Interviews de M. Jack Lang, député européen, membre du bureau national du PS, à RTL le 12 novembre 1996, RMC le 20 et France 2 le 21 sur le conflit au Zaïre, les propositions économiques du PS, le transfert des cendres d'André Malraux au Panthéon et l'affaire NTM.

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Média : Emission Forum RMC FR3 - Emission L'Invité de RTL - France 2 - RMC - RTL - Télévision

Texte intégral

RTL - mardi 12 novembre 1996

M. Cotta : Le choléra est arrivé au Zaïre, mais il n'y a toujours pas de force multinationale pour acheminer l'aide humanitaire. Êtes-vous en colère contre les États-Unis ?

J. Lang : Chaque heure qui passe, ce sont des milliers de morts, des femmes, des enfants et des hommes qui sont affamés et qui disparaissent Les secours sont disponibles. L'ONU est empêchée d'agir en raison de l'obstruction américaine. Aujourd'hui même, avec plusieurs députés européens, dont B. Kouchner, nous rendrons un texte d'appel aux États-Unis. Nous demandons aux pays européens, à certains pays européens – je ne parle pas de la France qui en cette affaire se conduit bien – qui, au lieu de se coucher devant les États-Unis ....

M. Cotta : La Grande-Bretagne ?

J. Lang : ... La Grande-Bretagne qui, au lieu de se soumettre à chaque fois que les États-Unis grondent, devrait demander à ce pays de ne pas empêcher les Nations unies d'agir, et d'agir vite, très vite, et de faire appel à B. Clinton, qui est en homme de cœur, pour que le plus vite possible, une force internationale permette d'acheminer les secours.

M. Cotta : La France et l'Espagne pourraient-elles agir sans l'aval des Américains ?

J. Lang : Ce n'est pas facile. Et c'est même très difficile. On pourrait en dernière instance imaginer qu'il y ait une sorte d'opération européenne, mais je ne peux pas mesurer moi-même si, techniquement, c'est envisageable ou possible. Mais je crois quand même qu'il n'y a pas de raison que les Nations unies, qui sont l'organisation mondiale, ne puissent pas, avec l'aval des États européens, mettre en place une force internationale qui permettrait l'acheminement rapide des secours.

M. Cotta : Samedi, L. Jospin a demandé aux socialistes de se tenir prêts à toute éventualité. Est-ce que ce sont les querelles au sein de la majorité qui vous font croire qu'il pourrait y avoir des législatives anticipées ?

J. Lang : Non. Nous n'avons pas à établir de prophétie. Les échéances viendront comme elles viendront, selon le calendrier. S'il est précipité, il faut effectivement que nous soyons prêts.

M. Cotta : Le projet économique du PS est-il le grand projet alternatif d'une gauche moderne et conquérante que les électeurs du PS pouvaient attendre ?

J. Lang : Je crois que c'est un projet qui est une bonne base de travail.

M. Cotta : Ce n'est pas très excitant : « base de travail » !

J. Lang : Oui, mais précisément, un parti, ce n'est pas un rassemblement de fêtards ! C'est d'abord un rassemblement de militants qui, scrupuleusement, méthodiquement – et c'est cela, l'originalité qui est la nôtre –, élaborent, réfléchissent, conçoivent une politique alternative qui, le jour venu, sera réellement appliquée. C'est quand même l'une des grandes différences avec ce que l'on voit aujourd'hui : ce que nous annoncerons dans notre programme – ce n'est pas notre programme, c'est un premier texte sur l'économie et les aspects sociaux, le programme viendra un peu plus tard –, nous le réaliserons vraiment.

M. Cotta : Que répondez-vous à ceux qui trouvent des allures de 1981 à ce programme, avec le recours à l'État et le fait qu'on fait payer les riches ? F. Hollande, dans Libération, évoque même quelques renationalisations.

J. Lang : Si l'on évoque le retour à 1981, il n'y a pas de quoi en rougir. Je suis plutôt heureux s'il y a un retour à l'esprit, non à la lettre, de 1981, qui a été une époque d'audace, d'imagination au cours de laquelle la gauche a été pionnière.

