions baltiques.
La France peut aujourd’hui porter ce projet et le faire partager. C’est maintenant qu’il faut en parler. Demain, il sera trop tard.