M. Cotta : Mais l'audace aujourd'hui, est-ce que ce sont les mêmes recettes ?

J. Lang : Non, justement pas. Il s'agit de préserver l'esprit de 1981, mais les temps ont changé, les technologies se sont transformées, le chômage de masse s'est développé. Nous-mêmes avons changé puisque nous avons l'expérience de gouvernement, nous savons très bien que nous devons refuser en particulier le déficit et l'augmentation d'impôt Mais notre idéal est resté le même, c'est-à-dire bousculer l'ordre injuste des choses et mettre le pays en mouvement avec des méthodes nouvelles.

M. Cotta : 700 000 emplois pour les jeunes en deux ans, 35 heures hebdomadaires sans baisse de salaire : qui paye ?

J. Lang : C'est indiqué dans le texte, en particulier il y a une réforme fiscale très importante qui est imaginée.

M. Cotta : Pourtant, M. Rocard, un ardent avocat de la réduction du temps de travail, avait dit qu'il faudrait peut-être préciser qui va payer la réduction du temps de travail, et le PS a refusé de le faire.

J. Lang : C'est un sujet sur lequel il faudra sans doute s'interroger encore. Sur l'ensemble de ce document, pour lequel j'appelle les militants à voter massivement, il est souhaitable de préserver le climat de travail et d'unité du PS. Je souhaite que nous soyons une immense majorité à le voter. Pour autant, ce texte méritera, le jour venu, d'être affiné, complété, enrichi, de même que tout ce que nous avons entrepris sur la démocratie, l'Europe, ainsi que ce sur quoi nous engageons d'autres réflexions, comme l'éducation. Sur le temps de travail, je vous dirais très franchement qu'à titre personnel, je ne partage pas l'enthousiasme de ceux qui croient que cette réforme peut être créatrice d'emplois nombreux. Si, au moins, ça permettait de consolider les emplois, ce serait déjà une bonne chose. Par contre, je suis convaincu – et c'est ce que vous évoquiez tout à l'heure avec les emplois pour les jeunes – que nous pouvons, par une impulsion de l'État, créer des emplois de proximité qui répondent à de véritables emplois sociaux : sécurité, santé, logement.

M. Cotta : Sur la monnaie européenne, vous fixez quatre conditions pour son apparition, mais néanmoins, vous refusez d'envisager l'idée que cette monnaie pourrait ne pas être créée. J.-P. Chevènement, au Grand Jury-RTL Le Monde, disait dimanche soir que c'était un couteau sans lame.

J. Lang : Il dit ça comme ça, mais nous, nous croyons à la monnaie unique, nous pensons que, dans de bonnes conditions, – celles que nous-indiquons – la monnaie-unique peut être source de stabilité monétaire, source de croissance et de développement, qui peut avoir un effet de choc psychologique. Mais la question est moins celle de la monnaie unique que celle de nos relations avec nos amis Allemands. De ce point de vue, il y a une question cruciale sur laquelle nous devons encore réfléchir : comment redonner à l'économie française de l'oxygène, comment remettre de l'essence dans le moteur, à la fois pour les entreprises et les finances publiques, ce qui réclamerait une partie de bras de fer avec les Allemands, notamment sur les taux d'intérêt, pour que la dette publique pèse moins lourd sur les finances publiques ?

M. Cotta : H. Emmanuelli va au bout de cette logique en disant que si les conditions ne sont pas remplies, il ne faut pas faire l'euro.

J. Lang : C'est là où il y a malentendu : H. Emmanuelli a tort, à mon avis. Il évoque le sujet de la valeur de la monnaie. C'est une erreur que d'annoncer je ne sais quelle dévaluation. Je ne parle pas de la valeur de la monnaie : je parle simplement de la politique monétaire, des relations franco-allemandes, et en particulier de la question des taux d'intérêt Ce que nous avons proposé dans la fixation de la parité réévaluée entre l'euro et le dollar doit être imaginé à propos des taux d'intérêt pour redonner à notre économie une dynamique et un mouvement.

M. Cotta : Chez Hachette, vous publiez « Lettre ouverte à Malraux ». Vous y glorifiez Malraux le rebelle, en disant que le colonialisme d'aujourd'hui, c'est notamment l'institutionnalisation du chômage forcé dans les pays développés. Le projet du PS correspond-il à cet esprit de révolte contre cet état de chose ?

J. Lang : Si c'est le cas, j'en suis heureux. En effet, si nous réussissions, si vous ressentiez ce projet comme un projet qui vise en effet à bouleverser ou à bousculer l'ordre injuste des choses, j'en serais très heureux. Retrouvons en effet, dans le bon sens du mot, cet esprit d'insurrection contre l'injustice qui a animé Malraux dans sa vie, à plusieurs reprises.

M. Cotta : Vous faites dire à Malraux que la politique, c'est « l'aptitude à transformer les rêves les plus fous en actions concrètes ». Est-ce le projet du PS ?

J. Lang : Le devoir des politiques ne consiste pas à se soumettre au diktat des puissants, en particulier des marchés financiers. Le rôle des politiques consiste à déplacer des montagnes, à faire bouger les choses : à quoi serviraient les politiques s'ils sont simplement là pour se croiser les bras et attendre que ça passe ?

 

RMC - mercredi 20 novembre 1996

P. Lapousterle : Le Président de la République l'a redit, hier, au Japon et donc on va vivre avec ça : « la politique d'assainissement financier provoque des réactions. Le coût politique est fort mais il n'y a pas d'autres solutions, on va continuer et assumer les réactions négatives de l'opinion. » Votre réaction, ce matin ?

J. Lang : Une politique de bonne gestion des finances publiques mériterait d'être soutenue et conduite. Nous sommes, nous aussi, contre les déficits et contre les prélèvements fiscaux ou obligatoires. Malheureusement, depuis quelques années, les déficits ont augmenté, la dette publique a grimpé, les impôts ont augmenté. Donc, le jour venu, lorsque nous l'emporterons aux élections, nous mènerons une guerre sans pitié contre les déficits et contre les prélèvements obligatoires abusifs.

P. Lapousterle : Donc, vous signez la phrase de J Chirac ?

J. Lang : Mais oui, mais la question est de savoir au service de quoi on mène une politique de bonne gestion des finances publiques. Au service, dans notre esprit, de l'emploi, oui ; au service du développement économique, oui ; au service de la croissance, naturellement. Aujourd'hui, on tourne le dos malheureusement à la justice sociale et à la croissance économique.

P. Lapousterle : Est-ce que les yeux dans les yeux – comme on l'a dit dans un débat célèbre – vous pensez réellement que vous feriez mieux, si vous étiez aux affaires ? Le chômage reculerait, le pouvoir d'achat augmenterait et les jours deviendraient roses ?

J. Lang : Nous ne promettons pas la lune. Mais nous promettons ...

P. Lapousterle : 700 000 emplois.

J. Lang : Nous promettons, premièrement, le jour venu, d'engager des mesures immédiates qui redonnent confiance au pays en lui-même et en particulier aux jeunes par la création en effet de 700 000 emplois pour les jeunes et nous expliquerons comment, concrètement, nous le ferons. Et par ailleurs, nous voulons conduire une politique plus profonde qui permettra de rééquilibrer notre pays, lui permettra, en particulier, de retrouver le chemin du développement et de l'expansion. Comme vous l'avez observé, un sondage tout récent montre que les Français se trouvent en accord avec nos propositions. C'est quand même une première que les Français apportent leur soutien au programme d'action d'un parti d'opposition.

P. Lapousterle : J'allais vous en parler : Est-ce que, paradoxalement, cela ne vous fait pas peur que les Français prennent pour argent comptant – je dirais – les promesses que vous faites ? Est-ce que vous ne seriez pas, comme d'autres, confrontés à des promesses irréalisables ? C'est-à-dire qu'au moment de payer, l'argent ne serait pas là.

J. Lang : Ce serait réconfortant de constater qu'une majorité de Français se trouvent en accord avec nos propositions, mais nos propositions ne sont pas notre programme définitif puisque, comme nous l'avons expliqué, notre programme définitif sera établi d'ici quelques mois. Nos propositions sont soumises à débat, à discussion et le jour venu, en fonction de la conjoncture, en fonction de la situation, nous arrêterons de manière très précise nos propositions avec la volonté de faire que ce programme d'actions et de transformations soit respecté scrupuleusement car rien n'est plus démoralisant.

P. Lapousterle : Les Français sont vaccinés.

J. Lang : Ah, je dois dire que je les comprends car il est incompréhensible, inacceptable que des responsables politiques puissent prendre des engagements et les déchirer aussitôt à peine élus. C'est anormal et nous voulons rompre avec cette méthode absolument scandaleuse qui déconsidère la politique et démoralise les Français.

P. Lapousterle : Beaucoup l'ont fait.

J. Lang : Certains l'ont fait et je les désapprouve.

P. Lapousterle : Même ceux qui sont de votre camp ?

J. Lang : Écoutez, cela a pu se produire mais, dans l'ensemble, les engagements qui ont été pris, par exemple par Mitterrand en 1981 ont été respectés à 80 %. Je ne veux pas dire que les uns, c'est blanc et les autres, c'est noir. Malheureusement, on a eu un triste exemple récemment avec l'élection présidentielle où le candidat qui a été élu avait promis la lune. Malheureusement, aujourd'hui il nous dit que la lune, ce n'est pas pour demain.

P. Lapousterle : Est-ce que vous approuvez, dans l'affaire NTM, que le garde des Sceaux ait demandé au Parquet de faire appel au jugement de trois mois de prison qui avait été affligé au groupe, en considérant que c'était une peine trop élevée et de l'avoir dit officiellement ?

J. Lang : C'est son appréciation souveraine en tant que garde des Sceaux. Mais, si vous le permettez, sur ce point et concernant les policiers, je crois qu'il ne faut pas tout confondre. Il y a d'un côté la liberté artistique et la liberté de création qu'il faut absolument préserver et garantir dans notre pays, et de l'autre, nous devons respecter les policiers dans l'action de tous les jours. Ils accomplissent un métier difficile et courageux, parfois dans des conditions qui ne sont pas toujours les meilleures, et nous aimerions que, le jour venu, là encore, il y ait une politique qui permette aux policiers de faire leur métier avec le maximum de garanties, de soutien de la part de l'État et de la puissance publique. Je veux que les policiers sachent que les socialistes respectent leur métier et savent à quel point beaucoup d'entre eux, notamment dans des situations difficiles, manifestent courage et dévouement.

P. Lapousterle : Je suis sûr que de nombreux policiers sont étonnés de vous entendre les soutenir de cette façon.

J. Lang : Ils ne seront pas étonnés parce qu'ils savent très bien, en particulier, que le maire de Blois que je suis se trouve parfois bien seul à les soutenir, à les épauler et à les encourager alors que les autorités de l'État sont souvent absentes pour leur apporter le soutien qu'ils méritent.

P. Lapousterle : A propos de Toulon et de la fête du livre controversée : allez-vous participer à l'hommage qui serait décerné à M. Halter au Forum du livre en liberté ?

J. Lang : Je me suis exprimé très clairement sur ce sujet Je considère comme absolument scandaleux l'arrêté d'excommunication qui a été proféré par le maire Front national, à l'égard de M. Halter. Pour le reste, j'ai cru comprendre que L. Jospin et moi-même étions invités à participer à cette manifestation. Si nous avons la possibilité de nous y exprimer normalement, tel ou tel d'entre nous s'y rendra avec plaisir. Mais je ne suis absolument pas au courant des conditions concrètes d'organisation.

P. Lapousterle : Nous sommes à 48 heures maintenant du transfert des cendres d'A. Malraux au Panthéon. Est-ce que le socialiste que vous êtes, approuve sans réserve le personnage d'A. Malraux ?

J. Lang : Comme vous le savez, j'ai écrit un livre, qui est publié en ce moment, et qui s'appelle Lettre à A. Malraux. J'ai souhaité, en écrivant cette lettre, contribuer avec d'autres à éviter que cette entrée au Panthéon ne soit synonyme d'une deuxième mort. J'aimerais que le Malraux, homme d'aventure, écrivain, constamment audacieux, juvénile, plein d'ardeur, reste vivant et puisse nous inspirer dans notre action d'aujourd'hui. Et puis, par ailleurs, il a été fidèle. Je serai le dernier à lui reprocher d'avoir été fidèle au général de Gaulle. J'ai trop vu de gens trahir autour de moi l'homme qui a incarné la gauche, F. Mitterrand, pour ne pas comprendre à quel point Malraux a été, de ce point de vue, un homme respectable d'être fidèle jusqu'au bout à l'œuvre et à l'action du général de Gaulle.

 

France 2 - jeudi 21 novembre 1996

G. Leclerc : Les cendres d'A. Malraux seront transférées samedi au Panthéon et vous publiez chez Hachette « Lettre à Malraux ». Pourquoi cette lettre à une figure emblématique du gaullisme ?

J. Lang : C'est plutôt une lettre à un homme qui s'appelle Malraux, au moment où on le fait entrer au Panthéon et je m'en réjouis. Je souhaitais m'adresser à lui non pas comme à un monument qu'on voudrait statufier pour l'éternité et du coup reléguer dans les oubliettes de l'Histoire mais m'adresser à un être vivant, plein de contradictions, de vitalité. Et j'ai essayé de faire vivre ou revivre le Malraux subversif, le Malraux révolté, le jeune homme qui part en Indochine à la découverte du monde, l'homme engagé dans la lutte pour la République en Espagne, enfin tout ce qui aujourd'hui pourrait parler à la jeunesse qui ne le connaît pas assez.

G. Leclerc : Justement, on a un peu le sentiment qu'il y a deux A. Malraux : celui de la jeunesse, l'anticonformiste, l'aventurier et celui qu'il est à la fin de sa vie, le ministre couvert d'honneurs qui participe à la manifestation contre mai 68. Quelle est la contradiction entre les deux ?

J. Lang : Ce n'est pas facile à expliquer. Effectivement, il y a d'un côté l'homme de la révolte, de l'indignation, le combattant et l'homme d'ordre qui, devenu ministre, a continué à être un combattant : combattant contre le colonialisme, soutenant de Gaulle dans sa lutte pour la libération de l'Indochine, contre les Américains, la lutte pour l'autonomie du Québec, contre la domination américaine, etc. Mais en même temps, c'est vrai qu'il a contribué à fonder un système politique d'un certain type et que, parfois, il a été conduit à se trouver contre les jeunes eux-mêmes, notamment en mai 68. Comment comprendre ? Pas facile. Je dirais que la ligne qui permet de comprendre le mystère, c'est que je crois qu'A. Malraux a été surtout tourné vers les grandes civilisations, l'histoire, les peuples, les grands mouvements de la société plus que vers les citoyens eux-mêmes ou les individus dans leur particularité. C'étaient plutôt les grands mouvements de l'Histoire que l'individualité de chacun qui le passionnaient.

G. Leclerc : Il a été votre prédécesseur à la Culture, vous faites un bilan plutôt positif finalement, de son action ?

J. Lang : Il aura été le père fondateur du ministère de la Culture qui porte encore son nom, c'est le ministère Malraux. Il aura conçu la grande politique moderne de protection du patrimoine qui, entre parenthèses, malheureusement est en cause aujourd'hui par une réduction brutale de crédits. Il aura jeté les bases aussi d'une politique d'encouragement du cinéma très originale et très nouvelle. Peut-être qu'on aurait aimé qu'il soit un peu plus audacieux pour soutenir l'art contemporain, la peinture, la sculpture, mais il n'en reste pas moins qu'il aura, surtout, au-delà de tel ou tel aspect, donné un souffle, un élan à la politique pour les arts de telle sorte qu'aujourd'hui, ce ministère qu'il a créé est devenu quasiment indestructible ; sauf malheureusement son budget.

G. Leclerc : Vous dites que le message d'A. Malraux est toujours d'actualité ?

J. Lang : Je le crois et j'aimerais justement que cette entrée au Panthéon ne soit pas synonyme d'une deuxième mort mais le commencement d'une nouvelle vie. Je dirais peut-être l'appel à la vigilance permanente, ne pas se laisser endormir par le conformisme, par les conservatismes, par le train-train, par le pouvoir, par l'ordre établi. Bref, être toujours en éveil pour combattre l'ordre injuste des choses et mettre la société en mouvement.

G. Leclerc : Deux questions de politique : la presse et le monde politique bruissent de la rumeur sur un remaniement prochain, une équipe resserrée avec l'entrée de fortes personnalités des balladuriens. C'est la réponse à la crise politique aujourd'hui ?

J. Lang : C'est un peu plus prosaïque qu'A. Malraux ! Mais actualité oblige. Je ne sais pas, je ne suis pas au courant mais il s'agit sans doute d'un rafistolage, pourquoi pas. Moi, je n'ai pas à me substituer aux responsables. Je dirais que la crise est infiniment plus profonde et dépasse la tête de tel ou tel. C'est l'orientation politique profonde qui devrait être révisée si l'on voulait redonner confiance au pays. Et il ne suffira pas de changer quelques têtes pour cela.

G. Leclerc : Ce n'est pas tout de même un peu injuste pour A. Juppé, qui est encore plus bas dans les sondages ? On peut dire qu'il paie peut-être l'audace de sa volonté de transformation sur la Sécurité sociale ?

J. Lang : Personnellement, je ne suis pas de ceux qui jugent un Premier ministre ou un Gouvernement à l'aune des sondages. Je peux le dire d'autant plus facilement que les sondages m'ont vraiment été favorables. Je pense que l'on peut parfois mener une politique courageuse et difficile en bravant l'impopularité. Mais ici, je dirais que ce n'est pas la question d'impopularité qui est inquiétante, c'est que le pays tout entier se sent dans la mélasse, ne sait pas où il va. Alors que ce pays, qui a tant de ressources, tant de possibilités, serait prêt à se mobiliser pour peu que : 1. On lui indique le cap. 2. On ait le sentiment que les efforts à accomplir sont répartis justement entre les uns et les autres alors qu'aujourd'hui, malheureusement, l'injustice, les inégalités sont plus que jamais à l'ordre du jour. Et c'est cela qui fait que ce pays, qui a soif de justice, ne se reconnaît pas à travers son gouvernement.

G. Leclerc : V. Giscard d'Estaing, sans prononcer le mot, quand même sous-entend qu'il est favorable à une dévaluation du franc. Il trouve que le niveau du franc est trop haut par rapport au mark et au dollar.

J. Lang : Je crois que cette initiative, certes techniquement serait possible pendant deux mois puisque il y a encore deux mois pour modifier lentement les parités avant les deux années de stabilité qui précéderont l'euro, mais la question principale, si on parle de la monnaie, ce serait de trouver un accord avec les Allemands – et il est fondamental cet accord – pour qu'il y ait une nouvelle politique monétaire qui permette de faire baisser les taux d'intérêt à moyen terme, qui allégerait le poids de la dette publique. Et comme vous le savez, malheureusement, le financement de la dette publique coûte chaque année à notre pays l'équivalent ou presque du budget de l'Éducation nationale. Alors, si on veut redonner de l'oxygène à l'économie, je crois qu'en effet il faut engager une partie de bras de fer avec nos amis allemands pour faire baisser rapidement les taux d'intérêt.